Le Mouvement 5 Etoiles, formation politique née en 2009 sous le signe de la démocratie directe et du refus du clivage droite-gauche, et la Ligue, parti d’extrême-droite fondé en 1989 sous le nom de Ligue du Nord pour défendre l’autonomie, voire l’indépendance, de la Padanie, c’est-à-dire de la partie septentrionale de l’Italie, vont-ils gouverner ensemble après avoir gagné les élections législatives, le 4 mars dernier ? Une telle hypothèse paraissait encore inimaginable avant le scrutin. Mais la défaite des partis traditionnels – Forza Italia, de Silvio Berlusconi, devancé par la Ligue au sein même de la coalition de droite, et le Parti démocrate, de Matteo Renzi, largement battu après cinq années au pouvoir – a rendu possible une alliance gouvernementale entre les deux formations.
Celles-ci n’ont ni la même histoire ni le même programme mais elles ont en commun leur opposition au « système », leur rejet de l’immigration et leur euroscepticisme. L’une et l’autre revendiquent la direction du futur gouvernement, le Mouvement 5 Etoiles parce qu’il est le premier parti d’Italie, avec 32,7% des suffrages, et la Ligue parce qu’elle est la force dominante de la coalition arrivée en tête avec 37% des voix. Forza Italia, partenaire minoritaire de cette coalition, n’a plus vraiment voix au chapitre. Le Parti démocrate, avec 22,9%, semble exclu de la partie. Luigi Di Maio, chef de file du Mouvement 5 Etoiles, et Matteo Salvini, numéro un de la Ligue, sont désormais les maîtres du jeu. C’est d’eux que dépend la formation de la nouvelle équipe, même si leur rivalité rend l’opération difficile.
Le rejet de la société ouverte
L’accord conclu entre les deux hommes sur les présidences des deux assemblées est peut-être la préfiguration de leur entente future sur la composition du gouvernement. En désignant un représentant du Mouvement 5 Etoiles, Roberto Fico, pour présider la Chambre des députés, et une représentante de la coalition de droite, Marie Elisabetta Casellati, pour présider le Sénat, les deux dirigeants ont commencé la répartition des postes-clés. Certes la nouvelle présidente du Sénat, proche de Silvio Berlusconi, n’est pas issue de la Ligue mais de Forza Italia. Mais c’est Matteo Salvini qui était à la manœuvre. C’est lui qui a écarté le premier candidat choisi par le Cavaliere, Paolo Romani, à la demande du Mouvement 5 Etoiles, qui ne voulait pas d’un homme condamné par la justice.
Les discussions pour les présidences des deux assemblées ont été tendues. Les négociations sur le gouvernement ne le seront pas moins. Il manque une cinquantaine de voix à la coalition de droite pour atteindre la majorité à la Chambre des députés. Il en manque 90 au Mouvement 5 Etoiles. Les deux leaders s’apostrophent par journaux interposés. Chacun met l’autre au défi. Où vas-tu trouver ces 90 voix ? demande Matteo Salvini à Luigi Di Maio. Lequel répond : Tu veux former un exécutif avec Forza Italia et le Parti démocrate ? Meilleurs vœux ! Les deux partis tentent de faire oublier certaines de leurs déclarations antérieures. Le Mouvement 5 Etoiles, qui avait promis de ne s’allier avec personne, est aujourd’hui beaucoup moins catégorique. Quant à la Ligue, dont les élus siègent au Parlement européen avec ceux du Front national, elle voudrait rompre avec son image sulfureuse pour acquérir une plus grande respectabilité.
Les deux partis sont-ils vraiment prêts à gouverner ensemble ? « Un gouvernement composé du Mouvement 5 Etoiles et de la Ligue serait la preuve que le clivage politique fondamental n’est plus, comme au bon vieux temps, la gauche contre la droite (les socialistes contre les conservateurs) mais se situe entre les forces qui défendent la société ouverte et celles qui la combattent », écrit à juste titre le politologue Angelo Panebianco dans le quotidien Il Corriere della Sera. A supposer que les deux formations parviennent à s’entendre, devront-elles se mettre à la recherche d’un troisième homme pour départager les deux dirigeants ? C’est une idée qui circule. Comme circule aussi, en cas d’échec, l’hypothèse d’un nouveau vote dans six mois ou dans un an. Une manière de retarder l’échéance face à la menace d’une alliance inédite entre les deux populismes.