La fin de l’ère Merkel

Affaiblie par ses échecs électoraux, la chancelière Angela Merkel a annoncé qu’elle ne serait pas candidate, dans quelques semaines, à la présidence de son parti, la CDU, mais qu’elle entendait rester à la tête du gouvernement jusqu’en 2021. Toutefois, malgré son optimisme affiché, il n’est pas certain qu’elle puisse maintenir l’unité de sa coalition gouvernementale avec le SPD, qui s’interroge, lui aussi, sur son avenir. La fin de l’ère Merkel est désormais dans l’air, alors que s’ouvre pour l’Allemagne le temps des incertitudes.

La chancelière allemande au temps des incertitudes
reuters

Le paradoxe saute aux yeux : après deux défaites électorales cinglantes pour la CDU en Hesse (le 28 octobre) et son parti frère, la CSU, en Bavière (le 14 octobre), la CDU proclame son optimisme. Après l’annonce de sa présidente, Angela Merkel, de ne plus être candidate à sa propre succession au prochain congrès du parti début décembre, la CDU déclare se réjouir du débat qu’elle va pouvoir mener pour élire un nouveau chef. Et pour la première fois depuis une éternité, les mille délégués du congrès auront un vrai choix. Le coup d’éclat de Mme Merkel le 29 octobre, quand elle a surpris la direction de son parti en l’informant de sa décision de quitter ses fonctions de présidente du parti d’abord et de chancelière ensuite, au plus tard en 2021, devait démontrer qu’elle saurait quitter la scène politique „en dignité“, comme elle disait, et qu’elle ouvrirait à son parti la possibilité de mieux préparer l‘avenir „après moi“.

Selon les règles de la communication politique, Angela Merkel a réussi à faire passer un message positif, optimiste, qui est, bien sûr, repris par ses partisans, mais aussi par une bonne partie de la presse. Des éloges ont suivi ; des éloges venant de ses amis, mais aussi de ses adversaires politiques. Angela Merkel, elle, peut être satisfaite de son coup. Mais bien sûr des doutes s’imposent. Les partenaires de l’Allemagne, dont la France, doivent désormais s’attendre à trois périodes d’incertitudes, des surprises n’étant pas exclues.

L’autorité affaiblie de la chancelière

La première, ce seront les cinq prochaines semaines qui vont précéder la réunion du congrès de la CDU à Hambourg les 7-8 décembre. Si l’annonce de Mme Merkel de se retirer des affaires de son parti puis de la chancellerie a surpris par sa forme, elle n’a pas surpris sur le fond. La discussion sur sa succession avait commencé dès l’échec des négociations sur une coalition avec les Verts et les libéraux (dite „coalition à la Jamaique“) après les élections générales de septembre 2017. Depuis, l’autorité politique de la chancelière était entamée. Le renouvellement de la „grande coalition“, qui venait d’être punie par les électeurs, n’annoncait que la continuation d’un gouvernement du „malgré nous“. Après six longs mois de formation du gouvernement, le résultat n’avait rien d’inspirant.

La performance du gouvernement Merkel IV a ajouté au sentiment de „raz-le-bol“. Les deux crises de la coalition de l’été 2018, peu de temps seulement après sa prise de fonction, initiées par l’opposition ouverte du ministre de l’intérieur, Horst Seehofer, chef de la CSU, à la chancelière, ont fait apparaître Mme Merkel comme faible et incapable d’exercer son rôle de chef du gouvernement. De plus, son propre groupe parlementaire l’a désavouée en refusant de réélire à sa tête celui qu’elle avait à ses côtés depuis son élection à la chancellerie en 2005, et qu’elle avait soutenu, parce qu’elle a „besoin de lui,“ Volker Kauder. Elle n’a pas non plus été capable d‘organiser une réponse sérieuse du gouvernement allemand au projet d’Emmanuel Macron pour une réforme de l’UE et de la zone euro, ni une stratégie cohérente et acceptée par l’UE pour traiter le problème des réfugiés et des migrants. Bref, la „méthode Merkel“ ne fonctionne plus. La fin de l’ère Merkel était donc dans l’air.

Ensuite les démocates-chrétiens en Hesse, et leurs frères, les chrétiens-sociaux en Bavière, ont encore une fois été punis par les électeurs lors des élections régionales en octobre – moins 11% à chaque fois et ceci malgré des performances tout-à-fait satisfaisantes des deux gouvernements régionaux dans deux „Länder“ riches, qui vont bien et qu’ils dirigeaient . Des sondages après les votes indiquent clairement qu’il s’agissait de votes-sanctions contre les partis au pouvoir – donc contre Mme Merkel.

Le crépuscule de la chancelière Merkel s’est accéléré et, par conséquent, la question était de savoir quelle occasion elle saisirait pour faire part de ses intentions personnelles, étant entendu qu’elle ne pouvait plus continuer comme si de rien n’était. Qu’elle ait choisi le lendemain du dernier échec électoral, cela n’était pas prévu. Mais c’était, pour elle, la dernière chance de maîtriser encore le débat, au moins son début. Depuis, ce débat se fait sans elle.

Trois prétendants à la succession

L’heure et le lieu de sa déclaration ont surpris, mais toute suite, trois prétendants à sa succession se sont présentés. Evidemment, ils s‘étaient préparés. La secrétaire générale de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, a réagi la première ; le ministre de la santé, Jens Spahn, jeune opposant de la chancelière à plusieurs reprises, immédiatement après ; l’ancien chef du groupe parlemantaire jusqu’en 2002, Friedrich Merz, dans une interview – il avait été écarté de son poste par la nouvelle présidente du parti de l’époque, Angela Merkel, et il avait quitté le Bundestag en 2009. Il serait encouragé, selon le Spiegel, par Wolfgang Schäuble, une autre victime politique de Mme Merkel. Un quatrième candidat, le chef de la CDU en Rhénanie du Nord-Westphalie et chef du gouvernement régional Armin Laschet, a renoncé – pour l’instant.

Sur fond d’un crépuscule accéléré de Mme Merkel et du fait que trois prétendants sérieux se sont organisés pour prendre la relève, on va assister maintenant à un débat acharné pendant les semaines qui suivent. Ensemble, ils vont faire le tour des organisations régionales et spécialisées du parti. Ils vont présenter leurs idées, parfois opposées les unes aux autres, pour relancer les projets d’un parti divisé et désorienté, qui a tout de même la charge de diriger le gouvernement fédéral avec la chancelière Angela Merkel. Celle-ci a déclaré qu’elle était „prête à assumer la fonction de chancelière jusqu’à la fin de la période électorale en 2021“, mais qu’elle ne serait plus candidate aux prochaines élections. Très peu d’observateurs à Berlin la voient encore en charge à la fin 2019. Le choix que fera le Congrès de la CDU le 7 décembre va être déterminant à cet égard. On voit mal un président de la CDU comme Merz ou Spahn coopérer avec la chancelière Merkel. Aussi, la survie de la coalition gouvernementale avec le SPD sans Merkel serait mise en danger.

Les difficultés des sociaux-démocrates

Le 7 décembre, la deuxième période d’incertitude commencera. La CDU n’est pas la seule perdante des dernières élections. Son partenaire de gouvernement, le SPD, l’est encore plus. Réduit à la quatrième position en Bavière, en dessous des 10%, et à la troisième position derrière les Verts, de justesse, en Hesse, qu’il avait dominé politiquement jusqu’en 1999, les sociaux-démocrates se cherchent, ne savent plus quoi faire pour remonter la pente. Les sondages au niveau national lui donnent encore 15% (contre 20% il y a un an), derrière les Verts, également, qui se voient attribuer 18-19%. Ceux qui militaient contre le renouvellement de la „grande coalition“ en début d’année se trouvent aujourd’hui confirmés dans leurs analyses.

La présidente du parti, Andrea Nahles, en poste depuis avril de cette année seulement, essaie de gagner du temps pour remettre son parti sur pied. Elle va présenter à Mme Merkel un catalogue de sujets qu’elle veut voir réglés par la coalition d’ici l’automne prochain, quand un premier bilan de l’action gouvernementale devra être dressé. Ensuite, un congrès du parti en jugera. C’est une sorte d’ultimatum pour la coalition, qui devrait démontrer que le SPD est décidé à en finir avec le blocage du gouvernement en raison de querelles internes, mais qui lui laisse le temps d’organiser sa propre réorientation après ses désastres électoraux.

Toutefois les opposants à Mme Nahles ne veulent pas attendre l‘automne. Selon eux, une décision doit être prise dès le printemps sur l’avenir de la coalition. Ils demandent d’avancer la réunion du congrès du parti au printemps. Si vraiment le SPD décide d’avancer la date de son congrès, un vote pour en finir avec cette coalition n’est pas du tout exclu. En tout cas, d’ores et déjà, la position d’Andrea Nahles est affaiblie ; un vote pour la fin de la coalition serait un vote de défiance envers la présidente du parti.

L’échéance des élections européennes

Quoi qu’il arrive, c’est au printemps 2019 que la troisième période d’incertitude va commencer. Selon les décisions de la CDU au mois de décembre et celles du SPD, le cas échéant, au printemps, la coalition dirigée (peut-être) toujours par Angela Merkel se trouvera face aux prochaines échéances électorales, celles des européennes. Ce sera le premier vote au niveau national après tous les bouleversements politiques d’aujourd’hui. Une nouvelle équipe dirigeante de la CDU (et de la CSU, où M. Seehofer va céder sa place de président) doit faire ses preuves pour pouvoir gagner les élections. Sans parler des défis que représente, au niveau européen, l’avancée de l’extrême droite, la nouvelle direction de la CDU aura intérêt à profiter de l’expérience et de l’image européennes d’une chancelière toujours en place – mais après ? Rien n’est sûr. Cette période d’incertitude ne prendra pas fin avant le mois de septembre quand trois Länder à l’est, le Brandebourg, la Saxe et la Thuringe, éliront leurs parlements régionaux, trois régions dans lesquelles l’adversaire principal de la CDU est l’AfD, l’extrême droite.

En attendant, on ne peut qu’espérer que la chancelière Angela Merkel, sans être en charge d‘un parti désorienté et peu fiable, sera en mesure d’agir d’une manière constructive sur la scène européenne et internationale. Peut-être jusqu’en 2021 – mais peut-être seulement.