Le Brexit est-il irréversible ?

Le Royaume-Uni a déclenché en mars dernier l’article 50 du Traité sur l’Union européenne pour notifier à ses partenaires son intention de quitter l’UE. Peut-il aujourd’hui revenir en arrière et renoncer à aller jusqu’au termes des négociations engagées avec Bruxelles ? Politiquement difficile après le référendum de juin 2016, une telle décision semble juridiquement possible selon de nombreux experts. Les adversaires du Brexit caressent cette idée. Ils se sentent encouragés par les déclarations de Donald Tusk et d’Emmanuel Macron.

Britannia et le lion, Waterloo Place à Londres

Au moment où les négociations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni sur le Brexit semblent dans l’impasse, certains se demandent si la séparation est vraiment inéluctable. Le Royaume-Uni, disent-ils, peut toujours faire machine arrière si les conséquences d’une rupture lui paraissent, après réflexion, gravement dommageables et s’il considère qu’en fin de compte, quel que soit l’issue des pourparlers en cours, le Brexit fera plus de mal que de bien au peuple britannique. Les « Brexiters », qui ont gagné le référendum de juin 2016, s’inquiètent d’une telle perspective alors que les partisans du « Remain » y trouvent une nouvelle raison d’espérer.

Ils notent en particulier que Theresa May réclame avec insistance une période de transition après l’échéance de mars 2019, date à laquelle le Royaume-Uni doit sortir effectivement de l’UE, et jugent que cette concession, perçue comme un défi à son ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, chef de file des partisans d’un « hard Brexit », peut être interprétée comme un premier recul. Ils constatent aussi que Theresa May a refusé de dire si elle voterait pour le Brexit dans l’hypothèse d’un nouveau référendum, ce qu’ils considèrent comme un signe encourageant. Certes, cette hypothèse n’est pas à l’ordre du jour, mais la presse se fait l’écho, depuis quelques mois, d’une possible évolution de l’opinion.

Donald Tusk : « Vous pouvez me traiter de rêveur »

« Les Britanniques vont-ils changer d’avis sur le Brexit ? », titrait le prestigieux Financial Times en juin. Des voix s’élèvent, au Royaume-Uni ou dans d’autres pays d’Europe, pour appeler les Britanniques à revoir leur position. L’ancien premier ministre Tony Blair a plaidé pour une nouvelle consultation. Le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk, n’a pas exclu cette éventualité. Citant la chanson Imagine de John Lennon, il a ainsi déclaré : « Vous pouvez me traiter de rêveur, mais je ne suis pas le seul ». Il a ajouté : « L’Union européenne s’est construite sur des rêves qui semblaient irréalisables ». Emmanuel Macron a apporté de l’eau au moulin de ces rêveurs en affirmant, dans son discours de la Sorbonne, que le Royaume-Uni « pourra trouver la place qui est la sienne », s’il le souhaite, dans une Union européenne rénovée et simplifiée.

Est-il encore possible pour le gouvernement britannique d’interrompre le processus qu’il a mis en branle en déclenchant le fameux article 50 du Traité sur l’Union européenne en application duquel il a notifié au Conseil européen son « intention » de sortir de l’UE ? Non, répondent les champions du Brexit, une fois le mécanisme mis en mouvement, il faut conduire l’opération jusqu’à son terme. Ce n’est pas, semble-t-il, l’avis des juristes. Jean-Claude Piris, ancien directeur juridique du Conseil européen, soutient qu’il est toujours possible de revenir sur une « intention ». Selon le député travailliste Chuka Umunna, le « consensus » parmi les juristes est que Londres a toujours le choix entre rester et partir.

L’avis secret remis à Theresa May

Les experts consultés par Theresa May lui auraient expliqué, selon le quotidien The Guardian, que le Royaume-Uni peut à tout moment mettre fin à la procédure de divorce s’il estime que ce revirement est conforme à l’intérêt national. Mais l’avis de ces experts est resté secret. Plusieurs militants des droits de l’homme demandent à la première ministre de rendre public le rapport qu’elle a reçu, au nom de la liberté de l’information. Ils soutiennent qu’il n’est pas trop tard pour revenir en arrière et qu’il faut cesser de faire croire au public qu’il n’y a plus d’alternative au Brexit.

C’est aussi l’opinion de Nick Clegg, ancien chef du parti libéral-démocrate et ancien vice-premier ministre dans le gouvernement de David Cameron. « L’idée que l’article 50 est irréversible a toujours été un mythe inventé par les Brexiters qui veulent empêcher les Britanniques de changer d’avis », affirme-t-il. Plus romantique, le premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel va dans le même sens lorsqu’il soutient qu’au cours de la procédure de divorce il peut arriver que le Royaume-Uni dise à l’Europe qu’il l’aime encore et qu’il est par conséquent hors d’état d’aller jusqu’au bout de la procédure. Selon l’ancien diplomate britannique Lord John Kerr, qui fut le rédacteur de l’article 50, cet article n’a rien à voir avec une procédure d’expulsion. « Si, après avoir contemplé l’abîme, nous changeons d’avis, dit-il, nous pouvons le faire ».