Le Mexique vire à gauche

Le candidat de la gauche, l’ancien maire de Mexico Andrés Manuel Lopez Obrador, a été élu dimanche 1er juillet, président de la République mexicaine. C’est un événement historique dans un pays dominé traditionnellement par deux partis conservateurs, le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) qui a occupé la présidence sans interruption pendant plusieurs décennies avant de la perdre en 2000 et de la reconquérir en 2012, et le Parti d’action nationale (PAN), qui l’a exercée de 2000 à 2012. Le nouveau président, que ses adversaires accusent de populisme, a promis de s’attaquer aux deux fléaux qui minent le pays : la violence et la corruption. Il devra aussi normaliser les relations du Mexique avec les Etats-Unis.

Andres Manuel Lopez Obrador le 1er juillet
Pedro Mera/Getty Image

C’est pour le Mexique un tournant historique. Pour la première fois depuis le légendaire Lazaro Cardenas, qui dirigea l’Etat de 1934 à 1940, la gauche conquiert la présidence de la République. Longtemps écartée du pouvoir dans un pays dominé par les partis conservateurs, elle peut se prévaloir d’un succès spectaculaire. La victoire d’Andrés Manuel Lopez Obrador à l’élection présidentielle, dimanche 1er juillet, que les sondages donnaient gagnant depuis des semaines, est loin d’être une surprise. Mais elle est au-delà de toute contestation. Après deux échecs en 2006 et en 2012, celui que ses compatriotes appellent, selon ses initiales, AMLO est enfin parvenu à ses fins. Le voici pour six ans (non renouvelables) à la direction de l’exécutif après une campagne triomphale.

Avec plus de 53% des suffrages, l’ancien maire de Mexico, devenu, à la tête de son Mouvement de régénération nationale (Morena), le chef de file de la gauche, devance largement ses deux principaux rivaux, Ricardo Anaya, candidat du Parti d’action nationale (PAN), qui rassemble 22% des voix, et José Antonio Meade, représentant du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), le parti du président sortant Enrique Pena Nieto, qui n’en obtient que 16%. Le PRI a monopolisé le pouvoir pendant plusieurs décennies. Il est issu du Parti national révolutionnaire, de Lazaro Cardenas, devenu ensuite le Parti de la révolution mexicaine, mais s’il fut naguère de gauche il a évolué vers le centre et la droite. En 2000, il a cédé le pouvoir au PAN (droite) avant de le récupérer en 2012.

Le rejet des deux grands partis

Le nouveau président a bénéficié du rejet des deux grands partis traditionnels, rendus responsables de la grave crise que traverse le pays, une crise marquée à la fois par un niveau de violence particulièrement élevé et par un degré de corruption inégalé. La violence, liée au narcotrafic, se manifeste par des dizaines de milliers d’assassinats (plus de 25.000 en 2017) et par un climat d’insécurité devenu insupportable. Quant à la corruption, elle contamine toutes les couches de la société, à commencer par les sphères dirigeantes. Elle nourrit toutes sortes de soupçons, y compris contre le président sortant. Candidat antisystème, Andrés Manuel Lopez Obrador a promis de lutter contre ces deux calamités, qui ont suscité dans l’opinion publique un profond désir de changement.

Souvent accusé par ses adversaires de tenir un discours populiste et de promouvoir un « castro-chavisme à la mexicaine », AMLO s’est défendu de toute sympathie envers les régimes de Cuba et du Venezuela. Il a aussi tenté de rassurer, pendant la campagne, ceux qui s’inquiétaient, en particulier dans les milieux économiques, d’une possible dérive autoritaire et d’un dangereux virage à gauche. La gauche qu’il incarne se propose de lutter contre la misère et les inégalités, en particulier par des programmes publics de lutte contre la pauvreté, des aides aux paysans, l’augmentation du salaire minimum, une politique de grands travaux, mais elle n’a rien à voir, selon lui, avec l’idéologie d’un Castro, d’un Chavez ou d’un Maduro.

Les relations avec les Etats-Unis

Andrés Manuel Lopez Obrador a montré sa volonté de rassembler, au-delà des frontières de la gauche classique, en s’entourant d’une équipe d’experts respectés qui forment l’embryon de son futur gouvernement. La plupart d’entre eux viennent de la société civile. Le nouveau président aura besoin du soutien le plus vaste possible pour venir à bout des deux grands défis qu’il s’est donnés : inverser la courbe de la violence et développer une « culture anticorruption » pour tenter de mettre fin aux deux grands maux qui minent le pays. AMLO est perçu par une grande partie de ses compatriotes comme l’homme qui, par son courage et son honnêteté, sera capable de mener un combat crédible sur ces deux fronts. « Les Mexicains sont prêts pour un vrai changement », a-t-il affirmé.

Sur le plan extérieur, le principal défi sera celui des relations avec les Etats-Unis. Le Mexique est en effet dans le collimateur de la Maison Blanche. Dans le domaine de l’immigration, Donald Trump lui demande de construire un mur pour empêcher les migrants de franchir la frontière. Dans le domaine du commerce, il impose des taxes sur les importations d’acier et d’aluminium et menace de mettre fin à l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain) qui réunit les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. Le nouveau président mexicain s’est dit ouvert au dialogue. Il sait que le rapport de forces entre les deux pays ne lui est pas favorable. Mais il sait aussi que les Mexicains attendent de lui qu’il réponde avec fermeté aux provocations de Washington.