L’homme fort du Monténégro, ce petit Etat de 620.000 habitants qui s’est séparé de la Serbie en 2006 pour devenir indépendant, a reconquis, le 15 avril, la présidence de la République, qu’il avait occupée une première fois de 1998 à 2002 avant d’exercer, à plusieurs reprises, la fonction de premier ministre. Milo Djukanovic, 56 ans, domine depuis plus d’un quart de siècle la vie politique du Monténégro, avec ou sans mandat officiel, et survit à toutes les péripéties de son histoire récente. Celui qui fut naguère l’un des compagnons de Slobodan Milosevic avant de prendre ses distances avec le dirigeant serbe est le chef du Parti démocrate socialiste, issu de l’ancienne Ligue des communistes. Il a obtenu près de 54% des suffrages dès le premier tour de l’élection présidentielle.
Considéré dans son pays comme le père de l’indépendance, Milo Djukanovic veut être celui qui fera entrer le Monténégro dans l’Union européenne. Déjà le pays a rejoint l’OTAN en 2017, au risque de déplaire à la Russie. Le nouveau président monténégrin a fait, contre Moscou, le choix de l’Europe. Sa victoire, a-t-il dit, est celle de « l’avenir européen du Monténégro ». Les négociations ont été engagées par l’Union européenne avec le Monténégro, comme elles l’ont été avec la Serbie. Le pays a reçu le statut officiel de candidat en 2010 et les pourparlers ont commencé en 2012. Sur les 33 chapitres de « l’acquis communautaire », 30 ont été ouverts mais 3 seulement ont été fermés, les plus faciles (science et recherche, éducation et culture, relations extérieures).
Les deux conditions majeures, qui définissent depuis 1993 les critères de Copenhague, c’est-à-dire le respect de l’Etat de droit et le bon fonctionnement de l’économie de marché, seront beaucoup plus difficiles à satisfaire. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a estimé que le Monténégro pourrait adhérer à l’Union en 2025, en même temps que la Serbie. Mais ces dates sont « indicatives », a-t-il rappelé, et nul ne croit vraiment qu’elles puissent être tenues. Pour les autres pays des Balkans occidentaux, l’échéance est plus tardive. L’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine attendrait 2035. Celle de la Bosnie-Herzégovine et du Kosovo est encore plus lointaine.
La Commission européenne tente d’accélérer le processus. Elle a adopté le 6 février une stratégie intitulée « une perspective d’élargissement crédible, un engagement renforcé de l’Union européenne pour les Balkans occidentaux. Elle affirme dans ce texte que « l’avenir européen de la région » constitue « un investissement stratégique dans une Europe stable, solide et unie ». Elle définit surtout un plan d’action destiné à accentuer la coopération dans plusieurs domaines qui doivent être l’objet de réformes tels que l’Etat de droit, la sécurité, les migrations, l’énergie ou le numérique. Elle souligne que, pour faciliter la « transition sans heurts » vers l’adhésion, « un financement suffisant est indispensable » et propose d’augmenter celui-ci au titre de l’aide de préadhésion. Le Monténégro est l’un des destinataires de ce programme, avec la Serbie et les autres Etats de la région, moins avancés dans le processus d’adhésion, comme l’Albanie et la Macédoine avec lesquelles la Commission recommande d’ouvrir les négociations.
Le chemin à parcourir est encore long. Les rapports publiés année après année par la Commission sur l’état d’avancement des réformes sont plutôt défavorables. Pour le Monténégro en particulier, elle dénonce les insuffisances de la lutte contre la corruption et contre le crime organisé. « La corruption est répandue dans de nombreux domaines et reste un sujet de préoccupation », écrit-elle, en invitant les autorités à se montrer plus actives et à renforcer « la crédibilité et l’indépendance » de l’agence anti-corruption. A propos du crime organisé, la Commission s’inquiète notamment de l’importance du blanchiment d’argent et du trafic d’être humains. Elle appelle aussi les dirigeants du pays à agir pour assurer le respect des droits fondamentaux et de la liberté d’expression. Les exigences de la démocratie sont donc loin d’être satisfaites. Des reproches similaires sont adressés à la Serbie.
Il appartiendra au nouveau président du Monténégro, comme à son homologue serbe, de donner tort à l’Union européenne en répondant à ses critiques. Le problème est que Milo Djukanovic est soupçonné d’être personnellement lié à des groupes mafieux à la fois dans son pays et dans l’Italie voisine. Au chapitre de la corruption et du crime organisé, il devra donc multiplier les initiatives pour rassurer Bruxelles et présenter de son pays une image qui corresponde aux demandes de l’Europe. « Une perspective d’élargissement crédible exige des efforts soutenus et des réformes irréversibles », a déclaré la Commission. C’est le défi lancé par l’UE à ceux qui veulent la rejoindre.