Région traditionnellement en turbulences, le Moyen-Orient est tombé depuis le début du siècle dans un chaos aux multiples facettes. Les printemps arabes intervenus à partir de 2011, puis les hiraks, ont touché la plupart des pays du Moyen-Orient et ils ont tourné court : leur échec s’est souvent accompagné d’une répression brutale. L’absence d’oppositions unies et crédibles, la résilience des gouvernements autocratiques, un appui limité des pays occidentaux contribuent à expliquer cet échec. Mais les ingrédients qui ont provoqué ces soulèvements sont toujours là et les dirigeants de ces pays doivent tenir compte des opinions publiques qui aspirent à une meilleure gouvernance et à plus de libertés.
A la suite d’autres facteurs, comme les interventions militaires déstabilisatrices de pays occidentaux, dont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, on a assisté à la multiplication des Etats faillis que sont devenus l’Irak, la Libye, la Syrie, le Liban, le Yémen. Cette faillite est caractérisée par la déliquescence des pouvoirs étatiques qui sont incapables d’assurer leur autorité sur une grande partie du territoire national, par leur faible légitimité auprès des populations, par la désorganisation des services publics, par la présence de nombreuses milices qui bénéficient souvent d’un soutien extérieur, par des économies sinistrées où les pénuries sont encore aggravées par la pandémie de coronavirus mal maîtrisée. La situation en Syrie nourrit des foyers de tension qui ont un impact en Europe : le camp d’al-Hol où se trouvent notamment des familles de djihadistes français, la ville d’Idlib où sont regroupés des éléments radicaux, les 4 millions de réfugiés qui résident en Turquie sont autant de sources de préoccupations pour les autorités européennes.
Cette situation ne peut que favoriser la persistance de viviers de djihadistes qui, à travers les réseaux des mouvements d’Al-Qaïda sous ses différentes appellations ou de l’Etat islamique, restent très présents sur le terrain et plus encore par l’idéologie qu’ils propagent. Malgré son reflux après les batailles de Mossoul et Rakka, l’EI conserve des enclaves en Syrie comme en Irak, des réseaux souterrains un peu partout, tandis qu’Al-Qaïda contrôle une grande partie du sud-est du Yémen.
De la Palestine à l’Iran
La récente crise intervenue en Israël, en Cisjordanie et à Gaza, sur fond de confusion dans la politique intérieure israélienne a montré que la question palestinienne, malgré un déni officiel, demeurait non résolue. Elle a montré que la promptitude des Palestiniens à se mobiliser était encore très forte et que le Hamas disposait de capacités offensives structurées et avait une vision stratégique. Elle a fait apparaître les vulnérabilités d’Israël malgré l’efficacité du Dôme de fer. L’opinion publique israélienne a été fortement marquée par les événements qui ont vu s’exprimer une solidarité nouvelle entre Arabes israéliens qui s’affirment comme Palestiniens. Les graves incidents dans les villes mixtes apparaissent comme un avertissement.
La République islamique d’Iran a révélé, malgré son isolement et la vigueur des sanctions qu’elle subit, une capacité de résilience, mais également d’influence, qui a marqué de nombreux succès, en en faisant une puissance qualifiée d’« hégémonique ». Cependant le pays est sinistré sur le plan économique et social et l’opinion aspire à la levée des sanctions. Le pouvoir a montré une volonté de négocier un accord qui a conduit, en juillet 2015 à Vienne, à un gel de son programme nucléaire. Grâce à l’action de l’Union européenne, cet accord nucléaire de 2015 a pu être sauvegardé malgré la dénonciation unilatérale de l’administration Trump et, en réaction, le non respect par l’Iran de certaines de ses dispositions. L’Iran reste profondément engagé dans la plupart des conflits régionaux et exerce son influence jusqu’à la Méditerranée. Son influence est forte en Irak, en Syrie, au Liban, au Yémen et même à Gaza, où la coopération financière et militaire avec le Hamas s’est développée depuis plusieurs années.
De son côté, Israël a entamé depuis longtemps une guerre de l’ombre avec l’Iran qui devient de plus en plus ouverte, les frappes israéliennes contre des objectifs iraniens en Syrie sont fréquentes et efficaces. Certains de ses responsables politiques ne cachent pas leur volonté, s’ils l’estimaient utiles, de frapper l’Iran sur son sol. Ainsi un risque d’un nouveau conflit qui aurait des conséquences dévastatrices demeure. Il semble qu’existe, du côté américain comme iranien, une volonté de revitaliser l’accord de 2015, même si de nombreux problèmes techniques, mais aussi politiques, demeurent, comme le montre la négociation en cours à Vienne.
L’exemple des pays du Golfe
Cependant, on assiste également à des mutations dans un Moyen-Orient en évolution rapide. L’islam politique n’est pas mort : il continue de s’affirmer ouvertement ou dans l’ombre. Il gouverne ou participe au pouvoir dans des pays aussi divers que la Turquie, l’Iran, la Libye, au Qatar, à Gaza. Doha et Istanbul sont les bases arrières et idéologiques des islamistes en exil qui, à travers le réseau clandestin ou ouvert des Frères musulmans, restent très présents au Moyen-Orient.
Dans le même temps, les sociétés civiles se renforcent. Elles vont plus vite que les politiques. Les sociétés de tous ces pays sont à la fois plus jeunes, plus éduquées, mieux informées car plus connectées, moins soumises à l’encadrement tribal, mais aussi plus islamisées. De véritables classes moyennes émergent. Des ONG se créent et s’affirment dans le domaine économique mais également social, voire politique. Les jeunes sont plus nombreux – en Arabie saoudite les 2/3 de la population ont moins de trente ans-, mais également plus à la recherche d’un emploi, ce qui est un défi majeur pour tous les pays de la région. L’avenir des jeunes est un problème pour les pouvoirs en place, d’autant plus qu’ils s’expriment plus librement et qu’ils ne sont plus encadrés par les structures traditionnelles. Mais les actions auprès des sociétés civiles montrent leurs limites comme on a pu le constater en Égypte comme ainsi qu’au Liban.
Les pays du Golfe se veulent un « modèle de développement ». Il est vrai qu’ils disposent de moyens financiers considérables qui vont encore augmenter avec la reprise de l’augmentation des prix du pétrole. L’augmentation considérable des montants placés dans des fonds souverains en est la confirmation, qu’il s’agisse d’Abu Dhabi, du Qatar, du Koweït et de l’Arabie saoudite. Il y a la volonté de survivre au pétrole et de diversifier des économies encore trop dépendantes des hydrocarbures. Mais il existe aussi, tout au moins chez certains d’entre eux, une véritable volonté de puissance financière, voire politique, et la tentation de jouer un rôle actif au Moyen-Orient et au-delà. Certes, ce « modèle » est fragile compte tenu de la faiblesse numérique des populations locales, mais aussi du caractère archaïque de la gouvernance confiée à des familles qui tiennent tous les leviers de pouvoir et qui doutent maintenant du sérieux de la protection américaine.
Un basculement géopolitique
Pour leur part, de nouvelles puissances régionales s’affirment, profitant du déclin relatif de l’Egypte, chef de file traditionnel du monde arabe, de l’Irak et de la Syrie marginalisés. Il y a un phénomène de régionalisation, une véritable reprise en main par les puissances régionales. L’Arabie saoudite est un acteur en repli après une politique aventuriste qui a abouti à des échecs. Ce sont les puissances non arabes qui s’affirment. La Turquie, détournée de l’Europe, a développé au Moyen-Orient une politique extérieure active, voire agressive, qui lui a permis d’enregistrer des succès, notamment en Syrie et en Libye. L’Iran a réussi, après que les Etats-Unis lui ont offert l’Irak sur un plateau d’argent en éliminant Saddam Hussein, à devenir une puissance d’influence sur une grande partie du Moyen- Orient arabe. En fait, la politique au Moyen-Orient est de plus en plus le fait de ces puissances régionales qui entendent contrer l’influence occidentale. La Russie a bien compris cette nouvelle donne, notamment en mettant en place, avec deux de ces puissances régionales, le processus d’Astana sur le dossier syrien. Quant à Israël, elle a pu, notamment par une diplomatie efficace, normaliser ses relations avec une grande partie des pays arabes et entend réduire par tous les moyens la « menace existentielle » que représenterait l’Iran.
On constate aussi un véritable basculement géopolitique dans la région. Celui-ci se caractérise d’abord par un déclin de l’influence des pays occidentaux. S’agissant des Etats-Unis, ceci relève d’une politique délibérée amorcée par le président Obama et confirmée par Trump, puis Biden. La lassitude de l’opinion publique américaine, la volonté de faire face aux ambitions de la super puissance qu’est devenue la Chine, expliquent cette orientation vers le pivot Pacifique. Cependant, il est clair que les Etats-Unis conserveront des bases militaires qui abritent actuellement 40.000 soldats au Moyen-Orient et qu’ils continueront à apporter à Israël un appui politique et militaire majeur. En cas de non règlement du dossier nucléaire iranien, il est certain que les Etats-Unis resteront vigilants sur l’évolution de la situation dans cette zone. Cependant, la politique incohérente suivie par Washington - de l’interventionnisme militaire à l’absence de réaction aux initiatives iraniennes - a contribué à leur perte de crédibilité. Le retrait prochain des troupes américaines d’Afghanistan et la probable reprise du pouvoir par les Talibans représenteront un nouveau choc qui ne peut qu’accentuer cette perte de crédibilité.
L’influence déclinante de l’Europe
Quant à l’Europe, son influence politique semble devenue marginale compte tenu de ses réticences à s’engager dans le bourbier moyen-oriental et de ses divergences. Par-delà ce constat, il apparaît que l’image des pays occidentaux s’est fortement dégradée, certains étant qualifiés d’ « ennemis de l’islam ». Cette évolution touche également la France, longtemps épargnée par un tel jugement. Le retour récent du débat sur le voile, la loi sur le séparatisme et la relance de l’affaire des caricatures font que la France ne bénéficie plus de cette aura particulière dont elle a pu bénéficier jusqu’au président Chirac.
De son côté, la Russie fait un retour en force, non seulement dans ses fiefs traditionnels, comme la Syrie, qui datent de l’Union soviétique, mais également dans des pays dont l’URSS avait été chassée il y a cinquante ans, comme l’Egypte, et dans de nouveaux pays avec lesquels la relation dans le passé était difficile, tels Israël ou l’Iran.
Enfin, de nouveaux venus s’intéressent au Moyen-Orient, en particulier au Golfe, comme la Corée du sud, l’Inde et surtout la Chine. Celle-ci est devenue, en l’espace de quelques années, le premier fournisseur et client de l’Arabie saoudite, de l’Iran et tend à prendre cette place aux EAU et en Irak. La tournée de Xi Jinping, effectuée en 2016, la nomination d’un envoyé spécial, les accords de partenariat conclus avec de nombreux pays confirment cette volonté de présence et d’influence.
Récemment des rapprochements se sont esquissés, liés largement à l’élection du nouveau président américain et aux doutes qui existent sur son engagement au Moyen-Orient. La peur de l’Iran joue dans le même sens, de même que le sentiment qu’Israël devient un acteur pérenne et majeur au Moyen-Orient. Si Israël et les pays du Golfe confirment leur normalisation malgré la grave crise récente, la Turquie se rapproche de l’Egypte et de l’Arabie saoudite. Ryad et Abu Dhabi ont entamé des consultations qui semblent vouloir indiquer une volonté d’apaisement. Il est encore trop tôt pour voir si cette évolution débouchera sur de nouvelles mutations et de nouvelles règles du jeu dans cette région instable. L’époque implique, dans tous les cas, une capacité d’analyse, de réflexion et d’anticipation très développée sur les évolutions qui vont peser sur les politiques étrangères de la France dans les prochaines années. Nous n’avons pas ,à un degré suffisant, comme cela existe chez plusieurs de nos partenaires, auprès du Gouvernement et de la Présidence, des structures de recherche ou des think tanks spécialisés, axés sur la prévision, les scénarios et les options stratégiques de l’Etat à moyen terme Ces structures existent, elles ne sont pas dépourvues de qualités, mais elles manquent de moyens, de soutien et d’attention au plus haut niveau.
Une position française et européenne
Les principes qui ont inspiré longtemps notre politique étrangère sont naturellement valables pour notre action diplomatique au Moyen-Orient. Il en est ainsi de l’affirmation d’une posture indépendante, fondée sur nos intérêts propres, qui n’empêche pas bien évidemment une concertation avec nos alliés, notamment les États- Unis. Notre objectif devrait être de contribuer à la paix et à la stabilité dans cette région sensible qui est une de nos priorités de politique étrangère. A cet effet, il convient de nouer des partenariats renouvelés avec les pays du Moyen-Orient. Ainsi, il est indispensable de parler avec tout le monde et de jouer les « honnêtes courtiers » : les interventions extérieures comme les sanctions ne sauraient intervenir qu’en dernier recours et dans le cadre de la légalité internationale. Cette préoccupation prend en compte des éléments de politique intérieure qui sont l’aspiration de l’opinion publique française à la sécurité, de même que la nécessité d’apaiser les tensions internes autour de l’islam. Notre politique devrait s’attacher à soutenir les aspirations à la démocratie et à l’état de droit en intensifiant le dialogue avec les sociétés civiles. Enfin il convient de rétablir l’image dégradée de la France et son soft power.
On jouera la carte de la concertation européenne tout en étant conscient que beaucoup de pays européens, soit par méfiance, soit en fonction d’intérêts propres, peuvent être réticents à s’engager dans des politiques actives dans une région que certains considèrent comme un bourbier à éviter. Cependant l’expérience prouve que l’Europe peut jouer un rôle positif sur certains dossiers, comme par exemple le nucléaire iranien. Quatre pays du Moyen-Orient qui ont noué des accords de coopération avec l’Union européenne - Israël, Liban, Jordanie et Égypte – doivent faire l’objet d’un suivi particulier. Cependant, cette concertation pourra être à géométrie variable selon les sujets, y compris avec la Grande Bretagne post-Brexit, avec laquelle nous avons souvent des analyses proches.
Notre action diplomatique pourrait suivre les orientations suivantes.
1/ Contribuer à l’apaisement dans les pays faillis ou en situation difficile.
En Libye, il y a un lourd héritage à assumer après l’intervention de l’OTAN qui a eu des effets dévastateurs non seulement pour le pays lui-même, mais, par ses conséquences, sur la situation au Sahel. Notre politique depuis lors a souvent joué de l’ambiguïté mêlant appui formel au gouvernement légal de Tripoli tout en apportant un soutien discret, mais efficace au maréchal Haftar. De même, la concertation avec l’Italie, intéressée en première ligne, n’a pas été suffisante. Ainsi la priorité devrait être donnée à la stabilité : il convient de veiller à ce que les accords conclus le 23 octobre 2020, lors du forum politique réunissant les différentes factions et organisés sous les auspices de l’ONU à Genève, soient bien mis en œuvre : cessez-le feu, mise en place d’un exécutif – Conseil présidentiel et gouvernement- dirigé par Abdel Hamid Dbeibah, formation d’un comité militaire 5 + 5 représentant les forces armées de l’est et de l’ouest du pays, processus électoral prévu en décembre, départ des milices et mercenaires étrangers. Sur ce dernier point, on veillera à la bonne application de l’accord conclu à Berlin le 23 juin sur le départ de « toutes les forces étrangères ».
Au Liban, la prise de distance avec les jeux politiques libanais complexes et obscurs s’impose. La France n’a plus la place qui était la sienne dans le passé. Le maintien de relations équilibrées entre les différentes communautés et leur représentation politique sont souhaitables. Le choix du premier ministre appartient aux Libanais : notre soutien doit être dirigé vers celui qui a la volonté affirmée de s’engager dans des réformes sérieuses et non pas être dicté par un attachement à telle ou telle famille. Le lien entre aide internationale et réformes doit être maintenu, ce qui n’empêche pas, de la part de la France, de continuer de mobiliser la communauté internationale en faveur de l’aide médicale ou humanitaire dûment contrôlée. Dans cette perspective, un troisième voyage du Président ne paraît pas opportun.
En Syrie, l’échec de la politique menée par les présidents Sarkozy et Hollande a contribué à marginaliser le rôle de la France. La nomination d’un envoyé spécial a permis de nouer un dialogue avec la Russie, l’Iran et la Turquie. Mais la volonté de la Russie de continuer à dominer le jeu, le désintérêt évident des États-Unis amorcé par le président Obama et poursuivi par ses successeurs, le refus de toute ouverture sérieuse par Bachar al-Assad ont mis ce dossier au point mort. Les travaux du comité constitutionnel créé dans le cadre des Nations unies sont paralysés. La France est devenue plus observateur qu’acteur à un moment où les pays arabes reprennent contact avec le régime syrien et, même, que certains pays européens comme la Grèce rétablissent leurs relations. Le lien entre l’aide à la reconstruction et une réforme politique significative doit être maintenu.
Au Yémen, la France jusqu’ici discrète doit contribuer à trouver une solution Elle est impliquée malgré elle à travers le matériel d’armement fourni à l’Arabie saoudite ou à Abu Dhabi – mirages, canons Caesar -. La France pourrait prendre une initiative, par exemple proposer une nouvelle résolution au Conseil de sécurité, destinée à remplacer la résolution 2016 dépassée par l’évolution de la situation. Un nouveau mandat devrait être donné à l’envoyé spécial des Nations Unies pour mettre en place un véritable cessez le feu et une solution politique fondée sur le rapport de force actuel.
En Irak, la France a un jeu à jouer. Le nouveau premier ministre Kazimi, désireux de s’affranchir de la double influence qui pèse sur lui, celle des États-Unis et celle de l’Iran, ne peut qu’accueillir favorablement l’action de la France pour promouvoir les réformes indispensables, relancer l’économie sur des bases saines et intégrer dans l’armée les différentes milices. Ce pays mérite un intérêt prioritaire.
2/ S’impliquer davantage dans la question palestinienne.
La France a marqué ces dernières années un retrait sur la question palestinienne, alors qu’elle avait joué dans le passé un rôle très actif. Cette discrétion, qui s’est parfois accompagnée d’un certain glissement vers les vues israéliennes, s’est manifestée notamment lors de la publication par l’administration Trump du « Deal du siècle » et lors de la dernière crise. Certes, la reprise des négociations de paix semble impossible, mais le maintien du statu quo recèle des dangers réels, y compris pour la sécurité d’Israël et son image, le risque d’Apartheid apparaissant évident. La France devrait pousser à de nouvelles élections de façon à permettre à l’Autorité Palestinienne de retrouver sa crédibilité et de responsabiliser le Hamas qui pourrait faire partie d’un gouvernement d’Union nationale. Les termes des conversations d’Annapolis sous le gouvernement Olmert pourraient être de nouveau mis en avant, de même que les conclusions du récent rapport de la Carnegie, même si sa portée est essentiellement économique et sociétale. L’Europe, à l’instar des États-Unis, pourrait également participer à la reconstruction de Gaza. La question de contacts avec le Hamas, qui entretient de fait un dialogue avec les autorités israéliennes, est de nouveau posée et devrait être réglée.
3/ Jouer un rôle d’un véritable médiateur dans la négociation nucléaire avec l’Iran
Le président Macron a contribué à sauvegarder l’essentiel de l’accord de Vienne de 2015 malgré les conditions du retrait américain en 2018. Encore convient-il d’éviter de soutenir la volonté américaine qui entend obtenir également une négociation sur les missiles, perspective totalement exclue par Téhéran. A ce stade, il convient d’obtenir que les États- Unis réintègrent l’accord tel qu’il est, d’annuler les sanctions prises par administration Trump à partir 2018 et d’obtenir en échange le strict respect par l’Iran des dispositions de l’accord. Mais il est clair que le maintien pérenne de la paix dans le Golfe ne sera obtenu que si un véritable accord de sécurité est conclu par les pays riverains, accord qui pourrait être garanti par les membres permanents du Conseil de sécurité. Cette idée avancée par plusieurs pays ou think tanks semble progresser dans les esprits. Un tel accord pourrait s’inspirer du précédent de l’OSCE mis en place en 1995 à Helsinki. Il suppose notamment l’établissement de mesures de confiance, d’engagement de non-ingérence et d’un mécanisme de suivi.
Plus généralement, il faudrait sans doute tenter, comme nous l’avons fait parfois, de trouver un mode spécifique de dialogue avec l’Iran Islamique, pays qui a été à l’origine de graves menaces pour la France, qui reste engagé sur des politiques qui nous sont hostiles, mais qui occupe dans la région une position importante et exerce un rôle que nous ne pouvons ignorer.
4/ Renforcer notre présence avec nos partenaires traditionnels.
La France a acquis dans le Golfe, fief britannique et américain traditionnel, une place importante, non seulement économiquement, mais également politique. Il convient de renforcer notre politique dans le Golfe à un moment où la pénétration chinoise et russe s’intensifie, notamment dans les points d’ancrage que sont l’Arabie saoudite, le Qatar et Abu Dhabi. Cette approche devra être équilibrée et, s’agissant de l’Arabie saoudite, s’efforcera de rétablir les liens de confiance qui avaient pu exister dans le passé depuis 1979. La France saisira ainsi l’opportunité que lui offrent le désengagement américain et la volonté des pays du Golfe d’assurer leur sécurité. A cet effet, des déplacements fréquents et à haut niveau sont indispensables, compte tenu de l’importance qu’ont dans cette région les affinités personnelles.
L’Égypte doit demeurer un partenaire majeur. Il convient de l’aider à rétablir son leadership et son rôle dans le monde arabe. Outre un renforcement de notre présence économique, un dialogue sans concession doit être poursuivi avec les autorités politiques, tout particulièrement sur les droits de l’homme, et avec l’université al-Azhar sur l’islam. Une coopération devrait être développée pour lui permettre notamment de moderniser des structures étatiques et administratives archaïques et un système éducatif déficient.
La Jordanie doit rester un partenaire traditionnel, même si notre relation n’a plus la qualité qu’elle pouvait avoir avec le roi Hussein. Le roi Abdallah a été fortement déçu par la politique menée en France à l’égard de l’islam, lui qui s’était personnellement engagé par sa présence à Paris au moment de l’affaire du Bataclan en 2015. Il convient de le rassurer et de retrouver avec lui des relations de confiance.
5/ Dialoguer avec nos partenaires les plus difficiles.
Nos relations avec la Turquie sont en voie d’apaisement, notamment après la rencontre en tête à tête des présidents Macron et Erdogan en marge du récent sommet de l’OTAN. Cette évolution, liée au statut réel de la Turquie comme puissance régionale, doit être confirmée en identifiant les principales sources de contentieux. Il est clair que, parmi les plus sensibles, il y a, pour la Turquie, la forte relation que les autorités françaises entretiennent avec le parti kurde syrien, le PYD, émanation du PKK, qualifié d’organisation terroriste aussi bien par la Turquie que par l’Union européenne. Une réflexion doit être menée pour concilier cette préoccupation et la nécessité de maintenir un contact avec des forces qui ont joué un rôle important dans la lutte contre l’EI. Par ailleurs, par-delà les divergences, il y de réelles possibilités de convergences sur la Syrie, comme sur la Libye, avec le souci de mettre en place des gouvernants responsables et de stabiliser la situation.
Avec la Russie et la Chine, un dialogue doit être maintenu. La stabilisation de la situation, aussi bien en Libye, en Syrie, ou en Irak, est d’intérêt mutuel, de même que le succès des négociations sur le nucléaire iranien.
6/ Poursuivre la lutte contre le terrorisme.
La menace terroriste se réclamant d’une interprétation du sunnisme est forte, avec des viviers encore actifs dans de nombreux pays du Moyen Orient, comme en Syrie ou au Yémen. Il convient qu’Al-Qaïda, y compris ses faux nez syriens réfugiés à Idlib, et l’Etat islamique soient mis dans l’impossibilité, à partir des territoires qu’ils continuent de contrôler, de projeter des actions qui puissent atteindre l’Europe.
La coopération avec les services de nos partenaires occidentaux reste un impératif majeur. Mais il convient de développer aussi une telle coopération avec les pays du Moyen-Orient, y compris la Turquie, l’Irak et l’Arabie saoudite, voire à terme l’Iran. Une surveillance particulière devrait être exercée sur les circuits de financement « privés » - fondations caritatives, familles de sensibilité salafiste - qui pleuvent exister dans les pays du Golfe parfois avec la complaisance des gouverneurs.
7/ Rétablir notre image au Moyen-Orient.
Cette orientation dépasse naturellement le seul Moyen-Orient et doit viser l’ensemble des pays arabo-musulmans où cette image s’est également dégradée du fait des débats sur le voile, la loi sur le séparatisme et la relance de l’affaire des caricatures. Expliquer la laïcité à la française est une tâche difficile. Un argumentaire renouvelé et précis rédigé avec le concours d’islamologues devrait être mis au point et diffusé par tous les vecteurs possibles : médias arabophones, réseaux sociaux, instituts français, sites des ambassades. D’une façon plus générale, notre action audio-visuelle et notre politique de communication dans la région, qui étaient reconnues pour leur efficacité dans le passé, notamment à travers la chaîne RMC-Moyen-Orient, devraient faire l’objet d’un réexamen à haut niveau et d’une action vigoureuse de développement, suivie et régulièrement évaluée.
Dans cette zone sensible, l’avenir demeure incertain. Mais des certitudes existent, notamment la volonté des sociétés, et en particulier des jeunes, de vivre mieux et d’obtenir une forme de gouvernance politique garante des libertés. Du côté européen, comme français, la politique menée est réactive et relève du pilotage à vue. Il reste à définir de façon prioritaire une véritable politique, fondée sur des objectifs stratégiques, conforme aux intérêts de la. France.
Membres du Club des Vingt : Hervé de CHARETTE –président du Club-, Roland DUMAS (anciens ministres des Affaires Etrangères), Sylvie BERMANN, Maurice GOURDAULT-MONTAGNE, Gabriel ROBIN (Ambassadeurs de France), Général Henri BENTEGEAT, Bertrand BADIE (Professeur des Universités), Denis BAUCHARD, Claude BLANCHEMAISON, Jean-Claude COUSSERAN, Dominique DAVID, Régis DEBRAY, Yves DOUTRIAUX, Alain FRACHON, Anne GAZEAU-SECRET, Jean-Louis GERGORIN, Renaud GIRARD, Bernard MIYET, Jean-Michel SEVERINO, Pierre-Jean VANDOORNE.
Club des Vingt. Siège social : 38 rue Clef, 75005 Paris. Adresse e-mail : contact@leclubdes20.fr Les reproductions et citations de la Lettre sont autorisées à condition d’en indiquer l’origine.