Pour bien évaluer la portée des conséquences de la victoire du "non" au référendum italien sur la réforme constitutionnelle il faut éviter deux erreurs d’appréciation opposées .
La première erreur est de dramatiser excessivement les conséquences immédiates de ce résultat, comme le font plusieurs journaux internationaux (« séisme », catastrophe, Ital-exit, Grillo au pouvoir). Bien sûr la démission de Matteo Renzi était inévitable, puisqu’ il a commis l’erreur de personnaliser l’enjeu du scrutin sur la modernisation constitutionnelle).
Le président de la République, Sergio Mattarella, ne veut pas d’élections anticipées et il a le pouvoir constitutionnel de les éviter, puisqu’une majorité de centre-gauche existe au parlement jusqu’en 2018. L’Italie est une République parlementaire et le chef du gouvernement n’est pas soumis à une élection directe mais à un vote d’investiture par les deux Chambres. Rappelons qu’en Grande-Bretagne, Theresa May a remplacé David Cameron sans passer par le vote populaire et que Helmut Kohl avait remplacé Helmut Schmidt en octobre 1982, après que la majorité parlementaire avait à la suite du revirement du Parti libéral, sans que le peuple allemand ait eu à se prononcer. (Il le fera quatre mois plus tard)
Concilier rigueur budgétaire et politique de croissance
Le Parti démocratique, dont Matteo Renzi est toujours le leader, va donc légitimement suggérer au chef de l’Etat le nom d’un nouveau président du Conseil.
Parmi les noms qui circulent, le prestigieux ministre de l’Economie Piercarlo Padoan. Nous le connaissons très bien car il a été notre collègue à lnstitut d’études européennes de l’ULB. Nous avons sûr que , s’il était désigné et investi par le Parlement comme nouveau chef du gouvernement, il poursuivrait avec rigueur la conciliation de l’assainissement budgétaire et de la politique de croissance et d’emploi. Donc, à court terme, les marchés et les partenaires européens n’ont pas beaucoup à craindre. Ceux qui voudraient affaiblir l’Italie, économiquement et politiquement, n’ont pas d’alibi.
La deuxième erreur, opposée, serait cependant d’ignorer le cadre européen et mondial très dangereux dans lequel se situe l’échec de Matteo Renzi au référendum constitutionnel. Les deux principaux partis italiens favorables au "non" ( le mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo et la ligue du Nord de Matteo Salvini, alliée des fascistes) sont tous les deux, avec des nuances, des adeptes affirmées de Donald Trump et des adversaires de l’euro.
Un mai 68 à l’envers
Leur victoire se situe ouvertement dans le cadre de la vaste révolte populiste contre la mondialisation et l’immigration, contre les traités internationaux au nom du protectionnisme et de l’intolérance nationaliste qui ont emmené le Brexit, la victoire de Donald Trump, les 47% pour Norbert Hofer, le candidat de l’extrême droite autrichienne, les sondages favorables à Marine Le Pen en France et à Gert Wilders aux Pays-Bas, et qui ont contribué aussi au psychodrame wallon contre le CETA (l’accord de libre-échange avec le Canada). C’est une sorte de mouvement de 68 à l’envers au nom du repli et de la fermeture nationalistes. Un risque de changement historique grave et inquiétant qui évoque nécessairement les années 1930.
Les deux partis populistes et extrémistes que sont la Ligue du Nord et le mouvement 5 Etoiles ne réussiront probablement pas à obtenir les élections immédiates en Italie. Mais ils se préparent à une victoire écrasante en 2018, si un changement profond ne se produit pas rapidement, tant en Italie qu’ en Europe. Au niveau économique, l’Italie a obtenu de la Commission de Bruxelles la fin de l’austérité. Elle doit saisir cette occasion pour lancer un plan d’investissement dans les infrastructures et la recherche.
La monnaie unique en danger
Au niveau européen, l’UE est à la croisée des chemins :
- soit l’Union européenne et ses Etats membres, notamment les amis de l’Italie, et le principal leader antipopuliste toujours au pouvoir, à savoir Angela Merkel, mais aussi la Belgique, consentent un nouvel effort de solidarité pour aider l’Italie et la Grèce à faire face aux vagues d’immigration (200 000 immigrés et réfugiés par an), en réduisant leur nombre par des accords avec les pays de provenance et en redistribuant équitablement ceux qui arrivent en Europe, contre les oppositions populistes et les murs ;
- soit l’Italie, troisième économie de l’eurozone, sera sans doute gouvernée en 2018 par des partis extrémistes qui demandent la sortie du pays de la zone Euro, mettant sans doute un terme à de la monnaie unique. A moins que l’eurogroupe ne se transforme en club des « pays 3A », ce qui reviendrait au même.