Depuis plus de deux semaines la Roumanie est secouée par une puissante vague de manifestations, les plus massives depuis celles qui ont conduit, il y a près de trente ans, à la chute du régime Ceausescu. Cette nouvelle révolution démocratique est, pour le moment, non-violente, à la différence de celle de 1989, qui avait eu pour première conséquence la mise à mort du dictateur roumain et de son épouse. Mais elle traduit un mouvement aussi profond et probablement aussi porteur d’avenir que celui qui a mis fin au communisme et permis la transition vers l’Etat de droit. La mobilisation civique qui jette dans la rue, jour après jour, des dizaines de milliers de personnes exprime la volonté d’une grande partie du peuple, comme au temps du soulèvement contre le couple Ceausescu, de se battre - avec moins de risques, il est vrai - pour promouvoir les valeurs de la démocratie.
Comme en Hongrie et en Pologne, deux Etats de l’ancien empire communiste dominés par une droite autoritaire, ce sont les tentatives de contrôle de la justice par le pouvoir politique qui sont au cœur de la révolte. Mais alors que dans ces deux pays les protestations sont restées limitées, elles ont pris en Roumanie une ampleur inattendue, qui a déjà conduit au retrait des mesures annoncées par le gouvernement et à la démission du ministre de la justice. Toutefois les manifestants veulent davantage. Ils appellent au départ du premier ministre, Sorin Grindeanu, installé à la tête du gouvernement par l’homme fort du Parti social-démocrate, Liviu Dragnea, empêché d’être nommé lui-même premier ministre par une condamnation antérieure pour fraude électorale et devenu la principale cible de la contestation, malgré la large victoire de son parti aux élections législatives du 11 décembre dernier.
Le combat de Laura Codruta Kövesi
La Roumanie est engagée depuis plusieurs années dans une lutte vigoureuse contre la corruption. Une femme incarne ce combat : Laura Codruta Kövesi, chef du Parquet national anticorruption (PNA) depuis 2013 après avoir occupé la fonction de procureur général. « Dragnea, n’oublie pas : Laura t’attend », scandaient des manifestants. Renouvelée à son poste en 2016 par le président de la République, le libéral Klaus Iohannis, elle a poursuivi plusieurs centaines de personnalités – ministres, députés, sénateurs, maires, hauts fonctionnaires – sans céder aux pressions ni abandonner la moindre parcelle de son indépendance. « La Roumanie est devenue le pays des procureurs », affirme l’ancien maire de Bucarest, visé par les enquêtes du PNA. Le chef du Parti social-démocrate, Liviu Dragnea, déjà condamné pour fraude électorale, est également poursuivi pour détournement de fonds publics dans un autre dossier.
Ce qui a suscité la colère des protestataires, c’est précisément la volonté affichée par le gouvernement de se mettre en travers de cette campagne contre la corruption, en décidant notamment qu’un détournement de fonds ne pourrait donner lieu à des poursuites pénales qu’au delà d’un seuil de 44.000 euros, une disposition qui profiterait à Liviu Dragnea, mis en cause pour un préjudice évalué à 24.000 euros. Cet affaiblissement de la législation anti-corruption a choqué, d’abord parce que le décret envisagé semblait taillé sur mesure pour le chef de file du Parti social-démocrate, ensuite parce que, selon une déclaration commune à plusieurs ambassadeurs occidentaux, il remettait en question « les progrès que la Roumanie a faits pour renforcer l’Etat de droit et combattre la corruption ». Le président de la République, Klaus Iohannis, a parlé, après l’annonce de cette mesure, d’« une journée de deuil pour l’Etat de droit ».
Attachement aux valeurs européennes
Le gouvernement a fini par renoncer mais la confiance n’est pas revenue. Les Roumains n’entendent pas se laisser faire. A l’initiative de Klaus Iohannis, un référendum devrait être organisé pour soutenir la lutte contre la corruption en donnant officiellement la parole au peuple. Celui-ci sera invité à confirmer l’engagement de la Roumanie, considérée en ce domaine comme le meilleur élève de l’Union européenne depuis son adhésion en 2007. Les manifestations provoquées par les tentatives du gouvernement social-démocrate montrent l’émergence d’une société civile qui affirme avec force son attachement aux valeurs européennes au moment où la plupart des anciens Etats communistes sont gagnés par l’euroscepticisme et le populisme.