Quatre ans après les manifestations de la place Maïdan à Kiev, qui ont conduit au renversement du régime de Viktor Ianoukovitch puis à l’annexion de la Crimée par Moscou et au soulèvement du Donbass, à l’est du pays, la situation en Ukraine reste incertaine à la fois sur le front militaire et sur celui des réformes politiques.
Un rapport conjoint de la Commission européenne et du Service européen d’action extérieure, publié le 15 novembre, en préambule à la réunion, le 8 décembre, du Conseil d’association UE-Ukraine, dresse un bilan mitigé des réformes demandées par Bruxelles en application de l’accord d’association.
Dans le langage diplomatique habituel à l’Union européenne, le rapport note « des tendances positives » dans les domaines socio-économiques, « d’importantes évolutions d’ordre législatif » dans des domaines tels que l’énergie, l’environnement, l’enseignement ou la décentralisation et « des réformes majeures » lancées dans les domaines des retraites, des soins de santé et de la sécurité alimentaire.
Il salue aussi l’action du gouvernement dans deux domaines-clés, ceux de la justice et de l’administration publique. Il souligne enfin que « l’Ukraine a continué de progresser dans la lutte contre la corruption, mais que d’autres mesures s’imposent si le pays veut transformer ces avancées en bénéfices ».
Une corruption « profondément enracinée »
Autrement dit, selon Bruxelles, des réformes ont été entreprises mais elles sont encore largement insuffisantes, en particulier pour éliminer la corruption, qui demeure la principale plaie du régime. Le commissaire chargé de la politique de voisinage, l’Autrichien Johannes Hahn, qui supervise les relations entre l’UE et les pays de l’ancien empire soviétique, le dit d’une manière directe en constatant que « la corruption est profondément enracinée » et que « des intérêts particuliers doivent être remis en cause ».
Quant à la haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, après avoir relevé quelques progrès, elle précise :« Nous attendons maintenant l’accélération du rythme de mise en œuvre des réformes, de sorte que la population ukrainienne puisse profiter de notre partenariat ».
Les réformes sont trop lentes, confirme Volodymyr Yermolenko, philosophe et journaliste ukrainien, qui était l’invité, le 21 novembre à Paris, de la Fondation Robert-Schuman, à l’initiative de Philippe de Suremain, ancien ambassadeur de France à Kiev (2002-2005).
Ce spécialiste des questions politiques relève toutefois l’importance de la réforme des marchés publics et de celle de la décentralisation, qui peuvent à contribuer à diminuer la corruption. Sa consoeur Tetyana Ogarkova, qui était également l’hôte de la Fondation Robert-Schuman, insiste sur la réforme de l’enseignement, qui généralise l’usage de la langue ukrainienne, au risque de mécontenter non seulement les Russes mais aussi les minorités hongroise ou roumaine, qui ont manifesté leur inquiétude. Elle regrette en revanche que la réforme du système judiciaire soit « inaboutie ».
La demande de justice n’est pas satisfaite, dit-elle, en référence aux enquêtes sur la répression sanglante contre les manifestants de la place Maïdan.
L’échec des accords de Minsk
Sur le deuxième grand dossier auquel doivent faire face les autorités ukrainiennes, la guerre du Donbass, qui divise le pays, pèse sur sa croissance économique et affaiblit son gouvernement, « il ne se passe rien de nouveau », explique Tetyana Ogarkova, qui évoque « une guerre de tranchées ». Le conflit semble dans l’impasse et l’Union européenne ne voit pas, pour le moment, le moyen d’en sortir. Pour autant, elle n’accepte pas le fait accompli.
Dans le rapport cité plus haut, elle renouvelle son soutien à l’indépendance, à l’intégrité territoriale, à la souveraineté de l’Ukraine et condamne une fois de plus l’annexion « illégale » de la Crimée. Enfin elle appuie « les efforts diplomatiques visant à trouver une solution pacifique durable au conflit dans l’Est de l’Ukraine par la mise en œuvre intégrale des accords de Minsk ».
Le problème est que les accords de Minsk, conclus en février 2015 par l’Ukraine et la Russie sous l’égide de l’Allemagne et la France, ne sont qu’imparfaitement appliqués. Le ministre de l’intérieur ukrainien, Arsen Avakov, vient même d’affirmer que ces accords sont « morts » et qu’il convient d’engager de nouvelles négociations pour tenter de résoudre le conflit.
Les accords de Minsk prévoyaient, outre l’instauration du cessez-le-feu, diverses mesures comme l’échange de prisonniers, le retrait des armes lourdes, le retrait des troupes étrangères, la restauration des frontières de l’Ukraine et la réforme de sa Constitution.
On est aujourd’hui loin du compte. Plusieurs tentatives de trêve ont échoué. Venant après tant d’autres, qui n’ont pas été respectés, un nouveau cessez-le-feu a été annoncé fin août pour la rentrée scolaire. En réalité, depuis la signature des accords, les combats n’ont jamais cessé. Quant à la feuille de route politique, elle est restée, pour l’essentiel, lettre morte. « On n’est plus dans la logique des accords de
Minsk », reconnaît Volodymyr Yermolenko, qui ne croit pas à la possibilité de leur mise en œuvre. « Plus on va vers l’Est, plus on est favorable aux accords de Minsk, ajoute Tetyana Ogarkova. Plus on va vers l’Ouest, plus on les perçoit comme une défaite ».
Les élections de 2019
L’impasse militaire dans l’est de l’Ukraine, comme la lenteur des réformes politiques attendues du gouvernement ukrainien, représente un revers pour le président Petro Porochenko, dont l’impuissance suscite un mécontentement croissant. La perspective des élections de 2019 – législatives et présidentielle – accroît la tension. Les adversaires de Petro Porochenko, à commencer par l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko, se préparent à la bataille. Les polémiques pré-électorales affaiblissent le président sortant et rendent encore plus difficile son action sur le double front de la politique de réforme et de la guerre du Donbass.