Au moment où les trois Etats baltes s’inquiètent de la politique expansionniste de Vladimir Poutine, diverses péripéties internes les conduisent à renouveler partiellement leurs dirigeants. Ces changements sont liés, pour l’essentiel, aux difficultés économiques que subissent ces trois pays depuis la grande crise de 2008-2009. Ils ne mettent donc pas en cause leurs relations avec la Russie, même si la question peut se poser en Estonie, et n’annoncent pas un revirement de leurs politiques à l’égard de Moscou. Ils sont pourtant le signe d’une certaine instabilité gouvernementale qui exprime, là comme ailleurs en Europe, le désarroi d’une partie de l’électorat face aux effets de la mondialisation dans des pays qui se sont ralliés avec ardeur, au lendemain de la chute du communisme, au libéralisme dominant sur le Vieux Continent.
Changements gouvernementaux
En Estonie, une nouvelle présidente, Kersti Kaljulaid, vient de succéder à Toomas Hendrik Ilves, qui occupait le poste depuis 2006, tandis qu’un nouveau premier ministre, Juri Ratas, chef du Parti du centre, a remplacé le 23 novembre Taavi Roivas, après le vote d’une motion de censure contre la coalition au pouvoir. En Lettonie, Maris Kucinskis, chef de file de l’Union des Paysans et des Verts, a été nommé, au début de l’année, par le président Raimonds Vejonis à la tête du gouvernement, après la démission de Laimdota Straujuma, qui avait elle-même succédé en 2014 à Valdis Dombrovskis, aujourd’hui vice-président de la Commission européenne. En Lituanie, les élections législatives, qui ont provoqué l’échec des sociaux-démocrates, ont eu pour conséquence la nomination de Saulius Skvernalis (Union des Paysans et des Verts) à la tête du gouvernement, le 22 novembre, sous l’autorité de la présidente de la République, Dalia Grybauskaite, ancienne commissaire européenne, élue en 2009, réélue en 2014.
Les évolutions politiques dont les Etats baltes sont le théâtre restent d’une portée limitée. Tout au plus peut-on noter un recul des sociaux-démocrates dans les trois pays, avec le départ de Toomas Hendrik Ilves à Tallinn, l’échec du centre gauche à Riga et la défaite du gouvernement à majorité social-démocrate à Vilnius. On peut aussi souligner le succès de l’Union des Paysans et des Verts, qui occupe les deux principaux postes exécutifs en Lettonie, avec le président Raimonds Vejonis et le premier ministre Maris Kucinskis, et qui prend la tête du gouvernement en Lituanie, avec Saulius Skvernalis. La dimension écologique des politiques menées dans ces deux pays sera renforcée par ces nominations mais, d’une manière générale, les inflexions attendues devraient être d’une faible ampleur. Les choix économiques dans les trois capitales ne devraient pas en être substantiellement modifiés, de même que les relations de ces Etats avec leurs partenaires de l’Union européenne.
De la Géorgie à l’Ukraine
Dans le domaine de la politique étrangère, l’attention se porte surtout sur la question russe et sur la réponse que les pays baltes entendent apporter aux initiatives de Vladimir Poutine. Depuis qu’ils ont recouvré leur indépendance en se libérant de la tutelle soviétique, ils redoutent une éventuelle intervention de leur puissant voisin russe, qui n’a accepté qu’à contre-cœur leur émancipation. Ces craintes ont été renforcées ces dernières années par l’agression contre la Géorgie en 2008 puis par l’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’Ukraine en 2014. Elles ont été encore avivées par les déclarations de Donald Trump selon lesquelles l’engagement des Etats-Unis pour venir en aide aux pays baltes, tous trois membres de l’OTAN, en cas d’une attaque de la Russie ne serait pas automatique. Les propos du futur président américain, qui remettaient en cause l’un des fondements de l’Alliance atlantique, consigné dans l’article 5 du traité, ont semé la panique au bord de la mer Baltique.
Les dirigeants baltes ne veulent pas se laisser intimider par celui que la présidente lituanienne, Dalia Grybauskaite, n’a pas hésité à comparer, il y a deux ans, à Staline et à Hitler, l’accusant de manipuler les minorités russes de la Baltique pour les mettre au service de sa volonté de conquête. Ils n’oublient pas que Barack Obama a déclaré, en septembre 2014, que « la défense de Tallinn, de Riga et de Vilnius est tout aussi importante que la défense de Berlin, de Paris et de Londres ». Ils ont apprécié que l’OTAN ait décidé, en juillet dernier, d’accroître sa présence militaire dans les Etats baltes pour rassurer les populations.
Doute en Estonie
En Lituanie comme en Lettonie, les nouveaux gouvernements qui viennent de s’installer au pouvoir sont unanimes à dénoncer les provocations russes, comme le déploiement de missiles dans l’enclave de Kaliningrad. Un doute a pu s’installer sur la détermination du nouveau gouvernement estonien. Le Parti du centre, qui a renversé la coalition sortante, a été en effet suspecté de sympathies pro-russes après que son ancien président, Edgar Savisaar, a approuvé l’annexion de la Crimée par la Russie. Mais la nouvelle direction du parti, sous la conduite de Juri Ratas, désormais premier ministre, a défendu une orientation différente, qui a permis la formation de la nouvelle équipe gouvernementale, sans lien avec Moscou. Reçue le 7 décembre à l’Elysée par François Hollande, la présidente estonienne, Kersti Kaljulaid, a souligné que la sécurité est l’affaire de tous.
Même si beaucoup d’observateurs ne croient pas que la Russie ait vraiment l’intention d’envahir les Etats baltes, ceux-ci n’entendent pas baisser leur garde. Dans un récent entretien pour The Daily Beast-Atlantico, le ministre lituanien des affaires étrangères, Linus Linkevicius, souligne « l’étendue et l’importance de la propagande russe », ajoutant : « Dans une bataille classique, vous auriez l’artillerie puis la vraie bataille. Maintenant, vous avez le lavage de cerveaux et ensuite ils arrivent. C’est ce qui s’est passé en Crimée car les gens étaient manipulés par la propagande des médias d’Etat. Les locaux s’attendaient à ce que les bandits et les fascistes viennent les tuer. Ils étaient persuadés que cela allait arriver et c’est pour cela qu’ils étaient très heureux d’accueillir les soldats russes qui venaient les sauver ». Quant à l’ancien président estonien Toomas Hendrik Ilves, il affirme dans le même entretien : « Si l’Estonie ou tout autre membre était envahi et que l’article 5 n’était pas invoqué, l’OTAN s’écroulerait. Si elle tombe une fois, l’alliance n’existera plus jamais. C’est ça aussi, la cohésion de l’Europe, car on ne sait jamais qui sera le suivant ».