Les Européens spectateurs impuissants de la tragédie syrienne

Il y a deux mois, le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker se demandait avec inquiétude si l’Europe resterait à la pointe du combat pour la défense de ses valeurs ou si elle disparaîtrait de la scène internationale, faute de volonté politique et de moyens militaires. Le conflit syrien a apporté la réponse : les Européens ont laissé les Russes et les Iraniens occuper le terrain, démontrant leur impuissance. L’Union européenne sera-t-elle capable de retrouver sa place dans le monde ? Les Etats membres discutent de la mise en place d’une défense européenne. Pour le moment, ils en sont loin.

Le commandement de l’opération européenne Atalante au large de la Somalie

La chute d’Alep est un succès incontestable pour la Russie et pour l’Iran, qui ont assuré la victoire du régime de Bachar el-Assad et se retrouvent désormais, selon l’expression d’Alain Frachon dans Le Monde, « comptables » de l’avenir de la Syrie. Elle marque aussi un échec de la diplomatie occidentale et, en particulier, de la diplomatie européenne, qui s’est montrée incapable d’enrayer l’offensive, ou plutôt la contre-offensive, des forces mises en mouvement par le président russe, Vladimir Poutine, et par le guide iranien, Ali Khamenei. Les Européens ont brillé par leur absence. Ils n’ont été que les spectateurs impuissants de la tragédie qui s’est jouée dans le Nord de la Syrie, sans autre riposte que la vaine expression de leur indignation et l’affirmation stérile de leur condamnation.

Les propositions de Jean-Claude Juncker

Il y a deux mois, dans son discours sur l’état de l’Union, le 14 septembre, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, manifestait son inquiétude en s’interrogeant sur le rôle de l’Europe dans le monde. « L’Europe, demandait-il, restera-t-elle à la pointe du combat en faveur des droits humains et des valeurs fondamentales ? L’Europe parlera-t-elle d’une seule voix quand l’intégrité territoriale d’un pays sera menacée, en violation du droit international ? Ou l’Europe disparaîtra-t-elle de la scène internationale en laissant à d’autres le soin de façonner le monde ? ».
La réponse est venue, plus tôt qu’il ne l’escomptait : en Syrie, l’Europe a laissé à d’autres la responsabilité de dessiner l’avenir de la région. Elle a renoncé à peser sur la situation, se résignant à l’inéluctable, faute de volonté et de moyens d’action.
Le président de la Commission ne se satisfait pas de cette faiblesse de l’Europe. « Même si l’Europe est fière d’être une puissance douce qui revêt une importance mondiale, nous ne devons pas être naïfs, déclarait-il dans son discours. La puissance douce ne suffit pas dans un voisinage de plus en plus dangereux ».
Dans le cas de la Syrie, Jean-Claude Juncker appelle l’UE à « développer une stratégie européenne » afin de « contribuer à la reconstruction d’une nation syrienne pacifique et d’une société civile pluraliste et tolérante ». Il souhaite que la haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, devienne une véritable ministre européenne des affaires étrangères, « qui rassemblera tous les corps diplomatiques, tant des petits que des grands pays, pour pouvoir peser sur les négociations internationales ».

Poursuivre le dialogue

Les chefs d’Etat et de gouvernement, réunis à Bruxelles le 15 décembre au sein du Conseil européen, ont donné leur aval à ces orientations en affirmant que « l’UE œuvrera de manière constructive avec tous les partenaires, sous les auspices des Nations unies, pour progresser vers une transition » en Syrie et en invitant la haute représentante, Federica Mogherini, à « poursuivre le dialogue direct qu’elle mène actuellement avec l’ensemble des partenaires concernés ». En attendant, le Conseil a condamné « avec force » la poursuite de l’offensive du régime syrien et de ses alliés, notamment la Russie et l’Iran, sur Alep, y compris les attaques visant délibérément des civils et des hôpitaux, et soutenu « sans réserve » le plan humanitaire des Nations unies.

Par delà ces déclarations de principe, l’Union européenne paraît hors du jeu quand il s’agit de passer des paroles aux actes. Que faire ? On ne peut que souscrire au jugement de François Fillon, l’ancien premier ministre devenu le candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle, lorsqu’il souligne que le « martyre » du peuple syrien témoigne de « l’échec de la diplomatie occidentale et singulièrement de la diplomatie européenne » et lorsqu’il ajoute que, pour « arrêter le massacre », il n’y a que deux solutions. L’une, qu’il désapprouve, serait une intervention militaire, conduite par les Américains. L’autre serait « une initiative puissante, européenne, diplomatique pour mettre autour de la table toutes les personnes qui peuvent arrêter ce conflit sans exclusive et donc y compris ceux qui commettent des crimes aujourd’hui ».

La question de la défense européenne

A l’arrière-plan de ce débat sur le rôle diplomatique de l’Union européenne se pose la vieille question d’une défense européenne, qui servirait de base à la « puissance douce » (soft power) de l’Europe pour lui permettre de construire la « puissance dure » (hard power) dont elle est privée. La discussion sur ce sujet n’est pas nouvelle. La nouveauté du discours de Jean-Claude Juncker est la proposition d’un plan d’action européen pour la défense, dont le volet principal serait la création d’un Fonds européen de la défense « pour stimuler activement la recherche et l’innovation » et renforcer l’industrie européenne de la défense. L’approche est principalement économique, conformément aux compétences reconnues à la Commission. Le Conseil européen a pris acte de ce plan et s’est engagé à l’examiner dans les prochains mois. Il reconnaît que l’Europe doit « consentir plus d’efforts », notamment en mobilisant « suffisamment de ressources supplémentaires », pour assumer sa responsabilité.

Dans l’immédiat, les Européens vont tenter d’utiliser la maigre marge de manœuvre qui leur reste pour se faire entendre. Ils disposent de quelques armes encore, comme l’aide humanitaire, dont ils sont les champions, l’arsenal des sanctions, qui viennent encore d’être renforcées, ou les perspectives de la reconstruction. L’UE a ainsi annoncé, à l’issue du Conseil européen, qu’elle n’apporterait son soutien à la reconstruction de la Syrie que « lorsqu’une transition politique crédible sera véritablement engagée ». Ce qui est en jeu, c’est le maintien, ou non, de Bachar Al-Assad à la tête de l’Etat. Sur ce point, les Européens, jusqu’à ce jour, n’ont pas été entendus. Le seront-ils davantage dans les prochains mois ? Pour le moment, leur voix reste faible.