La déclaration politique conjointe du 30 janvier 2020 accompagnant l’accord de sortie prévoit " un partenariat ambitieux, large, approfondi et souple en matière de coopération commerciale et économique - avec en son centre un accord de libre-échange complet et équilibré-, de services répressifs et de justice pénale, de politique étrangère, de sécurité et de défense, ainsi que des domaines de coopération plus larges " [1]. Ouvertes en février 2020, les négociations sur le futur accord ont été ralenties par la pandémie de Covid-19. Les 27 Etats membres ont décidé que la défense de leurs positions serait, comme pour l’accord de sortie, confiée à la Commission européenne représentée par un négociateur unique, le Français Michel Barnier. Du côté britannique, l’ancien diplomate, David Frost, est en charge de défendre les positions du gouvernement dirigé par Boris Johnson, mais se trouvera appelé à une autre fonction de Conseiller du gouvernement pour la sécurité nationale à compter de septembre 2020. Si les négociations ont pu reprendre en tête-à-tête à Bruxelles fin juin 2020, elles progressent très modestement sur le fond. D’où une légitime question : un accord sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne pourrait-il voir le jour le 31 décembre 2020, alors que le gouvernement de Boris Johnson n’a pas voulu utiliser la possibilité offerte jusqu’au 30 juin 2020 de prolonger la période de transition et donc la négociation ? Assiste-t-on au risque de terminer l’année 2020 sans accord (no deal) et d’avoir des relations économiques entre le Royaume-Uni et l’Union européenne régies par le droit commun de l’Organisation mondiale du commerce ?
Le contexte politique reste clivé
Avant même que la négociation débute, les deux parties ont tenu à afficher plusieurs principes et lignes rouges pour en fixer le cadre.
Du côté britannique, la feuille de route présentée par le premier ministre au Parlement britannique, en février 2020, insiste sur la nécessité pour le Royaume-Uni de " recouvrer complètement son indépendance économique et politique ". Elle présente la relation future avec l’Union européenne comme devant s’établir entre des " égaux souverains " (sovereign equals) [2]. Cette rhétorique souverainiste est constamment mise en avant par les négociateurs britanniques. Contrairement à la situation sous Teresa May, la confortable majorité de 80 sièges dont dispose Boris Johnson à la Chambre des Communes lui permet de marteler le slogan de la " reprise du contrôle " sans grande opposition au sein du Parti conservateur. Le gouvernement britannique a été, en outre, composé essentiellement autour de partisans convaincus du Brexit qui incarnent une ligne de négociation ferme avec l’Union européenne.
Pour sa part, le Parti travailliste a perdu trop de sièges aux élections législatives de décembre 2019 pour se montrer un opposant de poids, bien que son nouveau leader, Keir Starmer, ait progressivement débarrassé la direction du parti de la vieille gauche anti-européenne, proche de son prédécesseur, Jeremy Corbyn, pour revenir à une ligne plus centriste et clairement anti-Brexit. Enfin, l’opinion publique britannique demeure partagée. Selon un sondage du 12 juin 2020, 40% des sondés trouvaient que le Brexit était une bonne décision contre 47% qui la trouvaient rétrospectivement mauvaise. En cas de nouveau vote, seuls 33% des sondés se disaient favorables au retrait de l’Union contre 47% au maintien dans l’Union. Toutefois, plus de 25% des électeurs restaient indécis. Alors que le PIB britannique devrait chuter de 11,5% en 2020 en raison du Covid-19, les milieux d’affaires sont ceux qui rappellent le plus explicitement à Boris Johnson que l’économie du pays ne saurait se montrer résiliente en cas de " no deal ". Après Carolyn Fairbairn, présidente de l’association du patronat britannique CBI, 100 chefs d’entreprises ont envoyé fin juin 2020 une lettre à Boris Johnson pour lui signifier qu’un " no deal " impliquerait " d’énormes dégâts supplémentaires " pour l’économie britannique.
Du côté de l’Union, il est fait le plus souvent référence à la déclaration conjointe du 30 janvier 2020, appelant à un accord " compatible avec les principes de l’Union, eu égard en particulier à l’intégrité du marché intérieur et de l’union douanière, et à l’indivisibilité des quatre libertés ". Michel Barnier le rappelle régulièrement en s’appuyant sur le soutien des 27 Etats membres. Aucun Etat membre de l’Union européenne ne veut en effet prendre le risque de faire des concessions au Royaume-Uni qui menacerait l’intégrité du marché intérieur, car il s’agit d’un intérêt majeur de leur participation à l’Union. Comme lors de la négociation de l’accord de sortie, le Brexit n’est pas un sujet qui divise fondamentalement les 27 Etats membres, ce qui contribue à placer plutôt le rapport de force du côté de l’Union européenne dans la négociation.
En ce mois de juillet, chaque partie approche donc la négociation munie de lignes rouges. Pour le Royaume-Uni, il n’est pas question de rester lié à l’ordre juridique de l’Union et aucune concession affectant le fonctionnement global du marché intérieur n’est acceptable pour les 27 Etats membres. Chaque protagoniste est informé des limites fixées par l’autre dans un contexte où le temps presse suite au refus britannique de prolonger la période de transition. La Commission européenne aurait pourtant aimé disposer de ce temps supplémentaire. L’équipe de Michel Barnier rappelle régulièrement à celle de David Frost la contrainte réaliste d’achever la négociation au plus tard en octobre 2020, afin que l’accord puisse être soumis au Parlement européen et aux parlements nationaux avant d’entrer en vigueur le 1er janvier 2021 Devant un Royaume-Uni qui joue incontestablement la précipitation, l’un des risques majeurs est l’acceptation par l’Union de compromis peu clairs, à l’instar du Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du nord lors de la négociation sur la sortie, laissant ensuite une latitude aux Britanniques pour mettre en œuvre comme bon leur semble. Aucun des 27 Etats membres ne souhaitant porter la responsabilité d’un " no deal ", le Royaume-Uni cherche à en retirer des avantages dans la négociation.
Les dossiers de la négociation en cours
A l’issue de quatre rounds de négociation, Michel Barnier concluait le 2 juillet 2020 que " de sérieuses divergences demeuraient " et donnait rendez-vous à la délégation britannique le 20 juillet pour progresser. A ce stade, plusieurs divergences semblent l’emporter sur le consensus. Il est possible d’identifier cinq sujets qui demeurent non réglés.
1. La structure de l’accord : l’Union européenne souhaite, depuis le début, un accord doté d’un cadre institutionnel unique qui puisse couvrir tous les aspects de la future relation. Pour l’Union, la relation avec le Royaume-Uni doit être traitée, car ce pays a été un Etat membre pendant 47 ans et dispose, à ce titre, d’une intégration sans comparaison avec les autres Etats tiers. A l’inverse, le gouvernement britannique rappelle son objectif d’une souveraineté retrouvée et craint un accord global qui continuerait de le lier trop étroitement aux institutions européennes. C’est la raison pour laquelle le Royaume-Uni préférerait une série d’accords sectoriels, dont l’un organiserait le libre-échange commercial. Cette stratégie préférée par Londres vise aussi à engranger des bénéfices à la carte (que rend bien le verbe anglais " to cherry-pick ") en éliminant le plus possible toute les obligations qu’avait le Royaume-Uni en tant qu’Etat membre. Au final, la question du cadre institutionnel unique sera la plus importante pour l’Union. Son acceptation par les Britanniques rendrait certainement possible la coexistence de deux ou trois accords différenciés.
2. Des règles du jeu équitables (" level playing field ") dans les échanges économiques : compte tenu de l’ampleur des échanges (le Royaume-Uni continue de réaliser 53% de ses importations et 47% de ses exportations avec l’Union européenne en juillet 2020), l’Union européenne est prête à consentir à un libre-échange sans droits de douane à l’unique condition que les deux parties se mettent d’accord sur un mécanisme d’ajustement obligatoire des règles de concurrence en matière sociale, environnementale, mais aussi d’aides d’Etat aux entreprises (qui ont eu tendance à croître au Royaume-Uni avec le Covid-19). Cette condition est particulièrement importante pour les Etats membres dont les échanges avec le Royaume-Uni sont les plus élevés en termes de PIB et qui ne veulent pas affronter les effets d’une dérégulation normative d’inspiration néolibérale : l’Irlande tout d’abord, mais aussi l’Allemagne, les Pays-Bas ou le Danemark. Michel Barnier est prêt à trouver, sur ce sujet, un compromis opérationnel pour aligner les réglementations, sans que cela ait encore donné lieu à des positions très précises. Du côté britannique, on n’exclut pas un compromis par lequel le Royaume-Uni conserverait le droit de s’écarter des normes européennes dans certains domaines comme les aides d’Etat, tout en acceptant le droit de l’Union d’imposer des droits de douane supplémentaires en retour. L’Union européenne a du mal à s’en contenter, car un accord de libre-échange ne peut pas se limiter à la question tarifaire. De plus, elle mesure que ce type de dispositif fait courir le risque d’un compromis bancal qui, comme le Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord, peut laisser court à une interprétation large du Royaume-Uni lors de la mise en œuvre.
3. La pêche
: Il s’agit d’un secteur qui représente une part très réduite du PIB du Royaume-Uni comme de l’Union européenne (1,5% du PIB de l’Union en 2020), mais dont dépendent des emplois souvent très localisés. Le secteur de la pêche a la caractéristique de donner naissance dans les Etats membres à une politisation bien supérieure au poids objectif qu’il représente dans l’économie. Au Royaume-Uni, la souveraineté des stocks halieutiques a été largement brandie comme un slogan par les partisans du Brexit lors du référendum de juin 2016. Pour leur part, les associations anglaises et écossaises de pêcheurs ont apporté des soutiens explicites à la cause d’un Brexit dur. Conformément aux règles de la politique commune de la pêche, neuf Etats membres de l’Union européenne (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Irlande, Pays-Bas, Pologne et Suède) disposent de quotas de capture dans les eaux britanniques. Ils y réalisent des revenus 4,9 plus élevés que ne le font les pêcheurs britanniques dans les eaux des pays de l’Union. Par exemple, 50% des revenus des pêcheurs belges sont assurés dans les eaux britanniques. Il est, dès lors, logique que plusieurs Etats membres de l’Union européenne souhaitent un statu quo après le 1er janvier 2021, avec accès aux zones de pêche britanniques et des mesures techniques inchangées. Le Royaume-Uni répond à l’Union européenne qu’il souhaite retrouver sa pleine souveraineté et en appelle à une négociation quota par quota.
Mais il y a une deuxième dimension dans le dossier de la pêche qui est l’accès aux marchés. Une majorité des captures des navires britanniques n’est pas vendue au Royaume-Uni (faible consommateur de produits de la mer), mais est exportée vers quatre Etats membres de l’Union européenne : la France, les Pays-Bas, l’Irlande et l’Espagne. Disposant tous d’une flotte, ces pays encouragent l’Europe à jouer sur l’accès au marché européen des produits britanniques pour exiger des concessions en matière de droit d’accès. Ce lien accès - marché opéré par les Etats explique la préférence du gouvernement britannique pour un accord séparé sur la pêche qui aurait comme avantage de déconnecter la question des captures de celle des échanges commerciaux. Le rapport de force économique n’étant pas complètement du côté de l’Union européenne sur ce dossier, les 27 Etats membres de l’Union européenne affichent pour l’instant le principe de leur unité en se réservant des compromis pour la fin de la négociation.
4. La gouvernance de l’accord constitue également un point d’achoppement. L’Union européenne souhaite, en effet, mettre en place un mécanisme global de règlement des conflits en cas de violation de l’accord et, tout particulièrement, des règles du jeu équitables. Un tel dispositif implique une interprétation des normes européennes que cette dernière veut logiquement confier à la Cour européenne de Justice. Cette demande fait appel à une institution que les partisans du Brexit ont présentée comme le symbole de l’atteinte à la souveraineté nationale pendant toute la campagne référendaire. Le Royaume-Uni campe donc sur une position consistant à refuser toute référence au travail des juges de Luxembourg, sans qu’une véritable porte de sortie ait, pour l’instant, été trouvée.
5. Il reste enfin les domaines régaliens de coopération
que sont, d’une part, la sécurité intérieure et la justice et, d’autre part, la politique étrangère et de sécurité commune. L’Union européenne souhaite les voir inclus dans l’accord global. Pour sa part, le Royaume-Uni attache de l’importance à la sécurité intérieure et à la justice pour lequel il est demandeur d’une coopération très large comprenant les échanges de données génétiques, d’empreintes digitales ou encore de casiers judiciaires. Les Etats membres de l’Union européenne y sont favorables aussi, mais souhaitent que le Royaume-Uni accepte de s’engager sur les droits fondamentaux définis par l’Europe et les pouvoirs de la Cour européenne de Justice. C’est un domaine dans lequel la marge de progression semble cependant possible, car il touche à la sécurité quotidienne des deux parties. En revanche, le Royaume-Uni refuse toute négociation sur la politique étrangère et de sécurité commune, alors que les Européens ont exprimé des attentes, notamment en matière d’harmonisation des sanctions à l’égard des tiers. La position britannique s’explique par la volonté de préserver l’indépendance de sa diplomatie, mais aussi par une réticence ancienne d’institutionnaliser sa coopération. Cela ne signifie nullement que le Royaume-Uni n’aura pas d’échanges en matière de politique étrangère et de sécurité avec l’Union européenne et, notamment, la France et l’Allemagne, sachant que les dix dernières années ont marqué une proximité sur de nombreux dossiers (traité de dénucléarisation de l’Iran, situation en Ukraine ou conflit israélo-arabe). Mais le Royaume-Uni souhaite que cette coopération demeure purement informelle, par exemple dans le cadre du E3 (Berlin-Londres-Paris). Il y a fort à parier que l’Union européenne n’insistera pas trop dans la négociation sur la politique étrangère et de sécurité commune qui a toujours été soumise en son sein à une forte logique intergouvernementale.
En cette fin juillet, il reste donc beaucoup d’efforts à accomplir pour déboucher sur un compromis satisfaisant pour les deux parties. L’accord sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne devrait, de ce point de vue, beaucoup mobiliser la présidence allemande du Conseil.
Les Etats membres et la négociation
Si l’Union européenne a connu, depuis la crise grecque, plusieurs débats très clivants entre Etats membres, le Brexit a été, à l’inverse, un sujet où la cohérence des positions a été très présente. Les négociateurs britanniques ont dû accepter cette réalité dès la négociation du traité de sortie et abandonner leurs espoirs initiaux de diviser leurs 27 partenaires européens, notamment la France et l’Allemagne. Le choix européen de confier la négociation à Michel Barnier a joué un rôle dans la défense de l’unité. Plus fondamentalement, l’intérêt politique et économique de tous les Etats membres de préserver l’intégrité du marché intérieur face aux demandes britanniques a été le facteur essentiel de la cohésion. Plusieurs Etats membres traditionnellement proches du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, comme la Suède, les Pays-Bas, la Pologne et la République tchèque, n’ont jamais dérogé à la règle de l’unité, parce que le marché intérieur demeure un élément fondamental de leur adhésion. Les négociateurs britanniques, habitués dans leur culture politique à jouer l’antériorité des solidarités informelles, ont parfois eu du mal à comprendre cette réalité, comme l’explique Peter Wittig [3], ancien ambassadeur allemand à Londres.
Parmi les Etats membres, la France et l’Allemagne n’affichent pas de différence essentielle dans la négociation de l’accord, bien que le Président français Emmanuel Macron adopte souvent une rhétorique plus dure que la Chancelière allemande Angela Merkel lorsque les demandes britanniques paraissent contestables. La presse britannique, souvent prompte à donner une lecture intergouvernementale de l’Union européenne, aime à souligner le poids de l’Allemagne et l’intérêt à défendre les exportations de son industrie dans la relation future avec le Royaume-Uni [4]. Il y a une grande attente à Londres à l’égard de la présidence allemande du Conseil de déboucher sur un accord pragmatique permettant d’éviter le " no deal ". C’est oublier un peu vite que la Chancelière allemande ne compromettra jamais la solidarité tissée autour du plan européen de sauvetage pour l’avancée coûte que coûte du Brexit. Comme elle l’a déclaré à la presse européenne le 29 juin, tout accord présuppose " que les deux parties le veuillent ", c’est-à-dire qu’il ne saurait se faire à n’importe quel prix.
La République d’Irlande est l’Etat membre le plus concerné par le Brexit tant sur le plan économique que politique. L’intérêt essentiel de Dublin se manifesta cependant lors de l’accord de sortie. Il fallait absolument éviter le rétablissement d’une frontière terrestre entre la République d’Irlande, Etat membre de l’Union, et l’Irlande du Nord, territoire du Royaume-Uni et maintenir l’Irlande du Nord dans le territoire douanier de l’Union européenne, ce que le Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord a réglé. Le Royaume-Uni étant le premier partenaire de la République d’Irlande pour ses importations et le deuxième pour ses exportations, la question des règles du jeu équitables n’en demeure pas moins essentielle pour Dublin qui soutient pleinement la position de Michel Barnier. Il en va de même pour le droit d’accès des pêcheurs irlandais aux eaux britanniques.
Après l’Irlande, le Danemark et les Pays-Bas comptent parmi les Etats membres de l’Union européenne les plus concernés par la relation future avec le Royaume-Uni, tant pour ce qui est des échanges commerciaux que de la pêche. Tous les deux sont attachés aux dispositions du "level playing field " permettant de prémunir contre une concurrence normative déloyale. Par exemple, les Pays-Bas souhaitent attirer des activités de services qui étaient auparavant à Londres sans avoir à y renoncer par la suite. La fermeté néerlandaise sur le marché intérieur n’empêche pas ce pays de regretter, sur le plan politique, le départ du Royaume-Uni qui était un point d’appui à ses positions en matière de libre-échange ou de rigueur budgétaire au sein de l’Union. Les Pays-Bas ont, de ce point de vue, tendance à vouloir exercer un rôle politique précédemment dévolu aux Britanniques, en apparaissant les chefs de file de la " Nouvelle Ligue Hanséatique " [5] sur les questions de la zone euro ou encore des Etats dits " frugaux " dans la négociation du plan de sauvetage post-Covid.
Les quatre pays de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) ont toujours considéré le Royaume-Uni comme un utile contrepoids au couple franco-allemand au sein de l’Union. Aussi ont-ils regretté le Brexit, malgré la proximité idéologique de certaines forces politiques (comme le Fidesz en Hongrie ou le PiS en Pologne) avec les pro-Brexit. Si l’intégrité du marché intérieur paraît fondamentale à leurs intérêts, ces pays n’expriment pas de positions publiques fortes à l’égard des négociations sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Pour eux et, plus particulièrement, pour la Pologne, la question essentielle était le droit pour leurs émigrés de rester au Royaume-Uni après le 1er janvier 2021, qui a été en partie réglé par l’accord de sortie. Si la Pologne se montre attentive aux dispositions de la nouvelle politique migratoire de Londres qui vise à attirer exclusivement des travailleurs qualifiés et des hauts salaires, elle n’a pas hésité à négocier de manière bilatérale avec le Royaume-Uni en mai 2020, à la suite de l’Espagne, du Luxembourg et du Portugal, un accord de réciprocité garantissant le droit de vote des citoyens résidant dans l’autre pays aux élections locales.
Au final, les Etats membres de l’Union européenne font preuve d’un front commun à l’égard de la négociation menée par Michel Barnier. Les nuances se feront peut-être sentir à la fin de la négociation, entre les pays prêts à dépasser légèrement les termes de la Déclaration conjointe pour aller vers un accord, et ceux prêts à assumer un " no deal " devant des demandes britanniques considérées exorbitantes. Mais si aucun Etat membre de l’Union européenne ne voulait le Brexit, aucun ne souhaite non plus vraiment un " no deal ".
En juillet, les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sont donc loin d’être achevées. De nombreuses questions sensibles demeurent en suspens. Le calendrier du mois de septembre sera nécessairement chargé en raison du souhait britannique d’aboutir à un accord applicable le 1er janvier 2021. La présidence allemande du Conseil aura un rôle crucial à jouer dans la conduite des discussions avec Londres. Le fait que l’Allemagne soit en charge des compromis finaux tombe assez bien. Le respect du partenaire " puissant " fait partie de l’approche qu’ont les Conservateurs britanniques de la politique étrangère. Londres aurait toutefois tort de s’illusionner sur une bienveillance à tout crin du Conseil présidé par Berlin. Le négociateur européen Michel Barnier saura rappeler les lignes rouges et l’Allemagne n’ira pas contre celles-ci pour des raisons à la fois d’intérêt industriel et de solidarité européenne considérée importante par Angela Merkel.
Il y a de fortes chances pour qu’un accord soit trouvé à l’arraché entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, amenant Boris Johnson à faire des concessions de dernière minute tout en maintenant sa rhétorique bravache sur la " reprise du contrôle " à destination de son électorat pro-Brexit. Si la négociation se solde par un échec et donc un " no deal ", le grand perdant sera le Royaume-Uni en raison des liens d’interdépendance économique forts qui le lient encore à l’Union européenne. Face à un gouvernement britannique qui semble souvent préférer l’idéologie aux faits quand il s’agit du Brexit, contredisant totalement toutes les affirmations sur un prétendu pragmatisme politique au Royaume-Uni, les grands entrepreneurs britanniques seront présents pour rappeler au locataire du 10, Downing Street le sens des réalités. Mais cela suffira-t-il ?