M. Macron, mordez la main qui vous a nourri !

Spécialiste des Etats-Unis à l’université de Turin et ancien président de la commission des affaires étrangères du Sénat italien, Giangiacomo Migone appelle Emmanuel Macron à ne pas oublier pourquoi certains électeurs français ont voté pour Marine Le Pen. Il l’invite à "mordre la main qui l’a nourri" et à insister sur l’intégration de plus en plus étroite de l’Europe.

Si par hasard je rencontrais le nouveau président de la République française, voici ce que je lui dirais :
Cher Monsieur Macron, comme l’a dit dans un récent débat Eric Foner, l’historien américain spécialiste de la reconstruction après la Guerre de sécession,, il existe des surprises dans l’histoire. Votre élection en est une, mais il serait encore plus surprenant qu’une fois président de la France vous démentissiez ce que jusqu’à aujourd’hui vous avez représenté et que, probablement, vous êtes. Un brillant jeune diplômé de l’ENA, banquier en herbe, vecteur hyperlibéraliste de l’orthodoxie économique à l’intérieur de cette politique gouvernementale qui a mis un président théoriquement social-démocrate dans l’impossibilité de pouvoir même être candidat à sa propre succession.
Ils sont très puissants, les lobbies qui ont inventé et imposé votre candidature ; ils sont même irrésistibles compte-tenu du caractère rédhibitoire de votre adversaire.
Quelques fois, très rarement, les surprises de l’histoire, en bien comme en mal, s’incarnent dans une personne. C’est ainsi qu’un avocat des chemins de fer, presque inconnu, originaire de la périphérie de son pays, un dénommé d’Abraham Lincoln, en a sauvé l’unité, en gagnant une guerre civile et en le libérant de l’esclavage… Ou que le frère de Napoléon, Lucien, toujours inconnu du plus grand nombre, dans un moment de totale défaillance de sa part, a assuré l’ascension du futur empereur qui mettra à feu et à sang un continent entier.
Roger Cohen, éditorialiste politique parfaitement respectable, à la une du New York Times, a invité avec raison ses amis français — il a vécu en France de nombreuses années—, à sauver ce qui reste de valeurs républicaines en votant Macron. Avant d’énumérer les infamies que représente Marine le Pen, il a, à juste titre également, énuméré ses points forts : « Les facteurs qui ont contribué à son ascension seront familiers aux Américains qui ont pensé que Donald Trump était une plaisanterie, puis un prétendant improbable, et ont découvert à la fin qu’il était devenu leur président. Ils comprennent la colère contre l’establishment, une conviction que la mondialisation constitue un système manipulé dans l’intérêt des riches, l’exaspération devant l’impunité des techniciens de la finance de l’effondrement de 2008 et de la crise de l’euro, le fossé culturel et économique entre les métropoles connectées et la périphérie négligée, l’inégalité croissante et les centres industriels désertés. »
Si l’on ajoute à ces points la détérioration progressive de ces garanties démocratiques qui ont porté Cohen à prendre parti pour Macron, et la détérioration de l’habitat naturel ainsi que la troisième guerre mondiale rampante, plusieurs fois évoquée par le pape François, la liste est complète. Une maudite réalité, et non le fruit de quelque manipulation diabolique dont on pourrait se débarrasser comme s’il s’agissait simplement d’une démagogie populiste.
Il y a deux possibilités. Ou Emmanuel Macron restera égal à lui-même et alors, il finira tôt ou tard comme Tony Blair, Hillary Clinton, François Hollande, et j’espère Mateo Renzi, ouvrant la voie à quelque chose de pire. Ou bien nous assisterons à une des plus surprenantes métamorphoses personnelles que l’histoire n’annonce pas, mais admet parfois, dans des cas comme le vôtre, M. Macron, là où les intérêts existants ne peuvent rien faire d’autre que de se retourner vers vous. Cela vous porterait à affronter ces maux qu’on vient d’évoquer, mordant la main qui jusqu’alors vous a nourri.
Une dernière suggestion. Restez fidèle à un seul élément de votre identité précédente : restez favorable à une Europe le plus unie possible. C’est une condition essentielle à la réalisation de ce que nous avons dit.