Macron est-il isolé dans l’Union ?

Les idées ambitieuses défendues par Emmanuel Macron dans plusieurs de ses discours, et en particulier dans celui de la Sorbonne en septembre 2017, pour relancer l’Union européenne n’ont pas trouvé beaucoup d’échos chez ses partenaires. Le style considéré comme arrogant du président français a souvent déplu. Quant au projet lui-même, il suscite au mieux un aimable scepticisme en Europe. Emmanuel Macron est-il isolé au sein de l’UE ? Pour Carnegie Europe, Judy Dempsey a posé la question à un panel d’experts (journalistes, chercheurs, diplomates), dont plusieurs appellent l’Allemagne à prêter une oreille plus attentive aux propositions françaises.

Emmanuel Macron et Charles Michel à Bruxelles le 20 novembre 2018
Yves Herman/Reuters/France 24

Emmanuel Macron s’est rendu en Belgique, les 19 et 20 novembre, pour une visite d’Etat. Selon le quotidien La Libre Belgique, les dirigeants des deux pays voulaient « dire haut et fort leur passion pour l’Europe ». Il faut remonter à Georges Pompidou pour retrouver le souvenir d’une visite de cette nature. La rencontre entre le président français et le premier ministre belge, Charles Michel, était notamment destinée à souligner l’entente franco-belge quelques semaines après l’annonce par Bruxelles de l’achat d’avions américains F35 plutôt que d’avions européens. La veille, Emmanuel Macron s’était exprimé à Berlin devant le Bundestag. Il avait invité le couple franco-allemand à « ne pas laisser le monde glisser dans le chaos » et l’avait appelé à « doter l’Europe des outils de sa souveraineté ».

Le président français a longtemps été accusé de négliger, sous l’effet d’une arrogance bien française, ses partenaires européens. En lançant son projet ambitieux de renforcement de la zone euro, il aurait choisi de brusquer les autres Etats membres, à commencer par l’Allemagne, plutôt que de discuter d’abord de ses propositions avec les gouvernements européens et d’engager des négociations discrètes avant de mettre ses idées sur la place publique. Au moment où les relations se tendent avec l’Italie depuis l’arrivée au pouvoir de la Ligue et du Mouvement 5 Etoiles, Emmanuel Macron devait s’efforcer de resserrer les liens de la France avec les pays fondateurs de la Communauté européenne mais aussi avec ceux qui y sont venus plus tard. Fin août, le président français avait ainsi répondu aux invitations du Danemark et de la Finlande pour élargir le champ de ses amitiés.

En position de faiblesse

Emmanuel Macron est-il isolé en Europe ? La question a été posée à plusieurs experts par Judy Dempsey pour Carnegie Europe. Les réponses sont diverses mais elles s’accordent pour saluer la volonté de réforme affichée par le président français et pour regretter que les autres Etats ne lui apportent pas vraiment leur soutien. Non, Emmanuel Macron n’est pas isolé, affirme Noah Barkin (Reuters), mais sa vision est trop audacieuse pour la plupart de ses partenaires, en particulier l’Allemagne, et ses difficultés intérieures, au terme d’un « été cauchemardesque », le placent en position de faiblesse. Mais les déclarations d’Angela Merkel sur une armée européenne, entre autres, apportent « quelques rayons de lumière ». L’idée d’un grand bond en avant est « une illusion », ajoute-t-il, les changements ne peuvent être que progressifs.

Pour Anne-Sylvaine Chassany (Financial Times), le président français n’a pas réussi à « embarquer l’Europe et son propre peuple dans son voyage intégrationniste ». Sa victoire sur Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, a été interprétée à tort comme le signe que les Français partageaient sa vision européenne. Or ceux-ci restent méfiants à l’égard de la technocratie bruxelloise. Aujourd’hui, l’impopularité d’Emmanuel Macron, due à la fois à l’absence de résultats économiques tangibles et au style présidentiel, menace sa position sur la scène internationale et les « maigres concessions » qu’il a obtenues d’Angela Merkel, bien éloignées du plan audacieux qu’il a présenté dans son discours de la Sorbonne.

La responsabilité de l’Allemagne

« Oui, Macron est isolé en Europe », constate François Heisbourg (Fondation pour la recherche stratégique), en partie parce qu’il a choisi de faire du combat entre les progressistes et les populistes l’axe de sa campagne, en partie à cause de « l’inertie allemande » sur une Europe à deux vitesses et sur le renforcement de l’eurozone. « La balle, conclut-il, est dans le camp de l’Allemagne ». Emmanuel Macron n’est pas isolé, répond l’ancien ministre travailliste Denis MacShane, mais il est le seul dirigeant qui apporte des idées intéressantes pour redynamiser l’Union. L’idée que son arrivée à l’Elysée allait relancer l’Europe a toujours été « stupide ». Il est normal qu’il y ait des résistances mais ce n’est pas nouveau. « Macron est loin d’unir l’Europe, estime l’ancien ministre, mais il défend ce que les pro-Européens considèrent comme « exaltant » et « digne d’estime ».

Emmanuel Macron, note Sophie Pedder (The Economist), comptait , au moment de son discours de la Sorbonne, sur l’appui des gouvernements amis, comme l’Allemagne ou l’Italie, pour l’aider à faire avancer des idées. Aujourd’hui il apparaît comme plus isolé et privé de partenaires forts parmi ses anciens alliés. L’affaiblissement d’Angela Merkel, la montée du nationalisme en Italie, la résistance des pays du nord à ses plans pour l’eurozone l’ont desservi mais il n’a pas renoncé à chercher des partenaires ni à construire avec eux une Europe plus forte.

Une approche gaullienne

Marc Pierini (Carnegie Europe) juge la vision d’Emmanuel Macron sur l’Europe « historiquement juste » au moment où les leçons des deux guerres mondiales risquent d’être oubliées, mais il note qu’Angela Merkel n’est plus maîtresse des choix stratégiques de l’Allemagne et que la « solitude stratégique » du président français est aggravée par son « approche gaullienne » des affaires européennes selon laquelle la France est en faveur de l’Europe tant que les autres la suivent. Le « style » et la « méthode » d’Emmanuel Macron nuisent à son action.

Pour Jana Puglierin (German Council on Foreign Relations), Angela Merkel est une des dernières amies d’Emmanuel Macron en Europe, même si elle n’approuve pas ses idées les plus radicales. L’intérêt de l’Allemagne, face à la montée des nationalismes, est de sortir le président français de son isolement. Pierre Vimont (Carnegie Europe) pense que dès le départ le style aussi bien que la stratégie d’Emmanuel Macron le vouaient à la solitude. Il a suscité une « authentique sympathie » mais « peu de soutien ». A l’approche des élections européennes, une approche plus réaliste semble prévaloir. Des « réformes prudentes » avancent « patiemment » à Paris et à Berlin. Cela peut être de bon augure pour l’avenir de l’Union européenne.