Macron goes to Washington

Emmanuel Macron et Donald Trump ont noué des relations particulières qui ont fait du président français le principal interlocuteur européen du président américain. La visite de trois jours entreprise par Emmanuel Macron à Washington devrait confirmer ces liens privilégiés. La question est de savoir si ceux-ci peuvent permettre de rapprocher les positions des pays sur les grands sujets d’actualité. Pierre Vimont, ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis, ancien secrétaire général du Service d’action extérieure de l’Union européenne, examine, dans un article pour le centre de recherches Carnegie Europe, les dossiers qui seront au cœur de la rencontre de Washington : l’Iran, la Syrie, le commerce international, l’accord de Paris sur le climat.

Donald Trump et Emmanuel Macron
Carnegie Europe

La visite d’Emmanuel Macron aux Etats-Unis du 23 au 25 avril va montrer le caractère très personnel de la relation que le président français a réussi a établir avec Donald Trump depuis que l’un et l’autre sont arrivés au pouvoir. Ce rapport quelque peu improbable a dans une large mesure intrigué les autres dirigeants européens. Il a aussi excité l’intérêt des medias conservateurs aux Etats-Unis, qui n’ont pas de raison particulière d’avoir de la sympathie pour un président français qui a une vision ambitieuse de l’Europe. Cependant très peu de choses ont été révélées jusqu’ici de ce partenariat. La visite de Macron à Washington – la première visite d’Etat d’un dirigeant étranger sous l’administration Trump – peut donc être vue comme un test, pour les deux hommes, de production de résultats tangibles dans le plus urgent des défis qu’ils affrontent.
Macron a été reconnu comme l’un des rares dirigeants qui peut tendre la main au président des Etats-Unis. En dépit de styles personnels très différents, les deux présidents ont été décrits comme des perturbateurs sur leur scène politique intérieure. Les deux veulent être perçus comme des hommes d’action, et, ce qui est plus important, comme des hommes politiques qui tiennent leurs promesses électorales. Accrue par l’invitation faite à Trump d’assister aux cérémonies du 14 juillet à Paris l’année dernière, qui a visiblement plut au dirigeant américain, l’alchimie spéciale entre les deux présidents s’est progressivement développée en une authentique capacité de dialogue constructif, même quand ils sont en désaccord.
Au milieu d’un public largement sceptique, Macron a développé un style de leadership différent de celui de ses homologues européens. Positionné à mi-chemin entre ceux qui ont des réserves sur la politique actuelle des Etats-Unis mais préfèrent les taire et ceux qui sont plus enclins à exprimer leurs frustrations, Macron n’hésite pas à dire ce qu’il pense – mais il s’abstient habituellement de faire des déclarations publiques critiques. Il n’a probablement pas d’illusions sur la possibilité de faire dévier l’administration Trump hors de sa tendance nationaliste actuelle. Mais sur les points de désaccord avec le président américain, plutôt que d’exprimer la position indépendante traditionnelle de la France, Macron lisse activement les différences avec le sens d’un réalisme positif qui donne une version plus pragmatique et détendue de la diplomatie française.
Les exemples abondent de cette disposition d’esprit. Sur la décision de Trump de sortir de l’accord de Paris sur le changement climatique, sa menace de brandir la dérogation présidentielle en ce qui concerne les sanctions liées au nucléaire contre l’Iran, sur le transfert de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, et sur les récents problèmes du commerce, Macron s’est délibérément abstenu d’une confrontation directe avec la Maison Blanche ou de l’enrôlement des nations européennes dans une croisade anti-américaine. Au contraire, Macron a opté pour une diplomatie tranquille avec Washington tout en conduisant parallèlement et sans relâche son ambition pour plus d’Europe – un objectif qui n’est pas l’un des favoris de Trump. Pourtant les relations entre les deux présidents ont fait face à ces vents contraires, faisant place à des conversations pragmatiques, comme on l’a vu ces derniers mois sur le changement climatique, ou, plus significativement, réunissant des capacités aériennes pour des opérations militaires en Syrie pour l’imiter l’expansion russe.
Macron est néanmoins bien conscient que sa visite à Washington doit déboucher sur des résultats dans les problèmes les plus urgents du moment – l’Iran la Syrie et le commerce. Il n’y a certainement aucune illusion de la part du président français sur ces sujets. Il sait que son homologue américain ne montre aucun signe d’un éloignement de sa position fortement anti-iranienne ou de dépassement de sa gêne profonde avec quoi que ce soit de multilatéral. Macron pourrait souligner le risque pour le président américain de se trouver en contradiction avec son intention avouée d’éviter la répétition les erreurs précédentes des interventions militaires des Etats-Unis au Moyen-Orient. Il pourrait ajouter que réimposer des sanctions liées au nucléaire contre Téhéran, ouvrant ainsi la voie à un démantèlement de l’accord de Vienne, pourrait bien entraîner l’administration de Trump dans une grande confrontation régionale avec la Russie et l’Iran – et probablement approfondir la division avec ses alliés européens.
De la même manière, s’accrocher à une politique économique nationaliste agressive pourrait bien conduire à un nouvel ordre multilatéral dans lequel la Chine pourrait imposer sa propre règle à travers sa nouvelle initiative « La ceinture et la route » (Les nouvelles routes de la Soie). La logique d’une stratégie qui repose lourdement sur des options militaires, donne aux coalitions des limites étroites et incline sa politique économique vers des jeux à somme nulle pourrait conduire à une réédition de l’agenda néo-conservateur que Trump a été si avide de rejeter. Avec ces arguments politiques, le président français essayera de convaincre son interlocuteur d’être plus patient sur la question du nucléaire iranien, et en même temps, de soutenir la feuille de route diplomatique dont il sera convenu – après de longues cessions de travail entre les représentants américains et européens – pour restreindre le programme de missiles balistiques et l’influence régionale de l’Iran.
En ce qui concerne la Syrie, et à la suite des frappes aériennes conjointes des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne la semaine dernière, Macron insistera pour faire un pas de plus dans une mobilisation commune pour éradiquer du pays les menaces chimiques et pour reconstruire un consensus multilatéral contre cette catégorie d’armes militaires. De plus, il plaidera pour un engagement plus actif des nations occidentales pour reconstruire l’avenir de la Syrie, ce qui implique certaines formes de dialogue avec la Russie, l’Iran et la Turquie. Cela donnerait un nouveau rôle de leadership politique aux Etats-Unis et à leurs alliés, et procurerait une solution alternative plus appropriée à l’impossible retrait militaire de la Syrie que Trump avait récemment envisagé.
Comme pour le commerce, Macron sait qu’exagérer le risque d’une escalade des tarifs n’impressionnera pas Donald Trump. Le président français pourrait en revanche insister sur une approche plus collaborative, en appelant l’Europe et l’Amérique à réunir leurs forces contre une compétition déloyale de la Chine et à combattre pour de nouvelles règles multilatérales en matière de transferts technologiques, de propriété intellectuelle et d’investissements étrangers.
Si quelques-uns de ces résultats peuvent être acquis à la fin de la visite, Macron aura prouvé qu’il avait raison en gardant le dialogue ouvert avec le président des Etats-Unis. Ce qui est même plus important, le président français aura ravivé un partenariat transatlantique en quête désespérée d’un nouvel élan. Avec Angela Merkel suivant ses pas, cela pourrait être un moment encourageant pour l’Europe à Washington.(traduction Boulevard Extérieur)