Moscou s’inquiète de la répression contre les homosexuels en Tchétchénie

Lors de sa rencontre avec Vladimir Poutine au Grand Trianon à Versailles, le lundi 29 mai, Emmanuel Macron a soulevé la question de la répression menée contre les personnes LGBT en Tchétchénie. Quatre d’entre elles sont mortes et une centaine a été emprisonnée et torturée, selon le journal de Moscou Novaïa Gazeta. Le président russe a promis de faire "la vérité complète sur les activités des autorités locales" à l’encontre des homosexuels. Le Kremlin a envoyé une commission d’enquête à Grozny, la capitale de la Tchétchénie, où règne Ramzan Kadyrov, un allié de Vladimir Poutine.

Ramzan Kakyrov et Vladimir Poutine
Libération/Reuters

En s’attaquant à la communauté homosexuelle, Ramzan Kadyrov a-t-il franchi la ligne rouge ? Le satrape de Tchétchénie bénéficiait jusqu’à maintenant d’une impunité totale de la part du Kremlin. Il gouverne cette petite république caucasienne d’une main de fer après deux guerres dans les années 1990 contre la tutelle de Moscou. Son clan a été placé au pouvoir par les autorités russes et Vladimir Poutine, arrivé au Kremlin en 1999 à la faveur de la deuxième guerre de Tchétchénie, lui a délégué la lutte contre le terrorisme islamique dans le Caucase. Les combattants tchétchènes reconvertis au service de Moscou ont aussi été envoyés à Alep après la prise de la ville par les forces pro-Assad pour y faire régner l’ordre. A l’occasion, les hommes de Kadyrov sont les exécuteurs des basses œuvres du Kremlin.

Un pouvoir grandissant

Depuis quelques temps pourtant, Vladimir Poutine semblait s’inquiéter du pouvoir grandissant de cet allié encombrant et peu recommandable. L’envoi en Tchétchénie d’une commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les accusations portées dans un article du quotidien Novaïa Gazeta sur les exactions, voire les crimes, commis par les organes de sécurité de la république caucasienne à l’encontre des homosexuels, montre que la patience du Kremlin a atteint ses limites.
L’affaire a commencé début avril quand la journaliste Elena Milachina a révélé que plus d’une centaine d’hommes soupçonnés d’appartenir à la communauté LGBT avaient détenus, placés au secret et torturés dans les prisons de Kadyrov. Ils auraient aussi été obligés de révéler les noms de leurs amis et partenaires. Quatre au moins ont été tués. Dont un étranger à la Tchétchénie, arrêté, relâché, puis repris par les forces de sécurité tchétchènes en dehors de la Tchétchénie et retrouvé mort. Ce qui tend à confirmer que les sbires de Kadyrov sont actifs en dehors de la petite république.
Après avoir été libérés, souvent après le paiement d’importantes rançons, les détenus sont confrontés à leur famille dans une société traditionnelle, patriarcale, machiste. Le « déshonneur » de compter un homosexuel parmi les siens pèse sur les familles. L’un d’entre eux au moins a été victime d’un crime familial.
Les persécutions ont eu lieu en deux vagues. La première en février, à la suite de l’arrestation d’un drogué détenteur de littérature pornographique gay. La police a trouvé dans son téléphone portable des noms dans la communauté LGBT. La deuxième vague aurait été provoquée par des demandes d’autorisation provenant d’une ONG pour l’organisation de gay pride dans des villes de la province russe. Les lettres de refus étaient collectées pour soutenir une plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme. La Tchétchénie n’était pas concernée mais les arrestations auraient eu, selon Novaïa Gazeta, un caractère « préventif ».

Menaces contre les journalistes

Dans un premier temps, les autorités de Grozny ont nié. Il ne peut exister de persécution d’homosexuels en Tchétchénie « parce qu’il n’y a pas d’homosexuels », a déclaré le porte-parole de Ramzan Kadyrov. Il a ajouté que les journalistes qui répandaient des « rumeurs » devraient faire attention. L’avertissement n’est pas gratuit si l’on se souvient que la journaliste Anna Politkovskaïa, assassinée dans son immeuble de Moscou en 2006, enquêtait sur les guerres en Tchétchénie, le clan Kadyrov et ses liens avec le Kremlin.
Le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, avait déclaré n’être pas au courant de la répression des homosexuels mais avait laissé entendre qu’une enquête pouvait être ouverte. Il avait invité les victimes à porter plainte, ce qui ne l’engageait pas beaucoup étant donné les menaces pesant sur les intéressés et leurs familles dans un pays où « les relations sexuelles non-traditionnelles » sont ignorées, refoulées, condamnées.
Lors de sa rencontre début mai à Sotchi avec le président russe Angela Merkel a soulevé le cas des homosexuels tchétchènes. Est-ce la peur d’un scandale international ? Toujours est-il que le Kremlin a envoyé une commission d’enquête à Grozny. Elle est dirigée par Igor Sobol, un procureur connu pour sa persévérance et son courage. Novaïa Gazeta raconte que l’arrivée des enquêteurs a semé la panique parmi les autorités locales. Les fonctionnaires se sont succédé devant la commission pour attester de leurs sympathies envers la communauté LGBT. Le chef de la police de Grozny a même envisagé d’autoriser une gay pride dans la capitale de la Tchétchénie. D’autres se sont fait porter pales pour ne pas répondre aux enquêteurs. Le Comité de défense des droits de l’homme, un organisme semi-officiel qui sert à la fois d’alibi au Kremlin et d’alerte sur les violations les plus flagrantes, doit se rendre en Tchétchénie, sa présidente Tatiana Moskalkova en tête.

Exfiltrés vers l’étranger

Les ONG russes qui soutiennent les homosexuels sont en butte aux tracasseries de l’administration dans une société où il n’y a pas si longtemps l’homosexualité était considérée comme une maladie mentale. Sous prétexte de protéger les mineurs, la législation contre les « déviances sexuelles » a été renforcée ces dernières années. Les associations n’en continuent pas moins leur travail. Une centaine de Tchétchènes se sont adressés au réseau Russian LGBT pour obtenir une aide médicale et psychologique ou pour être exfiltrés hors de Tchétchénie vers la Russie ou vers l’étranger.
Les ONG sont sceptiques sur les suites de l’enquête menée par Igor Sobol, même si elles y voient un premier pas encourageant. Depuis le déclenchement de l’enquête, aucune inculpation n’a été prononcée à l’encontre de fonctionnaires de police. Il semble toutefois que les persécutions les plus violentes aient cessé. Mais pas l’intimidation et les pressions sur les familles.