Obama, Castro et le syndrome chinois

Barack Obama a achevé, le mardi 22 mars, une visite de deux jours à Cuba, la première d’un président américain en exercice depuis 1928. Il est venu, a-t-il dit à La Havane, pour « mettre un terme à la dernière survivance de la guerre froide ». Dans un discours retransmis à la télévision cubaine, il a fait l’éloge de la démocratie, tout en se gardant de donner l’impression qu’il voulait faire la leçon aux Cubains. A l’ambassade des Etats-Unis, récemment rouverte, il a reçu pendant près de deux heures un groupe de dissidents.
Cuba est avec la Chine un des derniers régimes communistes dans le monde. Quand ils se présentent comme réformistes, les dirigeants regardent vers le système chinois, mélange d’économie ouverte et de contrôle politique par le parti unique. Le développement des relations commerciales avec les Etats-Unis provoquera-t-il un assouplissement de la dictature castriste ?

Fidel et Raul Castro au début des années 2000

Depuis la fin de l’URSS, qui tenait l’économie cubaine à bout de bras, la Chine est devenue un des principaux partenaires économiques et commerciaux de Cuba. Et c’est vers Pékin que les dirigeants castristes regardent quand ils envisagent d’entamer des réformes pour sortir leur pays du marasme dans lequel il s’est enfoncé depuis un demi-siècle, à cause de l’embargo américain mais aussi de l’incurie du système. Quand il a succédé à son frère Fidel, Raul Castro était crédité de velléités réformatrices. Et en effet, quelques timides ouvertures ont permis le développement d’un secteur privé qui vit dans l’incertitude tant les règles sont floues et réversibles du jour au lendemain.

La hantise de la perestroïka

Une chose est sûre. Comme leurs « camarades » chinois, les castristes ont appris de l’expérience soviétique. Ils craignent par-dessus tout une perestroïka à la Gorbatchev dont ils pensent, à juste titre, qu’elle a précipité la fin du système communiste. La réforme économique, pourquoi pas ? La réforme politique certainement pas. Tel est leur mot d’ordre. Tout au plus sont-ils prêts à accepter un « socialisme aux couleurs de Cuba », en référence au Parti communiste chinois qui caractérise le régime actuel comme un « socialisme aux couleurs de la Chine ».
Le maintien voire le renforcement du contrôle par le parti unique leur apparaissent d’autant plus nécessaires que les réformes économiques, l’ouverture vers le marché mondial, l’encouragement — sous surveillance —, de l’initiative privée, le recours aux moyens modernes de communications comportent des risques politiques. Le durcissement idéologique est caractéristique la Chine depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping.

Le doux commerce selon Montesquieu

Le syndrome chinois touche aussi les Américains. Quand il a développé les relations avec Pékin et poussé, par exemple à son admission à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Bill Clinton a mis en avant les effets, bénéfiques selon lui, de ce que Montesquieu appelait « le doux commerce ». En intégrant la Chine dans l’économie mondiale, en développant les échanges, les Etats-Unis contribuaient à un changement politique du système communiste chinois, qui devait aboutir presque mécaniquement à une libéralisation politique du régime puis à sa démocratisation.
Ce n’est pas exactement ce qui s’est passé. Mais le paradoxe est que les Américains ne sont pas les seuls à croire aux liens entre libéralisation économique et libéralisation politique. Les dirigeants chinois, et sans doute aussi les cubains, en sont tellement convaincus qu’ils font tout pour contrer une telle évolution. Ils accompagnent l’ouverture économique d’un raidissement politique.

A 180 km des côtes étatsuniennes

Mais Cuba n’est pas la Chine. Ni par la taille, ni par la puissance économique, ni par la géographie. A quelques 180 km de la côte des Etats-Unis, l’île caraïbe devrait subir directement l’influence de son grand voisin, comme cela a été souvent le cas dans son histoire. Une fois l’embargo levé – ce qui dépend essentiellement du bon vouloir du Congrès américain et non du président —, le déséquilibre économique fera sentir ses conséquences.
Le système mis en place par Fidel Castro dans les années 1960 aura bien du mal à résister à l’attraction du capitalisme américain, sauf à perpétuer l’accaparement du pouvoir par une clique familiale soutenue par les militaires. A côté de réussites indéniables dans les domaines de la santé et de l’éducation, le régime castriste a maintenu dans la pauvreté la majeure partie de la population cubaine. Avec la fin de l’embargo, l’arrivée des touristes et des compagnies américaines, les investissements sur l’île de la diaspora cubaine des Etats-Unis, les revendications politiques vont se faire de plus en plus bruyantes. La gérontocratie au pouvoir à Cuba aura du mal à y résister. C’est certainement cet espoir que Barack Obama avait en tête quand il a déclaré avoir confiance dans la sagesse du peuple cubain.