Obama veut dissiper le doute sur sa détermination

Soixante-dix ans après le D-Day, le French-American Global Forum, un think tank basé à Washington, a organisé le mercredi 4 juin, à la Grande Bibliothèque de Paris, une journée de débats autour des relations franco-américaines, avec la participation de la Fondation pour la recherche stratégique et le site slate.fr.

Comment penser la relation entre la France et les Etats-Unis au moment où l’Europe traverse une nouvelle période de troubles avec la crise en Ukraine ? Les schémas de l’après-guerre froide, quand on croyait possible une coopération avec la Russie, ont été mis à mal par l’annexion de la Crimée comme symptôme d’une situation où un grand pays peut s’emparer d’une portion du territoire d’un voisin plus faible. Vit-on pour autant un retour à la guerre froide ? Ou plutôt à la politique de puissance du XIXème siècle ? Vladimir Poutine a dans son bureau le portait de Nicolas 1er, le tsar qui s’était donné pour mission d’intervenir dans les pays étrangers contre les troubles révolutionnaires.

La meilleure défense c’est l’attaque. Le président russe a fait sien ce principe simple. Alors que Barack Obama célébrait le 25ème anniversaire des premières élections libres en Pologne, en compagnie du président polonais Komorowski et de François Hollande, Vladimir Poutine dénonçait, dans un entretien à TF1 et Europe1 « l’agressivité » du président américain. Accusation pour le moins paradoxale au moment où Barack Obama est critiqué par les faucons américains pour sa mollesse face à l’offensive de la Russie en Ukraine et où certains alliés européens des Etats-Unis doutent de la garantie de sécurité de l’OTAN, c’est-à-dire en dernier ressort de Washington.

La doctrine Obama

Aussi le chef de la Maison blanche a-t-il saisi l’occasion d’un grand discours sur la Vieille place de Varsovie pour réaffirmer la validité de l’article 5 du Traité de l’Atlantique nord (OTAN) : une menace contre un des pays membres de l’Alliance sera considérée par ceux-ci comme une menace contre eux-mêmes. Au-delà des Polonais, le message s’adressait aussi aux Etats baltes. Et il a ajouté une mesure concrète : un crédit de 1 milliard de dollars (800 millions d’euros) pour soutenir l’entrainement des soldats américains et alliés en Europe. Une goutte d’eau dans l’océan du budget militaire américain mais un geste symbolique qui vise à rassurer les « pays du front », c’est-à-dire les plus proches voisins de la Russie, comme la Pologne et les Etats baltes. Jusqu’à maintenant Vladimir Poutine s’est bien gardé d’attaquer directement un pays membre de l’OTAN. Il a cherché à en déstabiliser certains en utilisant les minorités russes (en Estonie et en Lettonie) ou en menant des cyberattaques (contre l’Estonie). Mais en annexant la Crimée et en cherchant à maintenir les autorités ukrainiennes sous sa tutelle, il a instillé le doute de l’insécurité chez les voisins de la Russie, y compris chez ceux qui ont adhéré à l’OTAN après la dissolution du bloc soviétique.

Barack Obama est arrivé au pouvoir en promettant de mettre fin aux deux guerres dans lesquelles son prédécesseur George W. Bush avait entrainé les Etats-Unis, en Irak et en Afghanistan. Il aura tenu parole à la fin de son second mandat. Les derniers soldats américains quitteront Kaboul en 2016. Ce retrait s’accompagne d’une forme d’autocritique. Dans le discours-programme de politique étrangère qu’il a récemment prononcé devant les cadets de West Point, Barack Obama a dit qu’il fallait « éviter les actes stupides ». Il a ajouté que l’action avait parfois des conséquences plus négatives que l’inaction. Entre les pacifistes et les isolationnistes qui pour des raisons différentes prônent un retour des Etats-Unis « à la maison » (nation building begins at home), et d’autre part les faucons qui critiquent sa « mollesse », Barack Obama cherche une voie moyenne. Sans renoncer à l’usage de la force, avec l’utilisation des drones en particulier, il hésitera à l’avenir à envoyer des troupes dans des aventures extérieures. Il compte plus sur une palette élargie d’instruments diplomatiques : mesures économiques, coopération avec les alliés, institutions internationales, etc.

Transposée à l’Europe – mais l’interrogation vaut pour l’Asie où le « pivotement » de la stratégique américaine n’a pas totalement rassuré les pays du Pacifique face aux ambitions territoriales de la Chine –, qu’elles sont les conséquences de cette doctrine ? On en voit les effets dans les mesures décidées par Washington après l’annexion de la Crimée : sanctions économiques qui visent des personnalités ou des institutions financières proches du président russe, concertation avec les alliés pour exclure Poutine du G8 redevenu G7, manœuvres militaires, dans les airs et sur mer, pour affirmer la présence américaine en Europe et sur son pourtour, etc.

Des troupes de l’OTAN à l’Est ?

Les Américains et leurs alliés de l’OTAN pourraient aussi revenir sur leur engagement pris dans les années 1990, au moment de la dissolution du pacte de Varsovie – l’alliance militaire des pays communistes en Europe –, de ne pas stationner en permanence des troupes de l’OTAN dans les nouveaux pays membres. C’était ce qu’on appelait alors « les 3 nos » : no plan, no intention, no need (pas de plan, pas d’intention, pas de besoin). En effet, il n’existait pas de plan pour élargir la présence de l’OTAN parce qu’il n’y avait aucune intention de ce genre et il n’y avait pas d’intention parce que la nécessité ne se faisait pas sentir. Aujourd’hui le besoin pourrait susciter l’intention et déboucher sur un plan. Cependant, la réunion des ministres de la défense, le mardi 3 juin à Bruxelles, a montré que les membres de l’OTAN sont divisés sur ce sujet comme en général sur l’idée de renforcer les moyens militaires occidentaux face à la Russie. Pour des raisons évidentes, les Polonais et les Baltes sont les plus allant. D’autres, notamment l’Allemagne, veulent éviter toute décision qui pourrait être interprétée par Moscou comme une « provocation ». L’expérience n’a pas servie de leçon. Quand les Occidentaux renoncent à prendre des mesures trop dures, Vladimir Poutine n’y voit pas un geste d’apaisement mais un signe de faiblesse. Il s’empresse de l’exploiter. Il est même significatif que ses deux cibles récentes – la Géorgie en 2008 et l’Ukraine aujourd’hui – soient deux pays dont le rapprochement avec l’OTAN a été refusé, justement au printemps 2008, par l’organisation atlantique à la demande de l’Allemagne et de la France.

La division des Européens ne passe plus entre la « vieille » et la « nouvelle » Europe, comme disait Donald Rumsfeld, le secrétaire à la défense de George W. Bush en 2003 au moment de l’invasion de l’Irak. De nouvelles lignes de partage sont apparues. D’anciens satellites de l’URSS hésitent maintenant à s’opposer à Moscou, soit pour des raisons économiques (approvisionnement en gaz en particulier) soit pour des raisons politiques, voire idéologiques. Le premier ministre hongrois Viktor Orban par exemple se sent solidaire des diatribes de Poutine contre la décadence de l’Occident. En revanche, des « anciens » de l’Union européenne ont pris des positions plus fermes, comme la France, même si elle n’a toujours pas renoncé à vendre des navires de guerre sophistiqués à la Russie.

Vladimir Poutine est en tous cas prompt à tirer parti de la division des alliés Occidentaux et de l’apparente irrésolution de Barack Obama. Depuis la volte-face de ce dernier sur la Syrie, à l’été 2013, la crédibilité des Etats-Unis est gravement entamée. Le président avait fixé une « ligne rouge » : l’utilisation par le régime de Bachar el-Assad d’armes chimiques de devait pas rester impunie. Après le refus de la Chambre des communes britannique de participer à des opérations aériennes, le président américain a fait marche arrière en s’abritant derrière les réticences du Congrès. François Hollande était partant mais il a été pris de court par la défection de ses alliés britanniques et américaines ; la France ne pouvait agir seule. La « ligne rouge » s’était transformée en pointillés. Vladimir Poutine en a profité pour engranger un succès diplomatique. En proposant la destruction des stocks d’armes chimiques syriens, il a offert une porte de sortie aux Américains mais souligné la faiblesse de ses adversaires. Il en a conclu qu’il ne risquait pas grand-chose à défier ailleurs, y compris en Europe, la détermination des Occidentaux. Et à tester les limites jusqu’où il peut aller sans s’exposer à une riposte sérieuse. En attendant que, le temps faisant son office, les Occidentaux rendus perplexes par quelques gestes d’apaisement, se demandent si le moment n’est pas venu d’assouplir, voire de lever, les sanctions qui frappent la Russie.