"Oui" à la réforme ou "non" à Renzi ?

Les électeurs italiens étaient appelés, le dimanche 4 décembre, à se prononcer par référendum sur une réforme de la Constitution. L’objet principal était la transformation du Sénat en une deuxième assemblée aux pouvoirs diminués par rapport à la Chambre des députés. Ce serait la fin du « bicaméralisme parfait » qui a contribué à l’instabilité gouvernementale et à la paralysie de l’exécutif. Mais le président du Conseil, Matteo Renzi, a transformé la consultation en plébiscite en mettant en jeu son mandat. En cas de victoire du « non », prôné à la fois par le mouvement populiste Cinq étoiles, par d’anciens premiers ministres et par une fraction de la gauche, Matteo Renzi pourrait être obligé de démissionner plongeant l’Italie – et l’Europe – dans une période d’incertitude.

Matteo Renzi en campagne

Le « bicaméralisme parfait » caractéristique du pouvoir législatif italien est mis en cause dans les lenteurs, les dysfonctionnements, voire la paralysie des processus législatifs. Une réforme constitutionnelle apparaissait donc nécessaire à beaucoup depuis longtemps. Après que des commissions parlementaires - déjà sous le gouvernement d’Enrico Letta, prédécesseur de Matteo Renzi au Palais Chigi – eurent élaboré un texte consensuel, le Parlement le vota. Mais à une majorité insuffisante pour entraîner sa mise en œuvre immédiate.
Matteo Renzi a alors lancé l’idée du référendum sans doute pour dynamiser la réforme. Certains observateurs se sont demandé s’il était dans l’état d’esprit de Jacques Chirac lorsqu’il a proposé en France la dissolution de l’Assemblée en 1997 au risque d’une défaite mémorable. Il a voulu en tous cas mettre tout son poids dans la balance en liant son sort à l’issue du référendum. Il l’a regretté ensuite mais il ne lui a pas été possible de revenir en arrière. Devant le déploiement des oppositions à son projet, le président du Conseil a pu seulement reculer la date du référendum, qui devait initialement avoir lieu en octobre, pour donner aux partisans du « oui » le temps de plaider leur cause.

Une nécessaire simplification

Ceux-ci mettent en avant la nécessité de simplifier le cheminement des lois entre les Chambres et d’éviter la paralysie que peuvent provoquer des votes différents dans deux instances aux pouvoirs égaux. La réforme constitutionnelle porte donc essentiellement sur la composition du Sénat. Le nombre de ses membres serait réduit fortement, passant de 317 à 100, dont cinq nommés par le Président de la République. Le Sénat actuel compte vingt-sept sénateurs à vie.
Dans la réforme proposée par Matteo Renzi, quatre-vingt-quinze sénateurs ne seraient plus élus directement par les citoyens âgés de plus de 25 ans, ils seraient envoyés par les régions. Ce seraient des conseillers régionaux (74 d’entre eux) ou des maires (21). L’introduction des régions elles-mêmes dans la chambre haute est une des modifications importantes qu’apporterait ce changement – qui par ailleurs diminue sensiblement les pouvoirs du Sénat puisque la Chambre des députés aurait désormais le dernier mot en cas de désaccord.
Les partisans du « oui » ajoutent encore aux avantages de la réforme l’économie réalisée par la diminution du nombre des sénateurs et par quelques autres mesures. Cette réforme constitutionnelle serait assortie d’une loi électorale, l’ « Italicum », qui donnerait la majorité des sièges à la Chambre au parti atteignant 40% des voix. Si aucun parti n’arriverait à ce score, une deuxième tour aurait lieu avec les deux formations arrivées en tête.

Prime à la corruption ?

Les partisans du « non » avancent des arguments juridiques, d’abord la complication qu’introduirait la réforme, mais surtout le fait que la réforme enlèverait aux citoyens un droit — celui de voter pour les sénateurs —, et surtout qu’elle offrirait une indemnité parlementaire à des élus locaux, considéré comme le personnel politique le plus corrompu. « Un cadeau en or dans la montée de la corruption » écrit dans Le Monde Paolo Flores d’Arcais, directeur de Micro-Méga. Mario Monti, ancien président du Conseil, ancien commissaire européen et sénateur à vie, s’indigne à l’idée que des élus locaux réputés pour leur incompétence et leur corruption puissent être élevés à Rome à la dignité de sénateurs et échapper ainsi à la justice.
Parmi les opposants à ce référendum Enzo Cheli, professeur de droit constitutionnel à Florence, qui s’exprimait récemment dans un débat au CERI, posait la question de la manière suivante : la réforme modifie profondément la forme du gouvernement et celle de l’Etat ; peut-elle améliorer la stabilité gouvernementale ?
Sans contester la nécessité « d’améliorer notre bicaméralisme, ce partisan du « non » concluait que les éventuels avantages de la réforme seraient annihilés par le contexte général. La réforme de la Constitution est nécessaire en Italie, dit-il, mais doit être une bonne réforme. « Reforma si ma non cosi ! » (La réforme oui, mais pas comme ça).
Sur le plan juridique, les défenseurs de la réforme soulignent, avec la nécessité de mettre fin au bicaméralisme, le fait que ce projet constitutionnel a été partagé très largement par les partis. Stefano Ceccanti, qui enseigne le droit public comparatif à l’université La Sapienza de Rome, rappelle qu’ils étaient 42 membres dans la Commission du gouvernement Letta qui préparait cette réforme et que seuls quatre ont signé l’appel au « non » lancé par 56 juristes. Centre gauche et centre droit avaient travaillé ensemble, et seule Forza Italia s’est ensuite retirée de l’accord.

Une campagne politique

Aux critiques des adversaires du projet portant sur la faiblesse (notamment numérique) du futur Sénat, sa disproportion avec la Chambre des députés, Stefano Ceccanti oppose la référence au Bundesrat, assemblée des Länder allemands. La Chambre représente l’ensemble des citoyens et le Sénat les institutions régionales dans un pays largement décentralisé. On lui a demandé aussi pourquoi les sénateurs seraient choisis parmi les conseillers régionaux, et les maires, et non chez les gouverneurs des régions. Réponse : pour permettre la représentation des minorités.
Au-delà des arguments juridiques, la campagne du référendum a porté sur le président du Conseil. Refuser la corruption, refuser le maintien d’un système politique décrié, dire non à Matteo Renzi plus qu’à sa réforme, l’affrontement a été âpre.
Il a été mené, pour le « non », par le mouvement Cinque Stelle (Cinq étoiles) de Beppe Grillo et la Ligue du Nord de Matteo Salvini. Silvio Berlusconi les a rejoints. Le Parti démocratique lui-même s’est divisé, une minorité refusant de suivre son chef. Bref, la droite, l’extrême-droite, les populistes, une partie de la gauche – et les anciens premiers ministres sauf Enrico Letta – tous votent « non ».

« Voter avec le ventre »

Mais lorsque le Mouvement des Cinq Etoiles parle au nom de la pureté démocratique du droit d’élire les sénateurs enlevé aux citoyens ou de l’immunité parlementaire offerte à des élus corrompus, on lui rappelle les affaires des fausses signatures de parrainage à Palerme en 2012 et à Bologne en 2014. Beppe Grillo, noblement, demande aux coupables de démissionner. Mais tout cela semble n’avoir aucune importance, tant le Movimento est porté par la volonté de changement et par la profonde et durable défiance des Italiens envers le personnel politique.
Foin des arguments rationnels ! « Le non, vous devez le décider avec votre vente, pas avec votre tête. Faites confiance à votre ventre et non à votre esprit qui a été conditionné ! », voilà ce que crie Beppe Grillo en meeting à Rome. Les « aspirants trumpistes » des Cinque Stelle jubilent. « Si tout le monde, même aux Etats-Unis, choisit la révolte, est-ce qu’ils n’ont pas raison ? »
S’ils l’emportent, personne ne sait exactement ce qui va se passer. Il est probable que Matteo Renzi démissionnerait mais peu d’observateurs croient en la possibilité d’un gouvernement de techniciens pour assurer une transition.
Si le oui gagne, il faudra encore voter l’Italicum, la loi électorale, et mettre en œuvre la réforme de la Constitution.