Penser l’après : des forts plus forts dans un monde affaibli

Alors que le « Grand Confinement » touche à sa fin en Asie et en Europe, on annonce partout que « plus rien ne sera comme avant ». Dans l’économie mondiale et dans les relations internationales, la crise du Covid-19 aurait fait advenir « un autre monde ». Pour les uns, la pandémie et la récession auraient déclenché une prise de conscience en faveur de la décroissance, de la protection de l’environnement et des souverainetés nationales. Pour les autres, la crise constituerait l’acte de décès de la mondialisation et du multilatéralisme. Elle marquerait même le début d’un chaos général dominé par la Chine. Toutefois, la crise actuelle bouleverse-t-elle réellement les rapports de force antérieurs, sur le plan géopolitique et géoéconomique ? N’exacerbe-t-elle pas plutôt des tensions préexistantes ? Ne révèle-t-elle pas des rapports de force latents ?

La rivalité entre la Chine et les Etats-Unis
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Un monde neuf naît-il sous nos yeux ? Sans doute pas. Nous voyons plutôt l’émergence d’un monde plus dur et plus inégalitaire où les plus puissants sont affaiblis mais résistent mieux, tandis que les plus faibles sont, eux, durablement affaiblis et risquent l’effondrement. Le « monde d’après » connaîtra non pas un bouleversement mais un durcissement.
En politique comme en économie, les crises majeures ont généralement trois effets : elles révèlent des phénomènes passés inaperçus ; elles accélèrent la transformation des rapports de force ; et, parfois, elles détruisent l’ordre ancien. Les crises actuelles sont à la fois sanitaires, économiques, budgétaires et politiques. Elles ont déjà produit ces effets. Mais elles ont des conséquences bien différentes des crises du XXe siècle comme les deux Guerres mondiales, la Grande Dépression ou encore la vague de décolonisations.
Toutes ces évolutions historiques avaient transfiguré les relations internationales : elles avaient transféré l’hégémonie politico-économique de certains États installés ou ruling powers (Allemagne, France, Royaume-Uni, Japon) à d’autres États en essor ou rising powers (les États-Unis, l’URSS, puis les Tigres asiatiques). Ces métamorphoses géopolitiques avaient également fait apparaître de nouvelles puissances : l’Inde unifiée et indépendante en 1947, la Chine communiste et pacifiée en 1949, l’Égypte nassérienne après la crise de Suez en 1956 puis, après la crise de 1998, les BRICS.

Une crise darwinienne : vers une Grande Divergence entre États

La série de crises en cours déclenche des bouleversements, mais ils ne sont pas de cette nature. Bien entendu, tous les États sont frappés à des degrés divers par la pandémie. Qu’ils soient développés, émergents ou en développement, tous pâtissent d’une récession générale estimée par le FMI à environ 3 % du PIB mondial. Mais tous n’ont pas les mêmes capacités de rebond, de résilience ou de reprise. Autrement dit, pour paraphraser Les Animaux malades de la peste – « Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés » –, tous les États affrontent le même présent d’affaiblissement économique mais ils ne se préparent pas tous le même futur de reprise. Et leurs trajectoires respectives pourraient bien diverger à l’occasion de l’incertain déconfinement, du lent rétablissement et de la lointaine reprise.

La crise actuelle est d’ores et déjà proprement darwinienne : les États les moins solides seront encore plus pénalisés que les autres. En effet, dans le monde qui s’annonce, les positions relatives des États seront déterminées par la solidité de leurs colonnes vertébrales étatiques. Juguler la pandémie et répondre à la crise économique nécessite des pouvoirs publics efficaces ; dès lors, les pays dotés d’institutions solides, administrativement, budgétairement et politiquement, sont mieux en mesure de résister et de profiter du retour à l’activité. Facteur aggravant de la Grande Divergence qui s’annonce : alors même que la pandémie réclamerait un effort supplémentaire de coopération internationale, le multilatéralisme se voit encore plus accusé d’inefficacité. Or, le multilatéralisme est explicitement conçu comme une barrière à la divergence entre États.
On pourrait penser que les crises actuelles précipitent le retour du monde du XIXe siècle régi par l’affrontement entre puissances nationales. En réalité, nous ne revenons pas deux siècles en arrière mais nous sommes brutalement projetés dans l’avènement du monde du XXIe siècle où l’affrontement entre la Chine et les États-Unis domine la scène internationale, où le multilatéralisme et le libre-échange sont sapés et où l’Union européenne tâtonne pour prendre un rôle géopolitique. En un mot, la crise actuelle est profondément inégalitaire à l’intérieur de chaque société, au sein de chaque région et sur la scène mondiale : les États les plus puissants sont affaiblis au même titre que les plus faibles mais ils sont mieux à même de garantir leur résilience et d’organiser leur rebond.

La « ré-étatisation du monde » à marche forcée

Depuis la fin de 2019, en quelques mois, en quelques semaines, le monde s’est affaibli, l’économie s’est appauvrie et les relations internationales se sont tendues. Cette dynamique a consacré le grand retour des États-nations sur la scène politique nationale, régionale et internationale. Là encore, il s’agit d’une accélération et non d’une disruption ou d’une rupture. C’est bien une ré-étatisation et non une étatisation qui est réalisée.
Après les épidémies – heureusement circonscrites – du SARS de 2002 à 2004 en Asie et en Amérique du Nord et d’Ebola en 2014-2015 en Afrique de l’Ouest, la maladie est redevenue un acteur majeur des relations internationales. Le bilan médical du Covid-19 est d’une ampleur inédite au XXIe siècle : le virus a contaminé plus de 4,3 millions de personnes dans le monde et a causé près de 300 000 décès. La pandémie est mondiale stricto sensu, avec 180 pays touchés. Ce sont les phénomènes biologiques qui ont en quelques semaines pris le devant de la scène géopolitique.

Les mesures prophylactiques décidées par les États ont causé en quelques semaines une récession mondiale. Ces perspectives macroéconomiques défavorables laissent déjà entrevoir une hausse massive du chômage, sans doute à hauteur de 14 % de la population active aux États-Unis et de 10 % dans l’UE. Le commerce international est en contraction nette (de 13 % à 32 % pour 2020 selon l’OMC). Quant à la situation sociale, elle risque de se dégrader au point de replonger dans la pauvreté les populations qui, en Asie, en étaient sorties à la faveur de la mondialisation. Des risques sévères de remous politiques intérieurs menacent à l’horizon : la défiance envers les pouvoirs publics, la dégradation de la situation matérielle des couches populaires et l’aggravation des inégalités internes pourraient déboucher sur de véritables troubles.
En limitant les déplacements, en stoppant l’appareil productif, en entravant le commerce, l’État « biopolitique », pour reprendre l’expression de Michel Foucault, a eu pour priorité la préservation de la vie biologique au détriment explicite de la santé économique. C’est ce qui a entraîné un accroissement massif, rapide et indispensable de l’action économique de l’État.
Ainsi, les plans de soutien aux entreprises, aux salariés et à l’économie sont en essor constant. Aux États-Unis, les allégements fiscaux, les garanties apportées par les pouvoirs publics et les subventions directes s’élèvent chaque jour plus haut, en valeur absolue et en proportion du PIB, faisant redouter le retour du Big Government. De même, les institutions de l’UE ont porté leur effort financier à des sommes considérables au vu du PIB de l’Union (voir infra). Et il en va ainsi dans toutes les économies ou presque : l’intervention publique est massive et a augmenté de plusieurs points de PIB en quelques semaines. Sur les scènes politiques et dans les mondes économiques nationaux, l’État fait son grand retour : l’État « médecin » et l’État « gendarme » qui ont ordonné et surveillé les politiques de confinement ont été épaulés par l’État-Providence capable de soutenir les chômeurs et par l’État-interventionniste capable de mobiliser les finances publiques pour soutenir l’économie.
Cette « ré-étatisation du monde » a une incidence directe sur le cours des relations internationales : la nouvelle centralité de l’État creuse des inégalités. Qui a un État robuste doté de ressources (fiscales, budgétaires, médiatiques, administratives) importantes peut lutter contre les effets de la crise bon an mal an. Mais qui a un État déjà affaibli ou inefficace risque l’effondrement intérieur et la marginalisation internationale. La façon dont des États moyens mais administrativement efficaces comme Singapour, Taïwan ou la Corée du Sud ont réagi démontre l’importance de la puissance étatique. En revanche, la lenteur et la désorganisation chronique de l’administration indienne ont entravé le traitement de l’épidémie et de la crise par New Delhi.
Certains États tireront parti de la crise pour renforcer leurs positions à la faveur de l’affaiblissement des autres. Ce sera le cas des deux puissances déjà dominantes à l’entrée dans la crise : la République populaire de Chine et les États-Unis d’Amérique. Pour ces puissances mondiales aussi, la crise a des effets cruels. Mais elles ont mobilisé leurs immenses ressources militaires, médiatiques, diplomatiques, technologiques et scientifiques pour gagner du terrain sur plusieurs théâtres stratégiques et économiques.

Du G2 sino-américain au « piège de Thucydide »

Dans la Grande Divergence entre États actuellement en cours, les deux superpuissances contemporaines sont simultanément frappées de plein fouet. Mais elles durcissent déjà leurs positions respectives en vue de la phase de reprise. Pékin et Washington sont déterminés à se tailler la part du lion dans un « gâteau » géoéconomique dont la taille s’est réduite.
Ainsi, la RPC a opéré en six mois une mue remarquable, étonnante et paradoxale. Foyer de l’épidémie et suspectée de désinformation, elle a tenté de devenir une superpuissance sanitaire en déployant une « diplomatie des masques » ». Mise en accusation, elle essaye de faire porter la responsabilité à l’Occident et aux États-Unis, les taxant d’inconséquence, de négligence et d’impéritie, comme la vidéo virale Once Upon A Virus qu’elle a diffusée le montre sans détour. Elle a révélé l’ampleur de ses ambitions en passant à la diplomatie du « loup combattant », autrement dit à une tactique agressive, destinée à discréditer ses rivaux. La puissance chinoise ne sortira pas de la crise seule car son économie est trop dépendante des exportations vers l’UE et les États-Unis. Mais elle met d’ores et déjà à profit ses réserves financières et ses capacités d’investissement pour lancer des offensives de rachats dans les économies affaiblies, acquérir des parts de marché et profiter de sa légère avance en matière de déconfinement. Les PME de niches en difficulté et les États en détresse budgétaire comme le Laos et le Cambodge sont des cibles de choix.
Dans la période qui s’ouvre, les États-Unis ont, eux, pris du retard sur bien des plans. Initialement négligents sur le plan prophylactique, les pouvoirs publics n’ont pas empêché un bilan humain très lourd et ont ainsi subi un certain discrédit international. Durant la première phase de la crise, la présidence Trump a privilégié le repli de l’Amérique en fermant les frontières. Elle a renoncé à montrer la voie et donc à exercer le leadership mondial dans cette crise. Les États-Unis sont pourtant habitués, depuis un siècle, à prendre l’initiative et à fixer leur cap ; ils l’ont fait lors des précédentes catastrophes stratégiques et économiques. Peut-on en conclure que la pandémie minera durablement la place du pays sur la scène internationale ? Ses capacités de réaction ne doivent pas être sous-estimées.

L’économie américaine est résiliente : elle a été prompte à détruire des emplois mais saura rapidement les recréer une fois la reprise amorcée. Il en va de son caractère structurellement pro-cyclique. De même, au niveau international, si les États-Unis paraissent temporairement affaiblis, ils se sentent, eux, encore plus engagés dans la rivalité avec la Chine et prêts à répondre à l’offensive lancée par celle-ci. En 2017, Trump avait fondé sa candidature sur le refus de la dépendance à l’égard de Pékin. En 2018, sa présidence s’était poursuivie par un relèvement des droits de douane et par un protectionnisme assumé conduisant à une « guerre commerciale ». Est-il si néfaste pour le président-candidat en campagne de s’afficher comme l’opposant explicite de Xi Jinping ? Les États-Unis pourront surprendre durant les mois qui viennent par leur capacité à mobiliser leurs ressources de tout type afin de retrouver leur place.

Les tensions sino-américaines donnent le ton de la période : une rivalité préexistante s’accentue à la faveur de la crise, précipite un virage nationaliste de part et d’autre et accélère la rupture des deux grandes puissances avec le multilatéralisme. Sur le plan international, la crise écarte durablement la perspective d’un G2 sino-américain qui supplanterait le G7, le G8 et le G20 comme institution de direction des affaires du monde. En fait, l’évolution internationale actuelle concrétise la perspective du « piège de Thucydide » – autrement dit, elle hâte l’affrontement entre la Chine et les États-Unis. L’accélération donnée par la crise a conduit à une clarification : le monde qui vient sera crûment dominé par cette gigantomachie sino-américaine.

L’Union européenne, de la résilience au leadership ?

En Europe également, la crise a précipité des évolutions à l’œuvre depuis une décennie sans les bouleverser. Dans les premiers temps, elle a ravivé les démons de la discorde. L’Italie s’est considérée abandonnée par l’Europe au moment où le bilan s’élevait à près de 1 000 décès par jour, alors qu’elle s’était déjà jugée oubliée par Bruxelles lors des crises migratoires de 2015-2016. De manière générale, le fossé entre un « Nord cigale » et un « Sud fourmi » s’est manifesté. Quand les discussions budgétaires se sont engagées pour le nouveau cycle de programmation financière de l’Union, les oppositions se sont affirmées entre les « États frugaux » (Allemagne, Pays-Bas, Suède), partisans d’une décrue du déjà modeste budget commun, et les États du Sud et de l’Est, avocats d’une plus grande ambition et donc d’une plus grande cohésion. La controverse sur l’émission d’obligations émises par la Commission européenne, les fameux « coronabonds », atteste de cette dissension interne.
Mais l’arbre du débat interne (médiatisé à dessein par les Pays-Bas) ne doit pas cacher la forêt du consensus fondamental. Peu à son aise en matière sanitaire, l’Europe s’est révélée réactive en matière financière, budgétaire et économique, suspendant le Pacte de stabilité et de croissance quelques jours après le début de la pandémie en Europe, déclenchant à travers la Banque centrale européenne un plan de rachat de dettes privées et publiques historique par son montant (1 000 milliards d’euros au total en 2020), activant le Mécanisme européen de stabilité pour 240 milliards d’euros de prêts fournis aux États, mettant sur pied le mécanisme SURE de 100 milliards d’euros pour soutenir les États membres dans leur indemnisation du chômage partiel et programmant des prêts de la part de la Banque européenne d’investissement. Les institutions européennes ont repris le flambeau de l’État-Providence forgé et rôdé tout au long de son histoire politique.
Modèle de résilience, l’Europe aborde la fin du déconfinement sensiblement affaiblie par la pire récession de son histoire mais pas nécessairement en position défavorable, tant son expérience des plans de sauvetage est longue. Une opportunité géopolitique pourrait même se manifester pour elle : entre un leadership chinois qui ne fédère pas et un leadership américain qui se dérobe pour le moment, l’UE pourrait saisir l’occasion de passer à une autre étape de son action internationale, par exemple via les mécanismes d’aide publique au développement, comme elle a commencé à le faire.

De la crise du multilatéralisme aux risques de décrochage

Si les puissances établies sont affaiblies mais résilientes, le multilatéralisme et les États qui en bénéficiaient sont, eux, exposés à un risque de décrochage majeur. Le multilatéralisme du système des Nations unies est entré dans la crise sous le feu des critiques et risque d’en sortir en lambeaux. Au moment même où la coopération médicale est le plus nécessaire, l’agence spécialisée des Nations unies chargée de la santé, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a été constamment au centre d’un affrontement entre puissances. Critiquée par la présidence Trump pour son coût pour le contribuable américain, elle a été accusée d’avoir endossé les positions chinoises et d’avoir ainsi trahi sa mission historique de lutte contre les pandémies. Symptôme du « chacun pour soi » de la crise de ce printemps, les États-Unis ont suspendu leur contribution financière au budget de l’OMS.
Alors que le multilatéralisme était (difficilement) né des crises précédentes – les deux Guerres mondiales avaient respectivement conduit à la création de la Société des Nations et de l’ONU, et la crise financière de 2008-2009 avait renforcé le poids du G7 et du G20 –, la crise actuelle contribue à le laminer. Elle consacre un Grand Repli où les instances de résolution des différends et les outils de coordination sont par principe en butte au soupçon. Dans une terrible prophétie auto-réalisatrice, la crise du multilatéralisme accroît ses inefficacités et alimente sa critique.
Or plusieurs régions bénéficient directement du multilatéralisme, l’Afrique au premier chef. Dans la deuxième partie du XXe siècle, c’est dans le cadre de l’ONU et des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) que les jeunes États indépendants s’étaient affirmés sur la scène internationale. Et c’est là que les programmes d’aide au développement (non exempts de lacunes) avaient été mis en place. La critique du multilatéralisme et la raréfaction des ressources budgétaires disponibles pour l’action extérieure risquent de réduire considérablement le soutien public à l’essor de l’Afrique.

Sur ce continent où les infrastructures médicales sont aussi réduites que les statistiques épidémiologiques fiables, nul ne sait encore quelle est l’étendue réelle de la pandémie. Mais la récession mondiale touchera nécessairement ses économies les plus dynamiques (Éthiopie, Afrique du Sud). La division par trois des cours mondiaux des hydrocarbures affectera particulièrement l’Algérie et le Nigéria. Dépourvus d’administrations rompues à l’exercice des plans de relance, ces États abordent la crise économique en position particulièrement défavorable car la relance ne pourra venir que du secteur privé – endommagé – et de l’économie internationale – paralysée.
Pour l’Afrique, le décrochage économique pourrait se doubler d’un découplage stratégique. Alors que les guerres au Sahel et en Libye accaparaient l’attention des diplomates et des militaires, ces conflits perdurent mais sont devenus périphériques, laissés à leur propre sort. Comme le montre le cas de l’Afrique, le monde pourrait désormais se structurer entre des zones où la lutte contre la pandémie est la priorité et d’autres où elle est secondaire et où restera donc latente pendant des années.
Ces dernières risquent fort de se trouver en état de relégation sanitaire, puis économique et politique. Ce qui pourrait avoir des effets sur les flux migratoires Sud-Nord – reste à savoir lesquels. Pour mémoire, depuis 2015 l’Union européenne doit son accroissement démographique aux migrations. Tenter de véritablement fermer les frontières extérieures de l’UE aux foyers migratoires et pandémiques aurait des effets accélérateurs sur l’effacement démographique relatif de l’UE. Cela passerait en outre par un durcissement des moyens consacrés à cette politique, affaiblissant davantage encore les postures morales de l’UE.

De la « ré-étatisation » du monde à la Grande Divergence

Dans les crises actuelles, bien des incertitudes sont encore à lever. Ainsi, l’Iran est mis en grande difficulté par l’ampleur de la pandémie, les remous sociaux, l’effondrement des cours des hydrocarbures et le durcissement de la présidence Trump. De même, la Russie mobilise les réserves financières de ses deux fonds souverains pour subventionner l’économie mais ne semble pas avoir de plan de relance en raison même des faiblesses structurelles de son modèle économique. En effet, la baisse des cours des hydrocarbures souligne de nouveau à quel point les ressources publiques et la prospérité de la population dépendent d’une seule et même variable. Et le Brésil est en proie à une crise politique intérieure qui s’accentue du fait des choix de gestion de l’épidémie.
Malgré ces incertitudes, plusieurs conséquences des crises sont déjà confirmées : la compétition pour la reprise dans un monde globalement appauvri sera d’autant plus féroce que l’activité sera rare. Dans cette lutte, les puissants d’avant la crise (Chine et États-Unis) sont en ordre de bataille pour défendre leurs intérêts à la faveur de l’affaiblissement généralisé de l’économie internationale. Et, de manière générale, la « ré-étatisation du monde », on l’a dit, confère aux États résilients un avantage comparatif sur les autres États moins familiers avec les politiques de santé publique, les plans de relance et l’intervention publique en matière socio-économique.
La crise multiforme de 2020 n’est pas grosse d’un nouveau monde. Elle rend le monde existant plus âpre, plus brutal et plus inégalitaire.