Dans quelques mois débutera la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Nul doute qu’au cours de cette période, la question se posera de la nature des relations à entretenir avec la Russie. Cette relation doit être approchée à l’aune des données marquantes de ces dernières décennies – fin du monde bipolaire, interventions russes en Géorgie et en Ukraine, situation politique interne en Russie – et des évolutions plus contemporaines. Parmi ces dernières, on peut citer la redéfinition des relations entre la Russie et les États-Unis amorcée par la rencontre entre Vladimir Poutine et Joe Biden, le 16 juin, de même que la densification du partenariat entre la Russie et la Chine.
Dans ce contexte où chacun défend ses intérêts propres, et alors que la pandémie de Covid-19 a marqué un coup d’arrêt aux tentatives de rapprochement de l’année 2019 à l’issue de la rencontre de Brégançon notamment, le Club des vingt présente, à la suite d’une analyse de l’état des relations France, UE, Russie, un ensemble de propositions en vue de relancer le dialogue et de relever le défi de la diplomatie russe.
I. L’état des relations France-UE-Russie
Depuis son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine revendique, pour la Russie, un statut de grande puissance. Cette quête repose sur plusieurs piliers, comme le développement ininterrompu de l’appareil militaire, la constitution de relations fortes dans l’« étranger proche », l’entretien d’un équilibre entre autonomie dans la gestion de ses intérêts et la reconnaissance de son statut par les grandes puissances, les États-Unis en premier lieu. L’évolution de la politique étrangère russe ces dernières années suit cette ambition et représente un défi pour les diplomaties de l’Union européenne.
• L’évolution des relations extérieures de la Russie
Le sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine de juin confirme la place de la Russie comme partenaire stratégique des États-Unis. L’évolution de cette relation, au même titre que la diversification des partenariats extérieurs russes, avec la Chine et l’Inde notamment, ou encore l’affirmation d’une présence au sein des arènes multilatérales, sont autant d’éléments poussant à une reprise du dialogue entre les Européens et la Russie sur des bases réalistes.
->La relation russo-américaine
En qualifiant Vladimir Poutine de « killer without a soul », Joe Biden se dirigeait vers un antagonisme avec la Russie, au nom des valeurs démocratiques et des droits de l’homme. Mais la réalité de la relation russo-américaine depuis l’élection de Joe Biden est plus contrastée. Dès son arrivée à la Maison Blanche, le président américain a prorogé de cinq ans le Traité New Start. Le sommet de juin à Genève reconfirme, lui, la responsabilité conjointe des deux puissances pour une stabilisation stratégique nucléaire dans le monde.
Le nucléaire et l’armement ne sont pas les seuls sujets de négociations. Au cours de ce sommet, le projet de création d’un groupe de travail sur la cybercriminalité est avancé. La France et les Européens peuvent se réjouir de cette priorité accordée par les deux puissances à des questions aussi centrales que le nucléaire et le cyber. Pour autant, des sources d’inquiétudes demeurent : l’abandon du traité sur les forces nucléaires intermédiaires génère une vulnérabilité des pays européens et le dialogue bilatéral sur le cyber risque de les mettre à l’écart quand bien même ils seraient directement concernés.
-> Les relations russes avec la Chine et les pays d’Asie
Dès son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine s’est montré désireux d’entretenir de bonnes relations avec les principaux pays d’Asie. La relation sino-russe repose d’abord sur l’intérêt chinois pour les technologies militaires russes, en particulier depuis le boycott décidé par les pays occidentaux à la suite des événements de Tien An men. Mais elle consiste aussi bien souvent à défendre des positions communes dans les enceintes multilatérales pour contrer les initiatives occidentales.
Parmi les premières visites officielles de Vladimir Poutine, on trouve celle en Chine, au mois de juin 2000. Depuis, la relation s’est renforcée par un traité d’amitié signé en 2001 et le règlement des derniers litiges concernant la frontière entre les deux pays, en 2004. En juin 2021, les présidents Vladimir Poutine et Xi Jinping ont annoncé la prolongation pour cinq années de ce traité. Les deux pays créent, de plus, l’Organisation de Coopération de Shanghaï en 2001 pour donner un cadre à l’évolution de leur influence en Asie centrale.
La relation avec l’Inde, depuis la première visite de Vladimir Poutine en octobre 2000, s’est également renforcée au gré du souci des dirigeants indiens de diversifier leurs partenariats.
-> La Russie dans le cadre multilatéral
La quête de puissance et de reconnaissance de Vladimir Poutine passe également par le cadre multilatéral. La Russie attache une grande importance au Conseil de sécurité des Nations Unies, au sein duquel elle use fréquemment de son veto pour défendre, notamment, le principe de non-ingérence. Après avoir été suspendue du G8 en 2014, elle participe toujours activement aux réunions du G20. En plus de son adhésion à l’OMC en 2012, après des négociations difficiles, la Russie s’investit également dans les cadres multilatéraux émergeant, à l’image des BRICS, dès la création en 2009.
• Une popularité entamée, mais toujours forte
Vladimir Poutine ne montre pas autant d’intérêt pour les politiques sociales en Russie que pour ses politiques d’armement et d’influence à l’extérieur. Sa popularité, au milieu de son quatrième mandat de président de la République, reste forte toutefois quand bien même elle s’érode au sein des élites, notamment.
Le président russe doit tout de même faire face à certains défis en interne. Le premier d’entre eux est la baisse du pouvoir d’achat qui affecte la population russe. La pandémie de Covid-19 est également source de mécontentement. Vladimir Poutine n’a pas tenu sa promesse concernant les vaccinations et sa gestion de l’épidémie est pointée du doigt. Le maire de Moscou, par exemple, se démarque de la stratégie nationale en prenant des mesures restrictives au cours de la dernière semaine du mois de juin.
La nouvelle constitution permet à Vladimir Poutine de se représenter en 2024 et même en 2030. À ce jour, il n’existe pas de menace sérieuse à son pouvoir et il devrait remporter les élections législatives de septembre 2021 malgré l’appel au « tout sauf Poutine » de l’opposant A. Navalny.
• La France et l’UE vis-à-vis de la Russie, entre crédibilité et divisions
La reprise du dialogue entre les États-Unis et la Russie a incité la France et l’Allemagne, au cours de la réunion du Conseil européen du 24 juin, à proposer la tenue d’un sommet avec Vladimir Poutine. Les trois pays baltes et la Pologne, comme attendu, se sont opposés à cette idée, de même que le Premier ministre des Pays-Bas, Mark Rutte, gardant en mémoire la mort des citoyens néerlandais dans le crash de l’avion de la Malaysia Airlines, le 17 juillet 2014.
L’Union européenne est toujours divisée à propos de la relation avec la Russie. L’initiative allemande de ces dernières semaines souffre, de plus, d’une impréparation. Pour autant, la France et l’Allemagne, soutenues par les pays d’Europe du Sud, restent les plus à même de lancer une initiative européenne en vue de refonder le partenariat avec la Russie mis à mal par les élargissements de l’OTAN vers l’Est de l’Europe et par les épisodes de conflit en Géorgie et en Ukraine, notamment.
-> Du rapprochement aux crises, un état des lieux de la relation entre Vladimir Poutine et l’Europe
Pendant ses deux premiers mandats, Vladimir Poutine mène une politique européenne très active. Cette tendance se traduit notamment par une bonne relation avec Tony Blair, Gerhard Schröder ou encore Jacques Chirac. Membre du Conseil de l’Europe, la Russie observe depuis un moratoire sur la peine de mort. En mai 2003, un sommet Russie/UE tenu à Saint Pétersbourg décide de la création de quatre espaces communs : un espace économique, un espace de recherche, d’éducation et de culture, un espace de liberté, de sécurité et de justice, et un espace de sécurité extérieure. Cette initiative était sûrement trop ambitieuse : elle se heurte à l’opposition des trois pays baltes et de la Pologne.
Les élargissements de l’OTAN en 1999 et en 2004, bien plus alors que les adhésions à l’UE, sont une source de conflit entre la Russie les autres pays européens. Ces élargissements, de même que les « révolutions de couleur » et l’issue du conflit au Kosovo, poussent Vladimir Poutine à réaffirmer sa volonté de défendre les intérêts de la Russie, d’abord en Géorgie en 2008, puis en Ukraine en 2013.
Dans la crise ukrainienne, les ministres français, allemand et polonais des affaires étrangères tentent, conjointement avec un ambassadeur russe, d’arriver à un accord de transition. Cet accord, qui a l’aval du président ukrainien d’alors, Viktor
Ianoukovitch, est finalement rejeté par les manifestants de la place Maïdan. Un accord est signé à Minsk le 12 février 2015, prévoyant le cessez-le-feu, l’échange des prisonniers, l’autonomie des provinces de Donetsk et de Louhansk, et l’organisation d’élections locales. Un groupe de contact tripartite a été mis en place sous l’égide de l’OSCE pour élaborer des solutions concrètes sur ces différents points.
-> Dans la reprise du dialogue, la France a toute sa légitimité
Dès 2008, la France joue un rôle de médiateur lors de l’intervention russe en Géorgie. L’implication de Nicolas Sarkozy permet de tenir le Sommet semestriel entre l’UE et la Russie, à Nice, au mois de novembre. Le président Macron entretient ce positionnement lorsqu’il invite Vladimir Poutine en mai 2017 à l’occasion de l’inauguration d’une exposition sur Pierre le Grand à Versailles. Il est décidé, à cette occasion, de lancer un dialogue entre les sociétés civiles russe et française, le Dialogue du Trianon.
En août 2019, au Fort de Brégançon, les deux présidents conviennent de la création d’une structure de dialogue en vue de réfléchir à une « nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe ». Pierre Vimont et Youri Ouchakov, Conseiller diplomatique du président russe, ont mis en place treize groupes de travail allant dans ce sens. C’est à l’initiative de la France qu’à la suite de la rencontre de Brégançon, entre le président Macron et le président Poutine, s’est tenu en décembre 2019 à Paris, le sommet en format Normandie (France, Allemagne, Russie, Ukraine) au cours duquel Poutine et Zelensky [1] se sont rencontrés pour la première fois et qui a permis une relance du processus.
D’autres mécanismes de dialogue subsistent à l’image du format 2+2 associant les deux ministres des Affaires étrangères et de la Défense qui se rencontrent en septembre 2019, ou encore le Conseil économique, financier, industriel et commercial (CEFIC), dont la dernière session s’est tenue en décembre 2019, avec les deux ministres de l’Économie et des Finances.
->Le dialogue euro-russe en cale sèche
On ne saurait oublier l’humiliation imposée au chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, par le ministre des affaires étrangères russe, Serguei Lavrov, lors de leur rencontre à Moscou en février 2021. Là où l’envoyé européen venait pour tenter de relancer les relations euro-russes, il a été tourné en ridicule par son interlocuteur qui lui a fait savoir qu’à Moscou on ne considérait pas l’UE comme un partenaire « fiable » et que la Russie n’avait pas l’intention de dialoguer sérieusement avec elle. Depuis cet invraisemblable épisode les relations euro-russes sont en cale sèche.
II. Les relations entre la France, l’UE et la Russie : un scénario de relance.
Dans l’opinion publique française comme dans l’ensemble de l’Europe, certains se montrent critiques à l’égard de la diplomatie menée à Bruxelles, à Paris ou à Berlin envers le Russie. Selon eux il vaudrait mieux reconnaître son caractère européen et changer radicalement notre relation avec Moscou. Et il est vrai que les Européens ont souvent fait preuve de suivisme en calquant leurs comportements et leurs décisions sur ceux des Etats-Unis, lesquels ont été presque systématiquement hostiles à la Russie nouvelle comme aux temps de l’URSS. Aujourd’hui cependant tout cela a changé. L’Amérique de Biden est plus ouverte et l’Europe a pris conscience de la nécessité d’une approche autonome de sa relation avec la Russie, partie intégrante du continent européen avec laquelle elle a une histoire partagée et une culture commune.
Mais force est de reconnaître que si, sur le principe, cet objectif est tout à fait souhaitable, il ne paraît pas qu’il soit réaliste de l’envisager de prime abord. Deux obstacles majeurs s’y opposent.
Le premier, c’est l’opposition affichée par les trois pays baltes, annexés par l’Union soviétique en 1940, et la plupart des pays d’Europe centrale et orientale hier occupés par l’Armée rouge pendant près de 50 ans. Les traces n’en sont pas effacées, les ressentiments et les craintes ne sont pas apaisés. Certains l’expriment plus fortement que d’autres, ce sont les pays baltes et la Pologne. Les dirigeants russes seraient avisés de s’en soucier. La nécessité finira par s’imposer de faire face à ce qui a constitué une fracture majeure de l’histoire européenne. Nous aussi, les Européens de l’Ouest, devrions en prendre conscience.
La France en particulier doit plus et mieux s’intéresser aux préoccupations de cette « Europe de l’Est » qui pèsera lourd, qu’on le veuille ou non, dans l’avenir des relations euro-russes. Pour le moment, il n’y a pas vraiment de consensus en Europe à propos de la Russie, ce qui a pour effet de bloquer les initiatives de l’UE et donne par suite des responsabilités aux Etats membres, en particulier à l’Allemagne et à la France. L’UE devrait prendre en compte les réticences des pays concernés. Elle pourrait à terme leur apporter des garanties de sécurité dans le cadre de l’autonomie stratégique que promeut la France, et les accompagner dans une démarche à la fois mémorielle et réconciliatrice.
Mais il y a une autre difficulté : c’est l’attitude de la Russie à l’égard de l’Union européenne. La priorité pour Moscou est de retrouver son rang de superpuissance. Cette reconnaissance, toujours attendue, jamais obtenue, elle l’attend essentiellement de l’Amérique. Joe Biden l’a bien compris en proposant à Vladimir Poutine, dès son arrivée à la Maison Blanche, une rencontre au sommet en tête à tête, qui a eu lieu à Genève en juin 2021.
A l’égard de l’Europe, il en va autrement. Certes les dirigeants russes sont conscients de la puissance économique et financière de l’Europe. Le fait que la Banque centrale détienne le tiers de ses réserves en euros le prouve. Mais Moscou n’accepte pas les tentatives d’intervention dans ses affaires intérieures et la distribution des approbations et sanctions à laquelle l’UE se livre. En outre, les dirigeants russes, Vladimir Poutine le premier, considèrent avant tout les rapports de force et voient les faiblesses et les divisions politiques de l’UE. Ils ne sont guère ouverts à engager une négociation de fond avec les Européens. Le vrai défi pour l’Europe est de se faire reconnaître comme puissance politique par Moscou. Pas tellement en sanctionnant la Russie, mais en surmontant ses propres faiblesses. Autant dire que changer le paysage diplomatique entre l’Europe et la Russie, c’est bien un objectif important, mais il est sans doute de moyen, voire de long terme.
Le général de Gaulle avait bien compris que pour construire avec la Russie une relation politique ambitieuse il fallait procéder par étapes : « la détente, l’entente, puis la coopération » avait-il dit dans une déclaration célèbre. C’est ce genre de scénario que l’Union européenne devrait avoir à l’esprit. Pour l’heure, le premier objectif est la détente avant l’entente.
En fait la Russie, comme l’UE, a des intérêts évidents à reprendre le dialogue et la coopération entre elles. L’UE reste le premier partenaire de la Russie sur le plan commercial comme en matière d’investissements. Pour sa part, la majorité de la population russe se sent profondément européenne et veut éviter un tête à tête avec la Chine dix fois plus peuplée qu’elle. L’UE, pour sa part, a besoin des matières premières et du vaste marché que représente la Russie qui constitue par ailleurs un partenaire incontournable sur de nombreux sujets comme le réchauffement climatique, le Moyen-Orient ou l’Afghanistan. Enfin, pour la France, la Russie est un partenaire majeur au Conseil de sécurité.
Dans un tel contexte, la France n’est pas mal placée pour proposer des initiatives nouvelles. Elle a montré au cours de l’année 2019 sa capacité à nouer un dialogue, certes modeste mais concret. Sa présidence de l’UE au premier semestre 2022 devrait lui fournir l’opportunité de donner une dimension européenne à sa démarche.
Le schéma pourrait être le suivant :
-> 1/ D’abord fixer l’objectif d’un sommet euro-russe dans les premiers mois de 2022
Après la pandémie, qui a de facto interrompu tous les contacts, la France pourrait proposer d’organiser avec la Russie un sommet selon un format à adapter pour lever les réserves exprimées récemment par la Pologne et les pays baltes, ce qui préluderait à la reprise des sommets réguliers abandonnés depuis 8 ans. Il est rappelé que le protocole de ces sommets n’impliquent pas la présence obligatoire de tous les États membres, ce qui permettrait à certains d’entre eux de s’abstenir sans bloquer la démarche. L’objectif de cette réunion serait de « remettre la machine en marche », faire l’inventaire des sujets d’intérêt commun ouverts à des coopérations et acter des sujets de désaccord nécessitant des négociations ultérieures
-> 2/ L’UE pourrait suggérer de sortir de la logique de confrontation créée par l’élargissement de l’OTAN et l’illusoire proposition de « Partenariat pour la paix » en redonnant, autant que faire se peut, un rôle plus éminent et actif à l’OSCE comme instance de réflexion, de dialogue et de proposition sur les questions de sécurité.
-> 3/ Le sommet envisagé devrait fournir l’occasion de donner une impulsion décisive au processus de Minsk en format Normandie, seul cheminement susceptible de conduire à une solution politique au Donbass, étant précisé que les orientations définies devraient être respectées de part et d’autre.
-> 4/ De même devrait être abordée la question des sanctions et restrictions aux échanges. Le Club des Vingt a déjà exprimé à diverses reprises son opposition de principe à ces procédures dont l’inefficacité est patente et dont les effets pervers sont avérés. S’agissant des mesures prises à cet égard par l’UE pour protester contre la déstabilisation du Dombass (et des mesures de rétorsion prises par Moscou), il est certes acquis qu’elles doivent être levées au fur et à mesure de la mise en œuvre des accords de Minsk, mais il serait de bonne méthode et de bon augure que la relance ci-dessus évoquée du processus de Minsk s’accompagne d’un calendrier prévisionnel de démantèlement progressif de ces mesures, voire d’une première étape éventuelle de ce calendrier.
-> 5/ Reconnaître le caractère prioritaire du dossier de la cybersécurité
Le dossier de la cybersécurité est devenu une question majeure suite aux attaques répétées venant de cybercriminels basés en Russie, qui pratiquent de façon croissante des attaques par rançongiciels qui affectent sérieusement un nombre important d’entreprises européennes, de services publics, notamment dans la santé, alors que parallèlement se poursuivent dans des infrastructures critiques françaises et allemandes (énergie, transports ou télécommunications) des pré-positionnements de maliciels de sabotage activables à distance dont l’attribution n’est pas publique.
Le Club des Vingt estime essentiel pour la paix et la sécurité en Europe que les Etats s’engagent à mettre fin à l’impunité dont peuvent jouir les groupes cybercriminels installés sur leur territoire, et que la Russie s’engage concrètement à coopérer avec ses partenaires européens dans la lutte contre la cybercriminalité, comme l’a annoncé Alexandre Bortnikov chef du FSB vis-à-vis des Etats- Unis le 21 juin 2021. Dans cette perspective, en concertation et conjointement avec l’Allemagne, un memorandum of understanding devrait être proposé par la France et discuté avec la Russie. L’accord pourrait être ouvert aux membres de l’UE qui souhaiteraient s’y joindre.
-> 6/ Adopter enfin une approche multisectorielle de coopération avec la Russie
Ce serait la suite naturelle de ce premier sommet. L’approche suggérée pourrait être adoptée par Bruxelles mais aussi par chacun des Etats membres qui y seraient disposé.
Par exemple, pour la France :
• Des programmes d’échanges de jeunes organisés par les ministères de l’éducation et de l’enseignement supérieur avec le concours des Universités. Au niveau de l’UE, le programme Erasmus + pourrait être amplifié.
• Des partenariats dans le domaine de la recherche.
• Des programmes d’invitation de personnalités russes d’avenir en créant une Fondation sur le modèle de France-Amérique placée sous l’égide du Dialogue de Trianon.
• Enfin, multiplier des rencontres franco-russes à l’occasion de l’exposition « La collection Morosov, Icônes de l’art moderne », organisée à Paris par la Fondation Louis Vuitton en septembre 2021.
• Un dialogue renforcé au niveau du Conseil de l’Europe.
• Une concertation sur les dossiers d’intérêt commun, en particulier sur les menaces terroristes qui peuvent venir du Moyen-Orient, de l’Afghanistan ou de l’Afrique.
• Tous ces enjeux pourraient justifier de rétablir les réunions périodiques des Premiers Ministres français et russe pour traiter de la coopération technique bilatérale.
Conclusion
Peut-on espérer aller au-delà et nouer entre l’UE et la Russie un véritable partenariat ? La question se pose. A l’origine Vladimir Poutine était sans doute intéressé. Mais il y a eu la crise ukrainienne et les tentations euro-américaines de faire adhérer l’Ukraine à l’OTAN et à l’Europe, toutes choses inacceptables par Moscou et qui sont aujourd’hui éloignées, mais non abandonnées expressément. Il y a aussi la parole non tenue par l’OTAN dans la crise libyenne de 2011. Depuis lors, Vladimir Poutine s’est tourné vers la Chine avec laquelle il a construit une nouvelle relation de caractère stratégique, y compris avec une coopération militaire inquiétante pour l’Europe. A la faveur de la tragédie syrienne, la Russie a repris pied durablement au Moyen-Orient. Aujourd’hui les milices russes investissent l’Afrique, y compris dans les pays francophones d’influence française traditionnelle.
La crise biélorusse désormais ouverte est un obstacle de plus. A cette occasion, les Européens ont sans doute découvert l’existence de ce petit pays de 5 millions d’habitants, victime d’une dictature grossière d’inspiration stalinienne qui crée des problèmes à ses voisins européens, en particulier la Lituanie et la Pologne. L’engagement de Vladimir Poutine aux côtés du président Loukachenko est pour l’UE une nouvelle source d’inquiétude.
Tous ces problèmes sont évidemment solubles. Mais il y faudra de part et d’autre une volonté forte et l’acceptation de compromis. C’est l’intérêt de l’Europe. Les élections législatives en Allemagne et présidentielle en France ouvriront une période nouvelle. L’année 2022 pourrait être une année décisive. Mais c’est aussi l’intérêt de la Russie dont on se demande pourquoi elle se contenterait de servir de « junior partner » à PéKin ou à Washington.
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