Quelle place pour la France dans l’OTAN ?

La France s’est retirée de l’organisation militaire intégrée de l’OTAN en 1966. Elle y est retournée en 2009 dans l’espoir de favoriser le développement d’une défense européenne. Celle-ci reste souhaitable mais elle dépend d’abord de la volonté politique des Européens. Quant à l’OTAN, elle appellerait une réflexion d’ensemble sur ses finalités. En attendant, les conséquences d’une éventuelle sortie de la France serait autrement plus graves qu’en 1966. Il lui reste la possibilité d’utiliser les marges de manœuvre dont elle dispose et de « désotaniser » sa politique extérieure.

Le général de Gaulle annonce le retrait de la France du commandement militaire intégré de l’OTAN
AFP

L’OTAN a été créée en 1949 pour assurer la sécurité et la défense de l’Europe et de l’Amérique du Nord face à la menace soviétique. Un point essentiel du Traité est l’article V qui prévoit qu’un membre de l’Alliance doit venir en aide à tout autre membre qui ferait l’objet d’une attaque militaire. En 1953, l’OTAN a été doublée de l’institution d’une organisation militaire intégrée. Sans remettre aucunement pour autant son adhésion à l’Alliance, la France s’est retirée en 1966 de cette organisation pour ne pas être engagée, au titre de l’article V, dans des conflits dont elle ne voudrait pas.

1989-1992, l’URSS s’effondrant, il n’y a plus de régime des Blocs, l’OTAN semble avoir perdu sa raison d’être. A l’instigation des Etats-Unis, elle va s’arroger un nouveau rôle, celui de bras séculier des Nations-Unies. Mais en fait, elle ne se réfère pas toujours aux Nations-Unies pour légitimer ses actions ou elle y recourt de façon abusive, en Libye par exemple. L’OTAN devient peu à peu comme une sainte alliance occidentale et libérale face à un monde incertain. Dans le souci général de se rapprocher des Etats-Unis et dans l’espoir illusoire de faciliter ce faisant la construction d’une Europe de la défense avec les autres pays européens, la France réintègre l’organisation militaire intégrée de l’OTAN en 2009.

L’attitude ambiguë des Etats-Unis

Aujourd’hui la situation du monde a profondément changé depuis l’époque de la création de l’OTAN. Les rapports de puissance ne sont plus les mêmes. La Russie n’est plus la seule menace, elle n’est pas nécessairement la principale. Leur appartenance commune à l’organisation n’empêche pas des pays membres de mener hors zone des politiques différentes, il en est ainsi par exemple avec les Etats-Unis et la Turquie en Syrie. Au reste, l’organisation intervient ici au cas par cas davantage comme une coalition qu’en tant qu’une alliance véritable, pérenne, à la portée générale. Enfin les Etats-Unis, qui étaient à la fois le leader incontesté de l’OTAN et son grand pourvoyeur de moyens, adoptent désormais une attitude ambiguë à son égard.

Dans ce nouveau contexte général, une réflexion d’ensemble serait à engager sur l’OTAN, ses finalités, son utilité et ses formes d’action. Quelles que soient les conclusions d’une telle réflexion, elles ne paraissent pas pouvoir changer fondamentalement le problème de la France et de l’OTAN.

Nous ne sommes plus en 1966

Le retour de la France dans l’organisation militaire intégrée a affecté son image d’indépendance, allant même jusqu’à lui faire partager dans une certaine mesure celle d’impérialiste attribuée souvent à l’OTAN. Naguère le droit à la différence était reconnu à la France. A présent, avec son retour dans l’organisation militaire intégrée, une divergence d’opinion avec les Etats-Unis débouche sur une crise grave. Nous sommes peu à peu entraînés à nous aligner sur les positions américaines. Ainsi en va-t-il de nos relations avec la Russie. Notre ambition tend à devenir celle de second de la classe atlantique à la place de la Grande-Bretagne.

Les considérations qui précèdent peuvent conduire à nous poser le problème de notre maintien dans l’OTAN. Nous ne sommes plus en 1966, les conséquences d’une sortie seraient autrement plus graves dans nos rapports avec les Etats-Unis et nos partenaires européens. Mais surtout, les choses étant devenues ce qu’elles sont, nos armées n’ont plus aujourd’hui la capacité d’agir seules. La France serait incapable, en particulier sur le plan financier, d’augmenter son effort de manière suffisante, alors que le développement des techniques rend la défense de plus en plus onéreuse.

Garder le cap d’une Europe de la défense

Le problème se pose donc de savoir si une autre organisation, en l’occurrence une défense européenne, ne pourrait pas présenter les mêmes avantages que l’OTAN sans en avoir les inconvénients. Or une telle défense ne serait pas opérationnelle au point de remplacer l’OTAN. Elle n’apporterait pas les mêmes contributions en matière de logistique, de renseignement, de structures de commandement, d’interopérabilité des personnels, etc. Sur un tout autre plan, seule l’OTAN, grâce à la pression américaine, garantit que nos partenaires européens ne remettent pas en question la dissuasion nucléaire quelle qu’en pourrait être la volonté de certains pays.

L’Europe de la défense reste cependant souhaitable. Ce qui a, à ce jour, retardé sa création n’est pas tant l’opposition de l’OTAN et des Etats-Unis que l’absence de volonté politique des Européens eux-mêmes. Les objurgations de M. Trump pour de plus grands efforts européens conduiront l’Allemagne à faire un peu plus qu’aujourd’hui, mais les choses n’iront guère plus loin pour la plupart des autres pays membres. Quant au Royaume-Uni, dans sa situation actuelle, il ne pourra plus être sans doute le partenaire qu’il fut. Il faut garder le cap d’une Europe de la défense, mais en étant conscients qu’elle ne pourra pas être une réalité avant de nombreuses années.

« Désotaniser » notre politique extérieure

On est donc ramené à l’OTAN et au rôle que nous devrions y jouer. Notre autonomie au sein de l’Alliance sera d’abord à la mesure de notre aptitude à redéfinir une politique qui nous soit propre. Il y a des marges de manœuvre que nous n’utilisons pas, en particulier concernant des sujets « hors zone ». Des efforts de notre part sont indispensables. Mais ils ne sauraient être suffisants. Notre autonomie ne pourra pas aller jusqu’à la constitution d’un ensemble européen doté d’une conception stratégique en propre au sein de l’Alliance. L’OTAN n’est rien en dehors des Etats-Unis.

Mais à l’extérieur, nous restons libres de nos paroles et dans une certaine mesure de nos actes. Notre politique extérieure doit être en quelque sorte « désotanisée » et ne pas être toujours ramenée à l’OTAN et ses positions.

Membres du Club des Vingt : Hervé de CHARETTE, Roland DUMAS (anciens ministres des affaires étrangères), Bertrand DUFOURCQ, Francis GUTMANN, président du Club, Gabriel ROBIN (ambassadeurs de France), Général Henri BENTEGEAT, Bertrand BADIE (professeur des Universités), Denis BAUCHARD, Claude BLANCHEMAISON, Hervé BOURGES, Rony BRAUMAN, Jean-François COLOSIMO, Jean-Claude COUSSERAN, Dominique DAVID, Régis DEBRAY, Anne GAZEAU-SECRET, Jean-Louis GERGORIN, Renaud GIRARD, Bernard MIYET, François NICOULLAUD, Marc PERRIN de BRICHAMBAUT, Jean-Michel SEVERINO, Pierre-Jean VANDOORNE.

Club des Vingt. Siège social : 38 rue Clef, 75005 Paris. Adresse e-mail : contact@leclubdes20.fr
Les reproductions et citations de la Lettre sont autorisées à condition d’en indiquer l’origine.