Le vote britannique en faveur du Brexit a renforcé l’idée, déjà largement répandue, que l’Europe est menacée de dislocation, voire, selon le mot d’Arnaud Montebourg, de « destruction » si elle ne change pas ses méthodes et son mode de fonctionnement. Pour conjurer ce danger, tous ceux qui sont attachés au projet européen s’efforcent de préciser les contours du changement qu’ils jugent aujourd’hui nécessaire. Politiques, intellectuels, experts proposent ainsi diverses pistes pour réformer l’Union européenne et la rendre plus populaire auprès des opinions publiques.
Les chefs d’Etat et de gouvernement savent qu’ils ne peuvent rester sans rien faire face au rejet que suscite l’UE dans de nombreux pays. Le Brexit est l’occasion de remettre en chantier la construction européenne et de redéfinir les politiques communes. Au lendemain du référendum britannique, les dirigeants européens ont donc décidé de se concerter pour faire avancer la « réflexion politique » sur le « développement de l’UE à 27 ». Mais ils sont loin de s’entendre sur les moyens d’une relance.
Préparer Bratislava
Avant de se réunir, le 16 septembre, à Bratislava, à l’invitation du gouvernement slovaque, qui exerce jusqu’à la fin de l’année la présidence tournante de l’UE, les chefs d’Etat et de gouvernement multiplient les consultations et les échanges pour essayer de rapprocher leurs points de vue. Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a rencontré Angela Merkel à Berlin le 18 août. Il sera reçu par François Hollande à Paris le 31 août. D’autres rendez-vous sont prévus, notamment avec la première ministre britannique Theresa May, bien que celle-ci ne soit pas conviée au sommet de Bratislava. Les dirigeants sociaux-démocrates doivent se réunir le 25 août.
De son côté, la Commission européenne s’efforce, par ses propositions et ses recommandations, de rendre possible le « nouvel élan pour l’Europe » promis par Jean-Claude Juncker lorsqu’il en a pris la présidence il y a deux ans en se donnant notamment pour mission de « restaurer la confiance des citoyens européens » et de « renforcer la légitimité démocratique » de l’UE. Pierre Moscovici, commissaire chargé des affaires économiques et financières, a apporté sa contribution au débat en appelant, dans Le Monde, à la mise en place d’une « véritable politique économique européenne », reposant sur trois piliers : « protéger, dynamiser, refonder ».
La rencontre de Ventotene
L’avenir de l’UE était également à l’ordre du jour de la rencontre entre Angela Merkel, François Hollande et Matteo Renzi, le 22 août, sur l’île de Ventotene, en Italie, lieu symbolique où fut rédigé en 1941 par deux grandes figures de l’antifascisme, Altiero Spinelli et Ernesto Rossi, alors en résidence forcée, le Manifeste pour une Europe libre et unie, qui servit ensuite de base au Mouvement fédéraliste. Les trois dirigeants européens, qui sont à la tête des trois pays les plus peuplés de l’UE en dehors du Royaume-Uni, s’étaient déjà rencontrés le 27 juin à Berlin, au lendemain du vote britannique en faveur du Brexit.
Ils avaient appelé à donner à l’Europe une « nouvelle impulsion » en la rendant « plus forte sur les priorités essentielles » et « moins présente là où les États membres sont mieux placés pour agir », dans le respect de la subsidiarité entre les gouvernements nationaux et les institutions communautaires. Ils s’étaient mis d’accord sur trois grandes priorités : la sécurité, la croissance, la jeunesse.
La sécurité requiert, écrivaient-ils, un renforcement des moyens communs pour protéger les frontières extérieures et contribuer à la paix et à la stabilité dans le voisinage, en particulier en Méditerranée, en Afrique et au Moyen-Orient, par le développement d’une véritable défense européenne.
La croissance passe par l’investissement et suppose « le succès du modèle économique et social européen », ainsi que de « nouvelles étapes » pour les pays de la zone euro, y compris « dans le domaine social et fiscal ». La jeunesse appelle des « programmes ambitieux » pour la formation, l’entrepreneuriat et l’accès à l’emploi. La réunion de Ventotene avait surtout pour but d’afficher l’unité des trois dirigeants sur ces orientations.
Celles-ci sont assez largement approuvées par ceux qui demandent une relance de l’Union européenne. « Frontières extérieures, sécurité intérieure, défense européenne, investissement dans la transition énergétique, lutte pour l’harmonisation fiscale et contre l’évasion, convergence économique : voici l’essentiel des grands chantiers qui doit réunir dans un cercle ambitieux les Etats de l’Union qui ne se contentent pas du grand marché unique, mais qui veulent faire un continent d’avenir », affirme par exemple Jean-Marie Cavada, député européen et président de la branche française du Mouvement européen.
Les propositions Ayrault-Steinmeier
La déclaration commune rendue publique le 27 juin par les ministres français et allemand des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault et Frank-Walter Steinmeier, va dans le même sens. En proposant notamment un Pacte européen de sécurité, une politique commune en matière d’asile et d’immigration, l’achèvement de l’Union économique et monétaire, les deux responsables politiques définissent le champ d’action qui doit être, selon eux, celui de l’UE. Leurs propositions sont précises et argumentées. Leur texte, qui conjugue audace et réalisme, pourrait servir de base à une révision des politiques européennes. L’Union européenne serait alors invitée à se « reconcentrer sur l’essentiel », comme le souhaite l’ancien ministre français des affaires étrangères Hubert Védrine, qui évoque « deux ou trois secteurs-clés », comme la sécurité, la défense et l’économie.
Reste à surmonter les différends qui opposent les Etats membres sur ces trois sujets. La France et l’Italie sont en désaccord avec l’Allemagne sur la question de l’austérité budgétaire. Elles sont aussi plus allantes qu’elle sur la défense européenne, qui va souffrir du départ du Royaume-Uni, principale puissance militaire du continent avec la France. Avec les pays d’Europe centrale, c’est la question des frontières à l’intérieur de l’espace Schengen qui suscite les controverses les plus vives. Tous les conciliabules qui précèdent la réunion de Bratislava visent à atténuer ces désaccords et à préparer des compromis. Le chef du gouvernement slovaque, Robert Fico, a d’ores et déjà affiché la couleur en se disant satisfait que la rencontre ait lieu en dehors de Bruxelles qui a, dit-il, « une très mauvaise réputation en ce moment ».