Soft ou hard Brexit : Bruxelles demande à Londres de trancher

Dans moins de quatorze mois, le 29 mars 2019, le Royaume-Uni se séparera de l’Union européenne. Après une brève période de transition, il sera appelé à entrer dans l’ère du post-Brexit. Quelles seront alors les relations entre Londres et Bruxelles ? C’est tout l’enjeu des discussions en cours. Theresa May est pressée par les négociateurs européens de dire si elle veut que son pays reste dans le marché unique, au prix d’importantes concessions financières, ou si elle souhaite une rupture franche, au risque de dommages sérieux pour l’économie britannique.

Campagne pour un deuxième referendum

Un nouveau cycle de négociations devait s’ouvrir le mardi 6 février entre les délégations de la Commission européenne et du Royaume-Uni sur les modalités du Brexit. La veille, le négociateur européen, Michel Barnier, aura rencontré à Londres la première ministre britannique, Theresa May, pour lui exposer la position bruxelloise et tenter d’obtenir d’elle des précisions sur celle du Royaume-Uni.
La première phase des négociations s’est conclue par un accord de principe sur les trois questions présentées comme des préalables par l’Union européenne – le statut des expatriés, la gestion de la frontière entre l’Irlande du Nord et l’Irlande du Sud, la facture dont Londres devra s’acquitter. La seconde phase devra porter sur la relation future entre l’Union européenne et le Royaume-Uni après leur rupture.

Entre-temps, un nouveau sujet de discussion a été introduit par Theresa May, celui de la période de transition qui suivra la date officielle du Brexit, fixée au 29 mars 2019, deux ans jour pour jour après la notification par le Royaume-Uni, le 29 mars 2017, de sa volonté de sortir de l’UE en application de l’article 50 des traités.
Comme il est peu probable que le délai retenu soit suffisant pour que les deux parties aboutissent à un accord, le gouvernement britannique a demandé un sursis d’au moins deux ans afin d’éviter à son pays un « saut dans le vide » au lendemain de la séparation.
Les négociateurs de l’Union européenne se montrent intransigeants sur les conditions de cette prolongation. La transition devra s’achever le 31 décembre 2020, soit au bout de vingt-et-un mois. Pendant cette période, le Royaume-Uni devra notamment continuer à verser sa contribution au budget communautaire sans être associé aux décisions.

Un programme à la carte

La question de la transition est importante, explique le quotidien The Guardian, d’abord parce qu’elle pose les bases de la discussion à venir sur la relation future entre l’UE et le Royaume-Uni, qui sera l’objet de la deuxième phase des négociations, ensuite parce que les enjeux dont elle traite ne sont pas en eux-mêmes négligeables. Les négociateurs vont s’en saisir dans les prochaines semaines. Selon Theresa May, un accord pourrait être trouvé dans moins de deux mois.
Mais l’heure de vérité viendra quand sera abordée la question-clé de l’après-Brexit que le think-tank britannique Centre for European Reform résume ainsi sous la plume de son directeur, Charles Grant : « Que va demander le Royaume-Uni ? Que va lui répondre l’Union européenne ? Quel sera le résultat ? ».

Les demandes de Londres sont jugées floues à la fois par Bruxelles et par une partie des conservateurs britanniques. Theresa May est accusée de ne pas vouloir, ou de ne pas pouvoir, trancher entre la rupture franche, qui placerait le Royaume-Uni hors du marché unique, et le Brexit doux, qui maintiendrait des liens étroits avec l’UE.
Au cours du débat sur la loi de retrait, qui vient de s’ouvrir à la Chambre des Lords et qui vise à mettre fin à la suprématie du droit européen sur le droit britannique, un de ses anciens sous-secrétaires d’Etat, George Bridges, lui a lancé : « Gouverner, c’est choisir. Garder toutes les options ouvertes n’est plus tenable ». Selon un think tank britannique, The Institute for Government, cité par Charles Grant, Londres proposerait un programme « à la carte » qui distinguerait les activités économiques susceptibles de s’aligner strictement sur les règles bruxelloises de celles qui seraient laissées en dehors. Certains secteurs resteraient donc dans le marché unique, d’autres non.

Entre Canada et Norvège

L’Union européenne a déjà fait savoir qu’elle refuserait toute solution de ce genre, qu’elle dénonce comme du « cherry-picking » (mot à mot : la cueillette de cerises) et qu’elle juge contraire à la philosophie même du marché unique. Pour Michel Barnier, les Britanniques doivent choisir entre une formule minimale, celle d’un traité de libre-échange analogue à celui qui lie l’UE au Canada, et une formule maximale, celle de l’accord avec la Norvège, qui implique l’appartenance au marché unique en échange du respect de ses contraintes réglementaires et, en particulier, de ses obligations financières.
Entre la voie du Canada et celle de la Norvège, les Européens accepteraient sans doute une voie médiane, qui reste à définir. Ils ne veulent pas du modèle suisse, jugé trop complexe, qui prévoit une appartenance partielle au marché unique et qu’ils cherchent aujourd’hui à modifier.

L’issue de la négociation entre Londres et Bruxelles est incertaine. Du côté britannique, les partis sont profondément divisés. Les conservateurs se disputent ouvertement. Il a suffi que le ministre des finances, Philipp Hammond, dise que le Brexit n’apporterait que de « très modestes » changements pour que l’un des chefs de file des Brexiters, Jacob Rees-Mogg, accuse le gouvernement de « se laisser intimider » par Bruxelles. Chez les travaillistes, l’attentisme de Jeremy Corbyn est de plus en plus critiqué.
Qui aura le dernier mot ? Les députés ont obtenu, par un amendement à la loi de retrait, un quasi droit de veto sur l’accord final alors que l’idée d’un deuxième référendum fait son chemin.

Du côté européen, les Vingt-Sept ont réussi, pour le moment, à maintenir leur unité sous la triple influence de l’Allemagne, de la France et de la Commission européenne, mais les Britanniques n’ont pas renoncé à convaincre leurs amis traditionnels, comme les Néerlandais, les Irlandais, les Suédois ou les Danois, de se démarquer de la ligne dure adoptée par Paris et Berlin.