Après la Hongrie et la Pologne, deux pays dans lesquels des gouvernements conservateurs ont entrepris une vaste réforme de la justice perçue par Bruxelles comme une mise sous tutelle du pouvoir judiciaire, un autre Etat de l’ex-empire soviétique devenu membre de l’UE, la Roumanie, inquiète ses partenaires européens par sa volonté de limiter l’action des juges et des procureurs.
Comme ses deux voisins d’Europe centrale, il a fait voter plusieurs lois qui affaiblissent les institutions judiciaires et portent atteinte à leur indépendance, au risque de remettre en question l’Etat de droit, l’un des fondements de l’appartenance à l’Union européenne. La Commission européenne s’en est émue. Elle a demandé à Bucarest de faire machine arrière. Sans succès pour le moment.
En Roumanie, les opposants protestent, à commencer par le premier d’entre eux, le président de la République, le libéral Klaus Iohannis, qui accuse le gouvernement social-démocrate d’avoir « lancé un assaut contre la justice ». Les manifestations de rue se multiplient contre le pouvoir en place. Celui-ci tient bon. Le chef de file du Parti social-démocrate, Liviu Dragnea, empêché par une condamnation pénale d’accéder au poste de premier ministre mais véritable homme fort du pays depuis sa victoire électorale en décembre 2016, refuse toute concession. Victime de la lutte contre la corruption menée par des magistrats tenaces, il en dénonce les abus et n’est pas prêt à renoncer au bras de fer qu’il a engagé contre le parquet, lequel se targue d’avoir poursuivi un millier de personnes en 2017.
Le limogeage de Laura Codruta Kövesi
Au-delà des réformes législatives destinées à réduire les prérogatives des procureurs ou à alléger les sanctions contre les élus, le principal succès de Liviu Dragnea est d’avoir obtenu le limogeage du chef de la Direction nationale anticorruption, la pugnace Laura Codruta Kövesi, pour violation de la Constitution et atteinte à l’image de la Roumanie à l’étranger, malgré l’opposition du président de la République, qui a dû s’incliner face à une menace de destitution.
Cette juriste incorruptible, nommée procureure générale de Roumanie en 2006 puis placée en 2013 à la tête de la Direction nationale anticorruption, s’était fait beaucoup d’ennemis en s’attaquant vigoureusement aux fraudes, aux malversations, aux trafics d’influence. Elle a été révoquée le 9 juillet 2018 après un rude affrontement avec le gouvernement social-démocrate.
Alors que la Commission européenne avait salué les progrès de la Roumanie dans la lutte contre la corruption depuis son entrée dans l’UE en 2007, elle se dit aujourd’hui préoccupée par une politique qui risque de freiner, voire de compromettre, les efforts des gouvernements précédents. Face aux critiques de Bruxelles, Bucarest dénonce des interventions jugées excessives et contraires à l’indépendance du pays. « La Roumanie est un Etat souverain », a rappelé récemment Liviu Dragnea, qui préside la Chambre des députés à défaut de pouvoir diriger le gouvernement.
La tentation eurosceptique
Comme la Hongrie et la Pologne, la Roumanie est prête à céder, au nom de la défense de la souveraineté nationale, aux tentations de l’euroscepticisme. Elle s’est opposée, comme les autres pays d’Europe centrale, aux quotas de migrants proposés par la Commission européenne. Elle voit se développer des discours souverainistes souvent alimentés par des « fake news ».
L’enjeu, pour l’Union européenne, est de ne pas laisser Bucarest dériver vers des positions anti-européennes qui accentueraient encore la division de l’Europe entre l’Ouest et l’Est. De ce point de vue, il est important que la Roumanie, à la différence de la Hongrie et de la Pologne, respecte strictement l’Etat de droit et le contre-pouvoir de la justice, qui sont les valeurs cardinales de l’Europe.
Au moment où le pays s’apprête à assurer, au premier semestre 2019, la présidence tournante de l’Union européenne, la Commission tient ainsi à rappeler que l’indépendance du système judiciaire et sa capacité à lutter contre la corruption sont les « pierres angulaires » d’une Roumanie forte au sein de l’UE. Le Quai d’Orsay affirme pour sa part qu’à quelques mois de la présidence roumaine la France et ses partenaires européens « resteront vigilants sur l’évolution de l’Etat de droit en Roumanie ».