Au moment où le gouvernement britannique s’apprête à demander officiellement à sortir de l’Union européenne, beaucoup continuent à s’interroger sur les conséquences de cette décision et sur l’avenir de la Grande-Bretagne après sa rupture avec ses partenaires européens. Certains s’inquiètent en particulier des risques que le Brexit peut faire peser sur l’unité du royaume si deux des provinces qui le constituent –l’Ecosse et l’Irlande du Nord – choisissent, comme elles en brandissent la menace, la voie de la séparation. Jonathan Freedland, éditorialiste au quotidien britannique The Guardian, est de ceux qui jugent cette perspective préoccupante. Quand nous expliquerons le Brexit à nos petits-enfants, écrit-il, nous leur raconterons une histoire paradoxale. Nous devrons leur dire comment nous avons courageusement reconquis notre indépendance face à Bruxelles, tout en détruisant notre propre pays, et comment, pour rendre sa grandeur à la Grande-Bretagne, nous l’avons cassée en plusieurs morceaux.
C’est l’Ecosse qui a donné le signal de la révolte, par la voix de sa première ministre, Nicola Sturgeon. Une majorité d’Ecossais (62%) a voté non au Brexit en juin dernier. Sont-ils prêts à quitter le Royaume-Uni pour rester dans l’Union européenne ? Nicola Sturgeon propose l’organisation d’un nouveau référendum pour trancher cette question. Il est vrai qu’une première consultation populaire, en septembre 2014, a donné un résultat négatif : 55% de l’électorat a refusé la perspective de l’indépendance. Mais la situation a changé avec le Brexit : pour défendre leurs intérêts, les Ecossais pourraient être tentés de dire oui à la partition du royaume. Nicola Sturgeon souhaite qu’ils soient consultés au plus tard dans deux ans, entre l’automne 2018 et le printemps 2019, soit avant la fin des négociations sur le Brexit.
L’épreuve de force
Pour qu’un tel référendum ait force de loi, il faut que le gouvernement britannique donne son accord. Or Theresa May rejette catégoriquement la demande écossaise. Sans refuser le principe d’une consultation, elle estime que le délai envisagé par Nicola Sturgeon est beaucoup trop court.
« Si le peuple était interrogé aujourd’hui, il devrait prendre une décision cruciale sans disposer des nécessaires informations », affirme-t-elle. Réponse de la première ministre écossaise : « Je crois que les Écossais dans leur majorité, qu’ils votent pour ou contre l’indépendance, seraient consternés qu’un gouvernement conservateur et sans mandat en Écosse tente de faire obstacle à un gouvernement élu démocratiquement avec un mandat très clair ». De part et d’autre, on s’accuse d’intransigeance et de refus du dialogue.
Pour montrer sa détermination, Nicola Sturgeon va solliciter un vote du Parlement d’Edimbourg en faveur d’un nouveau référendum. Après tout, soulignent ses partisans, Londres a justifié le Brexit en mettant en avant la souveraineté du Parlement de Westminster. Les Ecossais sont donc fondés à demander le respect de la souveraineté de leur Parlement et à refuser d’être entraînés contre leur gré hors de l’Union européenne. Theresa May refuse d’entendre cet argument. Elle dénonce la « vision étroite » de Nicola Sturgeon et répète que l’unité du Royaume-Uni sera préservée. « Nous quittons l’UE comme un unique Royaume-Uni et prospérerons hors de l’UE comme un unique Royaume-Uni », affirme-t-elle. Entre Londres et Edimbourg, l’épreuve de force continue.
Jeu égal entre unionistes et nationalistes
Mais Theresa May doit faire face à un autre défi, celui de l’Irlande du Nord. Les Irlandais du Nord, comme les Ecossais, ont voté contre le Brexit en juin dernier. Ils ont été 55,8 % à se prononcer pour leur maintien dans l’Union européenne. Si les unionistes, partisans de l’appartenance à la Grande-Bretagne, ont soutenu le Brexit, les nationalistes l’ont combattu. Aux dernières élections législatives, ceux-ci ont fait campagne pour une réunification de l’île, donc pour une rupture avec Londres. Or, pour la première fois depuis l’accord du vendredi saint, en 1998, qui a rétabli la paix entre les protestants (unionistes) et les catholiques (nationalistes), les unionistes n’ont pas obtenu la majorité des sièges au Stormont, le siège de l’Assemblée d’Irlande du Nord.
A l’issue du scrutin du 2 mars, les deux forces ont fait presque jeu égal. Tous partis confondus, les unionistes disposent de 40 sièges (28 pour le Parti unioniste démocrate (DUP) de la première ministre sortante Arlene Foster, 10 pour le Parti unioniste d‘Ulster (UUP) de Mike Nesbitt, 1 pour la Voix unioniste traditionnelle (TUV) et 1 pour un unioniste indépendant) contre 39 pour les nationalistes (27 pour le Sinn Fein de Michelle O’Neill, 12 pour le Parti social-démocrate et travailliste (SDLP) de Colum Eastwood). Ce bouleversement du paysage politique va rendre difficile la formation du nouveau gouvernement. La personnalité contestée d’Arlene Foster, jugée arrogante par ses adversaires et mise en cause dans un scandale financier, est un des facteurs de la percée des nationalistes mais le référendum de juin dernier sur le Brexit a largement contribué à radicaliser les positions et à mettre à mal le consensus politique qui prévalait jusqu’ici.
« Si vous nourrissez un crocodile… »
Les nationalistes vont accroître leur pression sur Londres pour obtenir, comme les Ecossais, l’organisation d’un référendum. Ils ne veulent pas que la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne se traduise par le rétablissement de la frontière entre les deux Irlandes, qui mettrait fin à la liberté de circulation et serait un frein au développement économique. Ils redoutent aussi que la paix signée en 1998 et garantie par l’Union européenne ne soit fragilisée par le Brexit. Arlene Foster ne semble pas prête à faire des concessions aux nationalistes, qu’elle a comparés, pendant la campagne, à des crocodiles. « Si vous nourrissez un crocodile, il va revenir pour demander davantage », a-t-elle déclaré. Les nationalistes, de leur côté, refusent qu’elle soit reconduite dans ses fonctions. Le secrétaire d’Etat pour l’Irlande du Nord, James Brokenshire, tente de désamorcer la crise. Il appelle les deux camps à ouvrir des discussions.