Une peinture murale à Vilnius représente Trump et Poutine s’embrassant fougueusement à la russe. The New Yorker titre l’article de David Remnick « Trump and Putin : a love story ». Poutine et son entourage soutiennent ouvertement la candidature de Trump à la présidence des Etats-Unis. Les raisons de cette « affaire » sont multiples et certaines remontent loin dans le temps.
Une question d’intérêts, pour chacun d’eux, tout le monde en convient aisément. « L’attraction est mutuelle, mais l’histoire montre qui se sert vraiment de qui » précise le sous-titre du New Yorker.
« We will be in Moscow in some point » (Donald Trump)
Donald Trump, agent immobilier, a depuis très longtemps une idée fixe : il veut faire à Moscou de grandioses constructions. Au début, du temps de la perestroïka, il s’était donné beaucoup de peine pour apparaître crédible. Il avait un projet de deux hôtels de luxe qui ne virent jamais le jour mais lui permirent de se faire connaître sur la place. Il développa beaucoup d’autres projets, dans le BTP toujours, qui jamais n’aboutirent mais lui donnèrent une telle notoriété à Moscou que de « nouveaux investisseurs » russes contribuèrent à financer ses entreprises à Toronto et à New York. Trump continue d’affirmer que Moscou est la meilleure place où investir, et son fils assure que beaucoup d’argent peut venir de ce pays.
Trump aime l’argent, et Poutine aussi. Contrôlant les oligarques de plus en plus étroitement, le président russe a construit ce que certains appellent « Kremlin and Co », un empire financier solide même si les temps ne sont plus aussi favorables que lorsque le rouble soutenu par le prix des hydrocrabures coulait à flot.
Le milieu
D’autres affinités cependant les réunissent. Caractères violents et grandes gueules (voir ce que Trump a dit des Mexicains comparé à la manière dont Poutine a affirmé vouloir poursuivre les Tchétchènes, « jusque dans les chiottes »), les deux ont aussi en commun d’avoir été des voyous, l’un dans les affaires et l’autre dans la banlieue de Leningrad. Ils ont conservés des liens avec les milieux mafieux, et les noms des conseillers de Trump dans cette campagne présidentielle ne sont pas étrangers aux oreilles russes.
Il y a bien sûr Paul Manafort, qui vient de démissionner prudemment, ancien mercenaire commercial de dictateurs comme Mobutu Sese Seko, du Zaire, ou Ferdinand Marcos, aux Philippines, avant de travailler pour Viktor Ianoukovitch et de contribuer à son élection à la présidence ukrainienne en 2010, attirant l’Ukraine dans la sphère d’influence poutinienne. Il y a aussi Carter Page, qui conseillait Gazprom dans les années 2000 et y détiendrait encore des actions, et le lieutenant général Michael Flynn, ancien chef de la « Defense Intelligence Agency » qui, dix-huit mois après avoir quitté son poste, était à Moscou à deux chaises de Poutine pour le gala de « Russia Today », le quotidien des nationalistes russes. Il y a encore Richard Burt, un ancien de l’administration Reagan, qui est au conseil d’administration d’Alpha-Bank et émarge aussi à Gazprom. (Cf. Franklin Foer dans Slate.com)
Le pitre du ressentiment
Trump admire d’abord en Poutine le chef, l’homme fort, celui qui sait se faire obéir – pas comme Obama ! Il voudrait avoir sa force et son cynisme. Il n’accepte pas la critique qu’on ferait de son héros. Au journaliste qui lui dit que Poutine tue ses opposants, Trump répond qu’il ne l’a pas vu, et qu’il y a aussi beaucoup de meurtres aux Etats-Unis. Poutine sait que l’ego de Trump est égal à sa naïveté et le rend aisément manipulable.
Trump est une parodie de Poutine, dit Remnick. C’est sans doute un pitre du ressentiment. Ressentiment contre les élites, dans le cas de l’Américain, ressentiment contre l’Occident, chez le Russe. L’« ambivalence » que David Remnick analyse chez Poutine après la chute de l’Union soviétique, en particulier à propos de Eltsine, celui qui l’a appelé à Moscou tout de même, mais dont il juge le régime « une période de chaos, de vol et d’humiliation », est aussi le reflet d’une évolution, sinon de l’homme du moins de son image, passée de celle d’un dirigeant pro-occidental à son contraire. Lorsqu’il est revenu au pouvoir en 2012, Poutine a décidé de ne plus faire confiance ni à l’Occident ni aux classes moyennes qui s’étaient retournées contre lui en manifestant dans les rues de Moscou.
Les deux formes de ressentiment ne sont pas si éloignées, Poutine ne l’ignore pas qui fait profiter de ses largesses les partis populistes de droite, du FN de Marine Le Pen à Jobbik en Hongrie en passant par Berlusconi, Aube Dorée, sans oublier son soutien aux partisans du Brexit – eux qui sont contre l’Europe… et contre l’OTAN. Poutine veut la destruction de l’Europe et l’affaiblissement de l’Amérique, dit Franklin Foer. Trump a célébré le Brexit et déclaré, à propos de l’OTAN, qu’avant d’appliquer l’article 5 qui engage l’organisation à défendre tout pays membre menacé, il s’assurerait que ce pays est à jour de ses obligations envers les Etats-Unis. Le populisme à la fois poujadiste, nationaliste, revanchard et démagogique est le bouillon de culture où prospèrent Poutine et ses amis, tous les autoproclamés humiliés.
Vladimir Iakounine, l’ancien président des Chemins de Fer russes, dit que Trump s’adresse à « certaines failles intérieures du peuple américain ». Ce qu’Alexandre Douguine, l’âme damnée de Poutine, appelle « la vraie Amérique ». Détruire le tissu social de la société, démanteler les limites constitutionnelles du pouvoir exécutif, remanier le paiement de la dette et affaiblir ainsi le crédit des Etats-Unis, affaiblir les alliances militaires en Europe, abaisser les tensions avec la Russie, ce sont là, pour Foer, les objectifs de Trump qui plaisent à Poutine. De toute façon, tout ce qui est mauvais pour les Etats-Unis est bon pour la Russie ! Un « narcissique illettré » (Remnick) à la Maison blanche, quelle aubaine pour Poutine !