En proposant le 5 janvier que l’Union européenne offre à la Turquie un « partenariat » plutôt qu’une adhésion pleine et entière, Emmanuel Macron a repris à son compte une idée lancée naguère par la CDU-CSU allemande et formulée à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy sous l’appellation de « partenariat privilégié ».
L’ancien président de la République avait d’abord promis, pendant sa campagne présidentielle, de mettre fin aux discussions avec Ankara. Une fois élu, il a accepté que celles-ci continuent, à condition qu’elles soient susceptibles de déboucher non sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, mais sur « une association aussi étroite que possible, sans aller jusqu’à l’adhésion ».
C’est cette future association que l’ancien chef de l’Etat a baptisé « partenariat privilégié », sans que la nature de cette relation ne soit jamais vraiment définie ni les propositions en ce sens clairement formulées. Nicolas Sarkozy a fait valoir que la négociation engagée avec la Turquie était présentée par le Conseil européen comme « un processus ouvert dont l’issue ne peut être garantie à l’avance ». Dès lors, rien ne permettait d’exclure la recherche d’une solution alternative à l’adhésion, si celle-ci se révélait impossible à obtenir.
Dans cette perspective, la France, avec l’appui de l’Allemagne, a notamment bloqué, au cours des débats, l’ouverture de cinq chapitres qui rendaient inéluctable, en cas d’accord, l’adhésion de la Turquie : politique régionale, politique agricole commune, union économique et monétaire, dispositions institutionnelles et dispositions financières.
Les voies d’un compromis
« Je suis de ceux qui pensent que la façon la plus utile de sortir de ce qui risque d’être un jour une impasse, c’est d’essayer de discuter pour trouver les voies d’un compromis », a déclaré en 2011 l’ancien président français, en appelant à trouver un chemin entre une perspective d’adhésion, jugée « non opportune », et « la suppression de toute forme de discussion pour permettre de rapprocher la Turquie, pays immense, et l’Union européenne ».
Ce rapprochement était souhaité par les institutions européennes. En cas d’échec de l’adhésion, le Conseil européen recommandait en effet que fût préservé « un lien fort » avec la Turquie. La Commission estimait également que, dans cette hypothèse, il faudrait maintenir la Turquie au plus près de l’UE et « l’ancrer dans les structures européennes par le lien le plus fort possible ».
Emmanuel Macron ne dit pas autre chose lorsqu’il propose de repenser la relation entre Bruxelles et Ankara « non pas dans le cadre du processus d’intégration mais d’une coopération, d’un partenariat » et qu’il ajoute : « La finalité, c’est de préserver l’ancrage de la Turquie et du peuple turc dans l’Europe et de faire en sorte que son avenir se construise en regardant l’Europe et avec l’Europe ».
Pour le président de la République, la négociation engagée en 2005 en vue de l’adhésion de la Turquie pourrait prendre une autre tournure en permettant in fine d’établir un « ancrage » différent de celui qui était envisagé au départ mais assez solide pour que les deux parties y trouvent leur avantage. « Commencer n’est pas conclure », a souligné à ce propos le politologue Thierry de Montbrial.
Une Europe des cercles
L’idée d’un partenariat avec la Turquie est également défendue en France par les Républicains. Leur nouveau président, Laurent Wauquiez, a évoqué en 2014, dans son livre Europe : il faut tout changer, une Europe formée de plusieurs cercles autour d’un noyau de six Etats (devenus douze en 2017). Le premier serait celui de la zone euro, le deuxième, une zone de libre-échange pour l’essentiel, celui de l’Europe des 28 (bientôt 27).
« Un dernier cercle, ajoute l’auteur, doit comprendre les pays avec lesquels nous avons des partenariats stratégiques afin de gérer l’aire d’influence et de coopération de la grande Europe. Des accords de coopération devraient ainsi régir nos relations avec la Russie, la Turquie et la rive sud du bassin méditerranéen ».
Le Modem partage cette vision. « Nous défendons, bien sûr, l’idée de proposer à nos voisins proches (Turquie, Ukraine...), dont l’adhésion ne peut être acceptée car elle rendrait impossible la construction de l’Union politique, sociale et démocratique que nous appelons de nos vœux, un véritable et grand statut de partenariat privilégié, pouvant même éventuellement déboucher sur des liens de type confédéral », écrivait le parti de François Bayrou en 2009.
Sylvie Goulard, ancienne député européenne Modem et éphémère ministre des armées d’Emmanuel Macron, affirmait, dans un livre publié en 2004, Le Grand Turc et la République de Venise, que l’Union européenne « n’est pas prête à accueillir un Etat aussi peuplé, aussi différent de nous que la Turquie » mais que si l’entrée dans l’UE lui était refusée « la coopération multilatérale et bilatérale avec ce pays ne cesserait pas » et devrait même « être développée ». Elle ajoutait : « L’idée d’un partenariat stratégique a été lancée, notamment par la CDU/CSU allemande. Ce concept a un contenu précis, substantiel. Il mérite d’être regardé de près ». Certes les Turcs n’en veulent pas mais si la solution de l’adhésion était écartée, « une discussion sérieuse pourrait s’ouvrir ».
Rocard et le rêve fédéral
Ce sont les Européens les plus fédéralistes – à l’exception notable de Jacques Delors - qui suggèrent la formule du partenariat. Ils considèrent en effet que l’entrée de la Turquie dans l’UE empêcherait celle-ci de devenir une union politique à vocation fédérale. C’est parce qu’il ne croit plus au rêve fédéral que Michel Rocard s’est dit partisan en 2008, dans son livre Oui à la Turquie, de l’adhésion d’Ankara. « L’Europe fédérale et politique est une chimère, écrit-il. Si elle était à l’ordre du jour, je reconnais bien volontiers que l’adhésion turque la rendrait plus difficile ». Selon lui, la taille, le poids et la situation de la Turquie feraient sans doute obstacle à une diplomatie commune. Pour ceux qui croient encore à une Europe politique, le partenariat proposé à Ankara est de nature à lever cet obstacle.
En attendant, l’Institut Jacques Delors propose, dans une étude publiée en 2013 sous la signature d’Elvire Fabry, de relancer le dialogue euro-turc par « une réflexion conjointe sur les enjeux du voisinage » en explorant différents domaines (de la sécurité aux échanges commerciaux en passant par l’énergie et la mobilité de la main d’oeuvre) dans lesquels des initiatives communes pourraient être prises. Ces diverses initiatives, explique l’auteur, « permettraient de prendre un peu de recul sur l’impasse des négociations » et d’éviter que les relations euro-turques n’en deviennent « l’otage ». Le but serait de faire dès à présent de la Turquie un partenaire stratégique sans préjuger de l’issue des discussions en cours sur son éventuelle entrée dans l’Union.