Trump : une vision boutiquière de la politique internationale

Donald Trump a accordé son premier entretien avec des journalistes européens au Britannique Michael Gove, ancien ministre de David Cameron, pour le Times of London, et à l’Allemand Kai Dieckmann pour le quotidien populaire Bild Zeitung. Le président-élu n’a pas caché le peu d’estime dans laquelle il tenait l’Union européenne. Il s’est félicité du Brexit et a prévu d’autres sorties de l’UE. En déclarant l’OTAN « obsolète », il a semblé remettre en cause l’engagement américain dans une alliance permanente. Avec tous ses interlocuteurs, il compte passer des « deals », pas des coopérations stratégiques.

Donald Trump, magnat de l’immobilier
Andrew Rae/New York Times

Dans les années 1960, un célèbre homme d’affaires français à la faconde populaire, Sylvain Floirat, qui lança notamment Europe 1, avait une formule fétiche pour définir l’objectif financier de son activité : « Où est le gras ? »
Dans la bouche de Donald Trump l’expression devient « that’s a big deal ». Le 45ème président américain raisonne d’abord en homme d’affaires. Son but est de passer des accords avec les autres dirigeants du monde, comme si les Etats-Unis étaient une grande entreprise dont il s’agit d’améliorer le bilan en présentant des bénéfices flatteurs. C’est à travers ce prisme qu’il considère les questions internationales, avec pragmatisme et sans idéologie, comme le souligne Michael Gove qui l’a interrogé pour le Times.

L’OTAN en question

"Où est le gras" dans la relation transatlantique ? Donald Trump met en cause l’existence de l’OTAN parce que les Etats-Unis portent la plus grande part du fardeau financier. Leurs alliés, à quelques exceptions près, ne remplissent pas leurs engagements. Il pense par ailleurs que l’organisation atlantique est « obsolète » parce qu’elle ne s’est pas réformée pour faire face à la menace principale, à savoir « le terrorisme islamique ». Peu lui importe que l’Alliance atlantique, créée en 1949, pour défendre l’Europe occidentale contre le bloc communiste, soit en Europe un des piliers de la stratégie américaine. Et que tous ses prédécesseurs l’aient considérée comme « l’alliance la plus réussie de l’Histoire ».
L’Alliance atlantique et l’OTAN marquent une rupture dans la tradition de la diplomatie américaine. Jusqu’au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis avaient toujours refusé de s’engager dans une alliance militaire permanente. Ils étaient intervenus en Europe en 1917 mais s’en étaient retirés après la fin de la Première guerre mondiale. Le Congrès avait refusé de ratifier la création de Société des nations, pourtant soutenue par le président Woodrow Wilson. Ce retrait a été interprété comme une des causes de la montée victorieuse du nazisme et du fascisme entre les deux guerres.
Le président Roosevelt en a tiré les leçons en créant les Nations unies et son successeur Harry Truman a encouragé à la fois le maintien des troupes américaines en Europe, avec l’OTAN, et la coopération entre les Etats européens bénéficiaires du plan Marshall, qui devait aboutir à la création du Marché commun puis de l’Union européenne.

Réassurance

Donald Trump n’est pas le premier à mettre en question la raison d’être de l’OTAN. Les interrogations ont resurgi après la disparition de l’URSS et du bloc soviétique au début des années 1990. La conséquence ne devait-elle pas cesser avec la cause ? Il en a été décidé autrement, en grande partie sous l’influence des Etats d’Europe centrale et orientale tout juste libérés du communiste. Ceux-ci ressentaient le besoin d’une réassurance de sécurité face à une Russie dont ils continuaient de craindre la menace. Pas étonnant dans ces conditions que l’OTAN soit la cible récurrente des dirigeants de Moscou qui dénoncent son élargissement à l’est jusqu’à leurs frontières et se sont donné pour objectif souvent explicite de la miner de l’intérieur faute de pouvoir obtenir sa suppression.

Unie ou divisée, peu importe

C’est avec cette orientation fondamentale de la diplomatie américaine depuis près de trois quarts de siècle que Donald Trump semble vouloir rompre pour remplacer un engagement pérenne par des « deals » d’opportunité.
"Où est le gras" avec l’Union européenne ? Donald Trump soutient le Brexit parce que la sortie de l’UE permettra au Royaume-Uni de recouvrer sa liberté et de signer des accords commerciaux bilatéraux avec les autres pays. Avec lui, les Etats-Unis seront prêts à définir très rapidement un nouveau cadre d’échanges. Barack Obama, au contraire, avait averti les Britanniques qu’en cas de Brexit ils seraient en queue de peloton. La sortie des Britanniques sera suivie d’autres, estime le nouveau président américain. Peu lui en chaut. « Unie ou divisée, ça ne joue aucun rôle », dit-il. D’ailleurs, l’UE n’a-t-elle pas été créée pour tailler des croupières aux Etats-Unis dans le commerce mondial ?, se demande-t-il, manifestant de indifférence voire du mépris pour les conditions dans lesquelles l’intégration européenne a été lancée dans les années 1950.
"Où est le gras" dans les relations avec la Chine ? Donald Trump a annoncé pendant la campagne électorale qu’il imposerait des taxes de 35% pour les produits chinois importés aux Etats-Unis. A moins que… Pékin cesse de « manipuler » sa monnaie, que les sociétés étrangères installées en Chine arrêtent de faire du dumping aux Etats-Unis, que la Chine change sa politique d’expansion dans la mer de Chine méridionale. Donald Trump menace d’utiliser une autre carte pour faire pression sur les dirigeants chinois : les relations avec Taïwan. Il évoque une dénonciation de la ligne « une seule Chine », qui a permis la normalisation des relations sino-américaines dans les années 1970.

Xi Jinping, héraut du libre-échange

"Où est le gras" dans la libéralisation du commerce international ? Dans le but de « make America great again », le président-élu se propose de revenir sur tous les accords de libre-échange signés au cours des dernières années ou en négociation. Le Mexique, membre de l’ALENA, la zone de libre-échange nord-américaine, avec les Etats-Unis et le Canada, serait le premier à en faire les frais.
"Où est le gras" dans l’accord de la COP21 sur la limitation des gaz à effet de serre conclu à Paris en décembre 2015 ? Aux postes concernés par l’environnement et l’énergie, Donald Trump a nommé des climato-sceptiques partisans de l’exploitation des énergies fossiles et laissé entendre qu’il pourrait se retirer de l’accord de Paris. A tel point que le président chinois Xi Jinping, invité d’honneur du forum de Davos, lui a fait implicitement la leçon. Il a prononcé un plaidoyer en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique, le respect des accords, et s’est présenté en défenseur du libre-échange.
Si Donald Trump mène à bien la politique qu’il annonce, et nul doute que pour le moins il essaiera, c’est un changement radical des principes ayant façonné le système international depuis des décennies qui s’annonce. La question de savoir si la Russie et/ou la Chine étaient des puissances « révisionnistes » occupées à changer un ordre international essentiellement dessiné par les Occidentaux, a trouvé une réponse. La puissance « révisionniste », ce sont maintenant les Etats-Unis. Une réponse peu rassurante.