La laborieuse fabrication d’un compromis nécessaire

L’accord conclu entre la Grèce et les autres pays de la zone euro a été précédé de longues tractations dans le huis clos de plusieurs sommets européens. Ces marathons bruxellois sont inévitables dans le fonctionnement d’une Union européenne qui se définit comme une association de nations souveraines. La montée des nationalismes les rend plus difficiles encore. C’est l’action conjointe du couple franco-allemand qui permet le plus souvent, comme on vient de le voir à Bruxelles, de surmonter les divergences et d’élaborer les compromis nécessaires.

Une fois de plus, il aura fallu de longues semaines de discussion, d’interminables négociations au bord de la rupture, des réunions « de la dernière chance » poursuivies jusqu’au petit matin, pour que les Européens concluent, au bout du suspense, un accord levant entre eux, au prix de consensus mutuellement consentis, des divergences qui paraissaient insurmontables. Ainsi va l’Union européenne qui, n’étant pas un Etat mais une association de nations souveraines, ne peut décider d’agir qu’au terme de marchandages infinis dont la conclusion doit ménager à la fois, autant qu’il est possible, l’intérêt européen et les intérêts nationaux des vingt-huit ou, dans le cas de la zone euro, des dix-neuf partenaires.

Tractations intergouvernementales

On peut juger la méthode coûteuse, les procédures dévoreuses de temps et d’énergie, mais tel est le prix des compromis sur lesquels est fondée l’Union européenne lorsque des décisions importantes doivent être prises et que la voie des tractations intergouvernementales apparaît comme la seule possible. Tant que l’UE ne sera pas dotée de structures fédérales, ce qu’aucun des Etats membres ne souhaite vraiment, elle avancera ainsi en cherchant à établir, laborieusement, des consensus souvent fragiles et toujours difficiles à mettre en place à l’issue d’incertaines confrontations. Ces psychodrames fortement médiatisés, qui ne relèvent pas seulement de la posture tactique mais aussi du respect des électeurs au nom desquels s’expriment les négociateurs, font désormais partie du jeu européen.

La montée des nationalismes dans la plupart des pays d’Europe rend l’exercice de plus en plus périlleux, mais elle donne plus de force aux controverses. Les échanges d’arguments dont les médias se font l’écho pendant ces périodes de crise aiguë servent à la pédagogie des citoyens, nourrissant le débat politique et favorisant la perception des questions européennes, quelles que soient les préférences de chacun. Les marathons bruxellois, même lorsqu’ils ne sont pas sanctionnés par des référendums, sont l’occasion d’explications, de commentaires, de prises de position, qui font avancer dans les opinions publiques la prise de conscience des enjeux. Rarement sans doute avait-on autant discuté en Europe des avantages et des inconvénients de l’appartenance à la zone euro. La démocratie européenne en sort renforcée.

Le couple franco-allemand

Ce que montre aussi le dénouement des intenses pourparlers entre le gouvernement grec et les autres gouvernements de la zone euro, c’est le rôle décisif joué par le couple franco-allemand dans la recherche d’une solution de compromis. Ce n’est pas la première fois que les deux capitales interviennent ensemble pour dénouer une crise mais leur étroite coopération a été particulièrement visible. Le sommet des chefs d’Etat et de gouvernement a été interrompu plusieurs fois dimanche par des rencontres informelles entre Alexis Tsipras, François Hollande et Angela Merkel, auxquelles s’était joint le président du Conseil européen, le Polonais Donald Tusk. Alors que les pays les plus intransigeants, comme la Finlande, l’Autriche ou la Slovaquie, bloquaient toute perspective d’accord, c’est l’entente retrouvée entre Paris et Berlin qui a permis aux négociations d’aboutir.

Certains ont dénoncé une mise en tutelle de la Grèce par l’Allemagne et reproché à François Hollande de s’être fait complice de ce diktat. D’autres ont salué au contraire la façon dont le président français a convaincu la chancelière allemande, soumise à la forte pression de son ministre des finances, Wolfgang Schäuble, baptisé par le quotidien Bild « le Superman de la zone euro », de se montrer plus accommodante. C’est en tout cas en combinant leurs efforts que François Hollande et Angela Merkel ont obtenu le consentement d’Alexis Tsipras aux sévères mesures demandées par les créanciers d’Athènes. En l’absence du Royaume-Uni, qui n’appartient pas à la zone euro, il incombait à la France et à l’Allemagne, avec le concours de l’Italie, de rétablir entre la Grèce et ses partenaires un minimum de confiance pour sortir l’Europe de l’impasse. Elles l’ont fait avec succès en associant la volonté de conciliation de Paris et l’inflexibilité affichée de Berlin.

Reste à savoir si les Parlements nationaux appelés à se prononcer sur l’accord donneront leur aval aux engagements des chefs d’Etat et de gouvernement. Les députés français devraient approuver le compromis, même si une partie de la droite critique la faiblesse de François Hollande et si une partie de la gauche condamne le sort fait à la Grèce. Le débat sera sans doute plus difficile en Grèce, où certains accusent Alexis Tsipras d’avoir trop cédé aux créanciers d’Athènes et en Allemagne, où beaucoup, à l’inverse, jugent que la chancelière a manqué de fermeté. Le huis clos des sommets européens a l’avantage de favoriser les compromis. Mais le retour des négociateurs devant les élus du peuple, aussi nécessaire soit-il, donne parfois libre cours à l’expression des passions nationales.