1989 et ses résonances planétaires

Vingt ans après la chute du mur de Berlin, que reste-t-il, en Europe et hors d’Europe, d’un événement qui a entraîné, en si peu de temps, l’effondrement de l’empire soviétique ? Un colloque récent du CERI (Centre d’études et de recherches internationales), en collaboration avec le Centre d’études européennes de Sciences-Po, s’est intéressé à la postérité du vaste mouvement de libération dont le point de départ peut être daté du 9 novembre 1989. 

La libération des anciens pays communistes n’a pas eu pour conséquence l’expansion de la démocratie partout dans le monde, mais elle a sans doute modifié notre rapport à l’histoire en mettant fin au rêve de l’avenir radieux. 

Dans les anciens pays communistes désormais délivrés de la tutelle de Moscou s’est inventé, au cours des vingt dernières années, ce que le politologue allemand Claus Offe (Hertie School of Governance, Berlin) appelle un « capitalisme post-socialiste », une forme originale de capitalisme distincte aussi bien de « l’économie de marché coordonnée » que de l’économie de marché libérale. La démocratie s’est installée, la croissance économique a été continue, l’entrée dans l’Union européenne a couronné cette transition réussie.

Aujourd’hui, selon Jacques Rupnik (CERI), s’exprime cependant une certaine « fatigue démocratique » : la confiance à l’égard des institutions politiques diminue, des formes de populisme se manifestent, l’Europe déçoit. L’espoir d’une « réinvention » de la démocratie s’est effacé. Un cycle s’achève.

1989 vu d’ailleurs

Hors d’Europe, peut-on encore percevoir les résonances de l’événement ? Plus ou moins, ont répondu les participants au colloque. En Chine, la répression de la place Tienanmen a montré que Pékin avait choisi d’aller à rebours des régimes communistes d’Europe. Les dirigeants chinois ont mis en place une « forme très particulière de capitalisme », selon Jean-François Huchet (CEFC, Hong Kong), tout en restant obsédés par la crainte de voir leur pays subir le même sort que l’Union soviétique.

En Afrique, selon Richard Banegas (Paris I-Sorbonne), l’impératif démocratique a cédé le pas à d’autres impératifs mais, même si le bilan paraît maigre, une « domestication paradoxale des institutions et des valeurs de la modernité démocratique » s’est peu à peu introduite par des « chemins buissonniers », alliant les vertus civiques aux leçons de la tradition et entraînant « un processus de transformation culturelle » apte à bouleverser la configuration des espaces publics.

Au Moyen-Orient, le moment-clé a été, dix ans plus tôt, la révolution islamique de 1979 en Iran. « 1989 n’apporte rien », estime Henry Laurens (Collège de France), sinon une délégitimation des pouvoirs d’Etat et une vision négative des régimes arabes peu respectueux des droits de l’homme. Quant à la politique de promotion de la démocratie, dont les Etats-Unis se sont faits le champion, Thomas Carothers (Carnegie Endowment for International Peace) en a souligné les échecs, en raison de la faiblesse de ses présupposés, en particulier l’idée que l’on saurait comment faire advenir la démocratie. 

Une nouvelle vision de l’histoire

Faut-il donc renoncer à voir dans la chute du mur un événement planétaire ? Oui et non. Non si l’on considère que la guerre froide était planétaire et que la chute du mur en marque la fin. Oui si l’on pense, comme Karoline Postel-Vinay (CERI), que la guerre froide n’était plus tout à fait mondiale et que, sous l’effet de la décolonisation, de la naissance du tiers-monde, de la perte de statut de l’Occident, « le monde de 1989 n’était plus celui de 1945 ».


L’illusion de l’immédiateté 

Pourtant l’événement reste sans doute porteur d’une nouvelle vision de l’histoire. Zaki Laïdi (Sciences-Po) met en évidence ce qu’il nomme « l’illusion de l’immédiateté ». Ce qui se met en place, estime-t-il, c’est « l’idéologie néolibérale de la vitesse », selon laquelle « le changement social peut s’accélérer et se libérer des contraintes du temps long ». Ce sera la « thérapie de choc » dans les nouvelles démocraties. « Une autre mesure du temps » advient. La fin de l’histoire, comme le suggère Francis Fukuyama ? Non, répond Zaki Laïdi, mais « la fin d’une vision téléologique de l’histoire ». 

C’est ce qu’exprime aussi à sa façon l’historien François Hartog (EHESS-CNRS), en affirmant que la chute du mur est « moins une fin de l’histoire qu’une sortie de l’histoire ». En 1789, explique-t-il, avec la Révolution française, le futur devient la catégorie dominante. En 1989 prend fin la « thématique du futur radieux ». L’événement surgit à côté de l’histoire. « La divinité Histoire tremble sur ses bases », écrit alors François Furet. Reste le seul présent. A la croyance en l’histoire va se substituer la croyance en l’événement.