Les événements de novembre 1989 en RDA, suivis de la "révolution de velours" en Tchécoslovaquie et de la chute du régime Ceausescu en Roumanie, n’étaient pas prévisibles. Même si le bouillonnement démocratique en Pologne et en Hongrie a précédé la chute du régime communiste est-allemand, rien ne laissait prévoir une évolution aussi rapide et spectaculaire notamment en RDA, le verrou le plus solide du bloc soviétique (y étaient stationnés 300 000 soldats de l’Armée rouge).
Certes, Joëlle Timsit, qui fut la dernière à occuper le poste d’ambassadeur de France en RDA, souligne que la chute du Mur a été précédée de multiples « frémissements de révolte dès l’automne 1986 » (colloque à la Maison Heinrich Heine, Cité Universitaire, jeudi 5 novembre 2009). Mais globalement, « on n’a pas vu venir la chute du Mur », comme le souligne l’ambassadeur Bertrand Dufourcq, en poste à Moscou en 1989 (colloque organisé à Suresnes par le Mouvement européen, samedi 7 novembre 2009). Bertrand Dufourcq ajoute : « on s’est trompé sur la puissance économique est-allemande : la RDA avait réussi à faire croire qu’elle était la 7e puissance économique mondiale ».
Gorbatchev, lui, savait ce qu’il en était réellement. On sait que lors des cérémonies du 7 octobre 1989 à Berlin-Est pour le 40e anniversaire de la RDA, le premier ministre polonais Mieczyslaw Rakowski se pencha à l’oreille de Mikhail Gorbatchev pour lui dire "c’est fini" (et Gorbatchev lui répondit "oui"). Récemment à Paris, l’ancien dissident est-allemand Wolfgang Thierse, devenu ensuite président du Bundestag, a souligné que "si la perestroïka avait réussi en URSS, le mur de Berlin ne serait peut-être pas tombé" (colloque OFAJ, Paris, 19 octobre 2009). L’actuel ambassadeur allemand à Paris Reinhard Schäfers, alors en poste à Moscou, se souvient des blagues sur Erich Honecker et l’état moribond de la RDA que prononçaient avec une liberté de ton inédite les hauts fonctionnaires soviétiques pendant toute l’année 1989 (Maison Heinrich Heine, 5/11/2009).
Ceci ne réduit en rien l’importance des manifestations populaires qui portèrent le coup de grâce au communisme. « La chute du Mur n’est pas le résultat d’une panne du gouvernement est-allemand, mais du courage du peuple en RDA », dit Lothar de Maizière, qui fut premier ministre chrétien-démocrate de la RDA en 1990 (colloque de la Maison Heinrich Heine, 5/11/2009). "Les événements étaient imprévisibles. A Prague, on ne s’attendait pas du tout à ça", souligne le Tchèque Lukas Macek (professeur à Sciences-Po Dijon), qui ajoute vouloir « éviter de banaliser les régimes communistes de l’époque et cesser de penser qu’il s’agissait de fruits mûrs prêts à tomber. Ne dévalorisons pas ce qui s’est passé : 1989, pour nous, n’est pas un événement symbolique mais la conquête de la liberté ! » (Suresnes, 7/11/2009).
Mais les historiens tiennent un langage un peu différent : « la chute du Mur n’a pas été une révolution, et n’est en rien comparable à une véritable révolution comme celle du 9 novembre 1918. A l’automne 1989, les régimes communistes de tous ces pays se sont effondrés tout seuls », souligne Daniel Henri, professeur d’histoire au Lycée Henri IV et coordonnateur du manuel d’histoire franco-allemand. « La chute du Mur de Berlin est un événement fondateur et pacifique à la façon dont la Boston Tea Party a été l’événement fondateur des Etats-Unis » (Daniel Henri). Mais c’est aussi un événement qui s’inscrit dans une série d’événements de longue durée : le réveil démocratique de la Pologne, la perestroïka gorbatchévienne et tout ce qui l’a accompagné (dès 1986 la fin de la "doctrine Brejnev" sur la souveraineté limitée des pays du bloc soviétique, et l’affaiblissement économique de l’URSS), mais aussi l’héritage européen de Jean Monnet et la réconciliation franco-allemande, sans laquelle, pour Daniel Henri, « la réunification allemande aurait été impossible ».
1989 et ses conséquences
L’héritage principal de 1989, c’est que la « question allemande » ne plane plus comme une inconnue sur l’avenir du continent. « 1989 nous a permis de nous réconcilier avec l’Allemagne, avec 40 ans de retard sur un pays comme la France » (Lukas Macek, Suresnes, 7/11/2009). « On n’a plus peur de l’Allemagne. La question allemande est résolue est c’est un énorme succès », souligne Jan Tombinski, ambassadeur de Pologne auprès de l’Union européenne (Suresnes, 7/11/2009). Mais Jan Tombinski se demande si 1989 n’a pas été « la dernière grande année de l’Europe », en soulignant que le déclin européen n’a pas cessé de se manifester depuis lors dans le contexte de la mondialisation, elle-même en partie "rendue possible par la chute du Mur" (Reinhard Schäfers, ambassadeur d’Allemagne en France, 5/11/2009).
1989 a marqué le réveil des nations, avec la tragédie yougoslave et le grand silence européen qui l’a accompagnée. « 1989 a marqué le réveil des conflits mémoriels », souligne Daniel Henri, qui s’étonne de la façon dont la République tchèque se méfie du traité de Lisbonne où elle voit toujours l’ombre de mauvaises intentions allemandes. "La peur de l’Allemagne explique largement l’euroscepticisme des Tchèques", confirme Lukas Macek.
Pour Jean-Noël Jeanneney, « le printemps des peuples a déclenché énormément d’espérances mais aussi de déceptions. N’oublions pas les rendez-vous ratés comme celui de la France et des pays d’Europe centrale et orientale, priés de « se taire » au moment de la guerre en Irak. De quoi renforcer le désir de ces pays de voir en l’Europe un « pseudopode » des Etats-Unis. Mais l’Europe a d’autres ambitions, et ne veut pas se contenter d’un retour au « modèle Metternich », celui d’un concert des nations qui débouche sur des compromis vidés de toute ambition collective » (Suresnes, 7/11/2009).