(…) Les changements qui ont commencé à se produire en Union soviétique au milieu des années 1980 et qui se sont ensuite étendus aux pays d’Europe centrale et orientale ont permis à notre continent d’envisager la construction d’une maison européenne commune, d’une communauté d’Etats régie par le droit.
Ce fut un tournant dans l’histoire et un nouveau début pour le Conseil de l’Europe.
Ce fut un moment qui donna aux Européens une chance véritablement unique d’influer sur le cours de l’histoire. J’en étais convaincu à l’époque ; je le suis toujours aujourd’hui.
Lors d’un discours que j’ai prononcé à Strasbourg, il y a vingt ans, j’ai exposé notre conception de l’unité européenne considérée comme un processus associant toutes les nations, grandes, moyennes et petites, dans un effort commun de création. J’ai affirmé le droit de toute nation à la liberté de choix. J’ai déclaré que toute tentative pour limiter la souveraineté des Etats, qu’il s’agisse d’amis ou d’alliés ou de tout autre Etat, était inacceptable.
Tous les propos que j’ai tenus à l’époque n’étaient pas de simples paroles en l’air.
Nous avons prouvé la véracité de nos paroles par nos actes.
Nous l’avons prouvé par notre engagement vis-à-vis du processus d’Helsinki, par notre position constructive lors des négociations sur la limitation et la réduction des armements.
Nous l’avons prouvé par la position que nous avons adoptée vis-à-vis des événements qui se sont produits dans les pays d’Europe orientale lorsque ces Etats ont pris leur destin en main et choisi leur avenir.
Nous - je ne parle pas ici simplement de mon pays - avons prouvé la véracité de nos paroles à la façon dont nous avons abordé la question allemande, rendant possible l’unification de l’Allemagne conformément à la volonté de son peuple et dans le respect des intérêts de l’ensemble de l’Europe.
Cette attitude a conduit à un changement de climat général en Europe, aboutissant au Sommet de novembre 1990, à Paris, et à la signature, par tous ses participants, de la Charte pour une nouvelle Europe qui a ouvert la voie à une véritable unité européenne.
Depuis lors, de grands changements se sont produits dans le monde et en Europe et ces changements sont, pour la plupart, positifs. Le Conseil de l’Europe compte à présent 47 Etats membres. La Russie participe, en tant que membre à part entière et sur un pied d’égalité, aux activités du Conseil et à l’élaboration de son programme d’action.
Cependant, disons-le honnêtement, nos espérances et nos attentes n’ont pas toutes été comblées. L’Europe n’a pas encore réussi à régler le problème majeur, à savoir jeter des bases solides pour l’instauration de la paix, créer une nouvelle structure assurant la sécurité.
Permettez-moi de vous rappeler que, juste après la fin de la guerre froide, nous avons étudié la mise en place de nouveaux mécanismes sécuritaires pour notre continent, notamment la création d’un conseil de sécurité pour l’Europe, une sorte de directoire de la sécurité doté de pouvoirs effectifs et étendus.
Les événements, malheureusement, ont pris une autre tournure, ce qui a eu des répercussions sur les travaux de l’ensemble des institutions européennes.
Tant que pèsera la menace d’un conflit armé sur notre continent, on ne pourra pas considérer que le Conseil de l’Europe œuvre dans des conditions favorables. Nous l’avons vu ces derniers jours, qui ont été si difficiles pour l’Assemblée parlementaire comme pour le Conseil dans son ensemble.
Les problèmes auxquels nous devons faire face aujourd’hui prennent racine dans l’évaluation erronée que les puissances occidentales ont faites des événements qui ont conduit à la fin de la guerre froide et au démantèlement de l’Union soviétique - engendrant un « complexe du vainqueur » - puis à l’élargissement de l’Otan.
Tout cela a ralenti le rythme de construction de la nouvelle Europe. Les anciens clivages ont été remplacés par de nouveaux. L’Europe a connu des guerres et des effusions de sang.
Les anciens stéréotypes et suspicions dont j’ai fait état il y a vingt ans n’ont pas disparu. La Russie est soupçonnée d’avoir de mauvaises intentions et même des visées impérialistes.
L’Europe est actuellement entraînée dans un débat sur la recherche des responsabilités dans le déclenchement de la seconde guerre mondiale ; d’aucuns tentent de faire l’amalgame entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique, ce qui historiquement faux et moralement inadmissible.
L’Europe porte une responsabilité particulière dans l’état actuel du monde. Il y a vingt ans, je l’avais incitée à contribuer à une transformation des relations internationales dans un esprit d’humanisme, d’égalité et de justice, en montrant l’exemple en matière de démocratie et de réalisations sociales. Aujourd’hui, cet objectif historique continue d’être le nôtre.
Au fil des siècles, les Européens ont prouvé, à maintes reprises, leur capacité à surmonter les crises et à atteindre de nouvelles frontières. Nous l’avons prouvé il y a vingt ans, lorsque l’histoire a considérablement accéléré son cours. Ce fut un grand test de maturité et de sagesse pour les nations européennes et leurs dirigeants. A l’époque, nous avons prouvé que nous pouvions nous soustraire à l’emprise du passé et orienter le cours des événements vers des voies pacifiques.
Depuis lors, de nouvelles générations de dirigeants européens sont entrées en politique. Elles se heurtent à des problèmes à la fois anciens et nouveaux : la sécurité, la crise économique et financière, l’environnement, les migrations.
J’ai le sentiment que si nous voulons relever les nouveaux défis de l’histoire, nous devons changer notre façon de penser la politique et l’économie mondiales, et plus particulièrement européennes. Un tel changement exige de donner aux institutions européennes une nouvelle structure. Le Président de la Russie a contribué au débat sur cette question en proposant un nouveau traité européen de sécurité. J’invite tous les Européens à y réfléchir de manière constructive et sans parti pris.
Le Conseil de l’Europe doit participer à l’évolution des institutions européennes. Cette organisation vitale ne pourra réaliser son vaste potentiel que si elle reste fidèle à ses valeurs fondamentales, si elle refuse de diviser les nations européennes en deux catégories : les « bonnes », d’un côté, et les « mauvaises », de l’autre.
Il y a vingt ans, lorsque je me suis exprimé à la tribune de l’Assemblée parlementaire, j’ai cité les paroles célèbres de Victor Hugo :
« Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne... Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées ».
Vingt ans plus tard, nous sommes plus près de ce but mais il reste encore un long chemin à parcourir.
Par conséquent, alors que je m’exprime ici devant ceux qui sont aux commandes des affaires européennes, dans cette nouvelle phase de notre histoire, je tiens à exprimer l’espoir que le Conseil de l’Europe trouve sa propre place dans ce mouvement, qu’il devienne un centre d’une importance vitale dans la recherche d’une interaction et d’une compréhension mutuelle entre les pays européens, un lieu de dialogue entre les peuples européens et d’action créative commune. Dans ce contexte, il a encore un grand avenir devant lui.