2009 : scénarios pour une sortie de crise

L’issue de la crise économique et financière dépendra de la capacité ou non des Etats à trouver un nouvel équilibre global. Ce ne sera pas facile : la notion d’équilibre économique est pour le moins fugace, d’autant plus qu’il n’y a toujours pas de consensus sur quelques grands principes - ce qui est durable, le niveau d’ouverture ou d’insularité, sans parler de redistribution ou d’égalité. Cette crise globale nécessiterait une réponse internationale cohérente, ce dont on est encore loin. Dans l’immédiat, tout va dépendre de l’évolution des échanges économiques entre les Etats-Unis et la Chine. Article à paraître dans la Lettre de la Fondation Jean Jaurès.

Acte 1 - D’une crise à l’autre

Lorsque les premières faillites se sont matérialisées en octobre, le premier mouvement a été de l’ordre du sauve-qui-peut. L’Irlande a décidé unilatéralement de garantir l’intégralité des dépôts de ses banques, le Royaume-Uni a annoncé son propre plan, les premières concertations (le mini-sommet du G4) ont été plutôt des échecs. Mais peu à peu la concertation a repris le dessus et les réactions, plus ou moins coordonnées, ont finalement réussi à éviter un effondrement global du système financier - hypothèse qui n’était pas que d’école. Ce qu’il fallait faire pour stabiliser la situation a été fait : injecter des liquidités, recapitaliser les établissements menaçant d’imploser, retirer des actifs toxiques des bilans, rassurer les investisseurs en leur apportant des garanties. Même si toutes ces mesures nécessitent probablement encore des ajustements (cf. les nombreux revirements du plan Paulson), la finance est sauve.

Ce premier acte a mis en lumière les difficultés de la coordination : les marges de manœuvre des acteurs (Etats, banques centrales et organisations internationales) sont par nature limitées ; les réactions des marchés imprévisibles ; la coordination forcément chaotique et les tâtonnements inévitables dans un système où personne ne contrôle vraiment quoi que ce soit. La satisfaction a toutefois été de courte durée, le besoin de coordination ne tardant à réapparaître à mesure que le danger se déplaçait, de l’implosion de la sphère financière à l’émergence d’une crise de la demande, crise keynésienne très classique dans son principe, mais gigantesque dans son ampleur. Rapidement, le monde a moins eu besoin d’un nouveau Bretton Woods que d’un nouveau New Deal. 

Acte 2 - Une relance « européenne » ?

Au niveau européen, la Commission a mis du temps à réagir à cette nouvelle menace, paralysée par la stupeur et l’incompréhension de devoir remettre en cause aussi brutalement des dogmes qui fondaient son action depuis 20 ans… Il a fallu que les Etats bousculent le rythme, que le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne annoncent des mesures budgétaires, pour que la Commission sorte de son ahurissement intellectuel et devienne, à son tour, keynésienne.

Le « plan de relance européen » était dès lors censé replacer l’Union au cœur du débat. Il a eu l’effet exactement inverse, en mettant en lumière ses faiblesse : évidemment très peu de moyens propres (moins de 10% des budgets mobilisés - 15 milliards sur un plan annoncé de 200 milliards) ; mais surtout une quasi-incapacité à impulser des choix clairs, à encadrer les plans nationaux qui forment les 90% restants, à favoriser le rapprochement de divergences de fond. Ce manque de leadership et d’autorité politique a souligné l’impossibilité d’une solution supra-nationale : les Etats restent les seuls acteurs, les attentes dépassant largement ce que Bruxelles est capable de fournir. 

Au delà toutefois des questions d’impulsion politique, la possibilité (ou non) d’action commune ou concertée dans une telle situation soulève des questions de fond. D’abord parce que dans une économie ouverte, chacun à intérêt à attendre que l’autre relance, pour profiter des retombées de cet effort budgétaire sans en payer le prix… De fait, si l’Allemagne qui dispose de marges de manoeuvres fiscales importantes (son budget devrait rester équilibré en 2008 et le déficit prévu pour 2009 est d’à peine 0,5%) n’encourage pas sa consommation domestique, les efforts des autres pays pour augmenter leur demande risquent fort de profiter essentiellement aux exportateurs allemands. 

Ensuite, et c’est peut-être la question centrale, les modèles économiques sont trop contradictoires d’un pays à l’autre pour ne pas générer de déséquilibres. L’Allemagne a fait le choix d’un modèle reposant sur une croissance externe grâce à une compétitivité-prix obtenue douloureusement à coup de forte compression salariale. Même si vouloir continuer à tout prix à se reposer sur la demande extérieure alors que le monde traverse une récession généralisée relève, peut-être, de l’inconscience, demander à l’Allemagne de se muer d’une économie tournée vers l’extérieur en un des principaux moteurs de la consommation européenne remet en cause trop de principes politiques (dont la rigueur budgétaire qui est un des points d’ancrage de la coalition), de vision de soi (« l’Allemagne, premier exportateur mondial »), de certitudes économiques (les ménages allemands épargnent beaucoup, des aides à la consommation ne feront qu’augmenter ce taux d’épargne) pour que cela se fasse sans heurt, voire se fasse tout court. Les Européens trouveront bien in fine un moyen de s’afficher unis (le coût politique de se montrer désuni serait trop fort), mais en coulisse les divergences profondes et les blocages certains ne sont pas prêts de disparaître.


Acte 3 - L’Europe, microcosme du monde

Les déséquilibres et le difficile dialogue européen reproduisent en fait comme dans un microcosme les déséquilibres du monde. Depuis des années, l’économie mondiale tire sa croissance d’une situation de surproduction : schématiquement, un certain nombre de pays qui produisent beaucoup plus qu’ils ne consomment, donc qui épargnent, trouvent des débouchés dans d’autres pays qui consomment beaucoup plus qu’ils ne sont capables de produire, mais qui s’endettent grâce à l’argent des premiers. Si ces déséquilibres n’ont jamais été corrigés par la « main invisible » du marché, c’est parce que la finance permettait d’écouler cette surproduction en transformant les excédents financiers des premiers en prêts pour les seconds. Mais au prix de déséquilibres exponentiels - c’est dans la nature même d’un l’effet levier que d’être exponentiel : en 2000, les réserves de change de la Chine s’élevaient ainsi à un peu plus de 150 milliards d’euros, elles atteignent aujourd’hui les 2000 milliards. Elles ont donc été plus que décuplées en 8 ans. 

Aujourd’hui, alors que la demande s’effondre, c’est tout l’équilibre qui vacille. Les plans de relance vont permettre de gagner du temps pour éviter que les ajustements ne soient trop brutaux. Ce n’est d’ailleurs sûrement que le début d’un cycle : la prise de conscience de l’importance de la crise dans tous les secteurs, le chômage qui explosera et les déséquilibres persistants rendront probablement nécessaires de nouveaux plans dans quelques mois. Les Etats-Unis, qui n’ont pour le moment pas de difficulté à financer l’augmentation de leur dette, peuvent tenir ce rythme un certain temps. Mais in fine les « pays à déficit » ne sont pas en position de ressusciter la demande mondiale de leur propre fait. Le monde que nous connaissions, dans lequel des vagues d’offre provenant de quelques pays largement excédentaires étaient absorbées par une frénésie de demande venant de pays prodigues est probablement derrière nous. Bien au delà de l’urgence actuelle, des ajustements structurels de long terme seront donc nécessaires, et rien n’indique à ce stade qu’ils puissent être coordonnés.

Epilogue : l’enjeu sino-américain

La forme que prendront les nouveaux (dés)équilibres dépendra en premier lieu des relations sino-américaines. Une action concertée de ces deux pays ne réglera pas les problèmes mondiaux, mais rien ne pourra se faire sans elle. Le problème est qu’aucun des deux pays n’est actuellement en position d’agir sereinement.

Alors que la croissance de la Chine pourrait chuter très durement (l’économie chinoise est dépendante comme aucune autre du commerce mondial : 80% de la production de ses usines est destinée à l’exportation), portant en germe d’autant d’instabilité politique et de confrontations violentes, les autorités n’ont d’autre choix que de continuer à écouler au maximum la surproduction. Le gouvernement tente pour cela de gonfler la consommation intérieure (le plan de relance chinois représente pas moins de 15% du PIB du pays !), mais les limites de ce levier apparaîtront rapidement : il faudrait pour qu’un tel soutien soit durable non seulement pour renforcer drastiquement le système de protection sociale (la faible consommation des ménages est largement due à la nécessité d’épargner pour compenser les faiblesses d’un système de protection sociale très parcellaire), mais également arrêter le flux de nouveaux arrivants ruraux sur le marché du travail, donc opérer des transferts massifs vers l’Ouest du pays et des politiques de redistributions importantes, le tout sur fond de conflit entre le gouvernement central et les gouvernements locaux. Autant dire que cela relève de la gageure, et que la Chine devra s’appuyer encore longtemps sur la consommation mondiale. Le point d’appui est toutefois plus instable que jamais : dans le contexte actuel, tout mouvement trop brusque qui inonderait les marchés occidentaux de produits chinois pourraient bien entraîner des représailles protectionnistes violentes.

Déjà le yuan ne se renforce plus depuis début juillet face au dollar, après trois ans d’appréciation continue sous la pression des Etats-Unis. Le décrochage soudain du yuan début décembre, juste avant l’ouverture d’un dialogue stratégique avec les Etats-Unis, avait brusquement fait monter la tension entre les deux pays et montré la fébrilité avec laquelle le dialogue entre les deux pays se poursuit. La volonté de sauvetage de l’industrie américaine contribue à compliquer la relation entre les deux pays (les industriels chinois réclament déjà des aides en compensation, et argumentent de plus en plus fort en faveur d’une dévaluation, exact miroir de mesures protectionnistes), alors que la Chine reste bien utile aux Etats-Unis pour écouler à moindre prix leur dette qui grossit à mesure des plans de relance.