Les Allemands de l’Est sont encore très sensibles à ce qui peut apparaître comme un complexe de supériorité de leurs compatriotes de l’Ouest. En mars 1990, ils avaient voté pour la première fois librement. Leurs suffrages s’étaient portés en masse sur la démocratie chrétienne qui avait fait campagne pour une réunification rapide par absorption de l’ancienne République démocratique allemande (RDA) dans la RFA. Cette procédure avait été contestée par une partie des dissidents est-allemands, qui voulaient « une autre Allemagne ». Le chef du Parti social démocrate, Franz Müntefering, vient de relancer un débat qui avait fait long feu, il y a vingt ans. Il a regretté qu’une nouvelle Constitution n’ait pas été élaborée pour réunir Allemands de l’Est et Allemands de l’Ouest, au lieu d’étendre à l’Est la Loi fondamentale de la RFA.
C’est cette Loi fondamentale dont on vient de célébrer le 60e anniversaire. Pas de manifestations solennelles, a fortiori pas de défilé militaire, mais une grande fête populaire entre le Tiergarten et l’avenue Unter den Linden, à Berlin, qui a réuni plus de 600 000 personnes. Malgré la crise économique, les Allemands ont quelques bonnes raisons de se féliciter que cette Loi fondamentale ait traversé six décennies, leur offrant le régime le plus démocratique et le plus stable qu’ils aient connu depuis la première unification de 1871. C’est pourquoi déjà, il y a vingt ans, ils n’avaient pas voulu la risquer dans la définition aléatoire d’un nouveau système politique.
L’erreur des dirigeants de l’époque et des Allemands de l’Ouest en général, a été de ne pas prêter suffisamment attention à leurs compatriotes de l’Est, à leur sensibilité, à leur histoire. Ils ont ainsi nourri une forme d’ « Ostalgie », qui n’est pas synonyme de nostalgie pour le régime communiste. C’est plutôt la revendication de voir reconnu, en dehors du système, le travail et les réalisations de la population qui vivait de l’autre côté du Mur.
« Oui, ça existe : une vie juste dans un système faux, a coutume de dire Wolfgang Thierse, premier président du Bundestag venu de l’Est (1998-2005). Et il est nécessaire de répéter encore et encore qu’il convient de distinguer entre le jugement que nous portons sur un système qui a échoué et le jugement sur les hommes qui ont vécu dans ce système et qui étaient obligés d’y vivre. »
D’autres responsables originaires de la RDA tiennent un langage analogue. Ils veulent défendre l’existence d’une « identité » est-allemande qui, comme le dit Jens Reich, un ancien dissident, est apparue après la mort de la RDA. Vingt ans plus tard, le travail de mémoire autorise une appréciation plus différenciée d’une réalité politique qui a imprégné quelque seize millions d’entre eux. Les Allemands dans leur majorité voudraient la refouler, à tout le moins la considérer comme étrangère à leur histoire. Pendant des années, ils ont dû se confronter au passé nazi. Ils ne veulent pas être obligés de recommencer avec une autre expérience totalitaire.
Depuis vingt ans, ils ont transféré chaque année environ 90 milliards d’euros par an, d’ouest en est, pour tenter de mettre à niveau partie du pays. Les villes et les infrastructures de transport ont été modernisées mais le développement économique n’a pas suivi. Le taux de chômage reste encore deux fois plus élevé à l’est qu’à l’ouest. L’ancienne RDA se dépeuple.
L’arrivée au pouvoir d’Angela Merkel, une chancelière grandie à l’Est, a montré que les anciens citoyens de la RDA pouvaient accéder aux plus hautes fonctions. Mais ça ne suffit pas à les convaincre de leur parfaite intégration.