A quoi sert Dmitri Medvedev ?

Le président Dmitri Medevdev fait entendre une "petite musique" différente de celle de Vladimir Poutine. Que se cache-t-il derrière cet affichage relativement moderniste et libéral ? Dmitri Medvedev demeure une énigme.

Dans son deuxième discours sur l’état de la Fédération (russe), le président Dmitri Medevdev a peint un tableau sans fard de son pays. Comme il l’avait fait quelques semaines plus tôt dans un article mis en ligne sur le site gazetta.ru, il a dénoncé « le retard chronique » de la Russie. Il a été moins direct sous les ors du Kremlin devant les dignitaires du régime, au premier rang desquels son mentor et premier ministre, Vladimir Poutine, dont les observateurs ont remarqué les mimiques dubitatives. Mais sur le fond tout aussi sévère : « Répondons d’abord à une question simple mais très sérieuse, avait-il écrit dans son article en demandant aux Russes de réagir à ses critiques. Devrons-nous continuer à traîner dans notre avenir une économie primaire de matières premières, une corruption chronique, une habitude invétérée de supposer que la solution des problèmes dépend du gouvernement, de l’étranger, d’une quelconque « doctrine toute-puissante », de n’importe quoi, de n’importe qui, pourvu que ce ne soit pas de soi-même ? » Dans son discours, il a annoncé « la première modernisation dans l’histoire du pays sur la base des valeurs et des institutions de la démocratie » et en a appelé à l’initiative individuelle dans un pays connu pour la dépendance vis-à-vis de l’Etat : « au lieu de la société archaïque, dans laquelle les chefs décident de tout, il faut une société d’hommes intelligents, libres et responsables. »

Dans un entretien avec le magazine allemand Der Spiegel, il avait enfoncé le clou. Les recettes énergétiques sont une véritable « drogue » à laquelle nous nous sommes habitués, disait-il : « le commerce du gaz et du pétrole est notre drogue : on en a de plus en plus besoin, en particulier quand les prix explosent (…). Le commerce des matières premières conduit à l’illusion d’une stabilité économique. L’argent coule à flot. On résout ainsi les problèmes. On n’a pas besoin de réforme économique ; on n’a pas à s’occuper de la diversification de la production. »

Ces déclarations ressemblent fort à un réquisitoire contre la politique menée depuis dix ans par Vladimir Poutine. Pourtant Dmitri Medvedev ne cesse de proclamer sa solidarité avec son premier ministre, qui l’a porté à la présidence de la Russie. Les deux hommes affirment leur parfaite harmonie. Il est vrai que Dmitri Medvedev n’a pas le choix. Il n’a d’autre base de pouvoir que la volonté de Vladimir Poutine. Aucun parti politique, aucune force sociale, policière, militaire, ne le soutient. Après son discours sur l’état de la Fédération, qui est plus intéressant par le diagnostic que par les remèdes proposés, il s’adresse à la jeunesse, aux scientifiques, aux petits entrepreneurs, estiment certains observateurs moscovites. Mais c’est un pari sur l’avenir, pas une réalité actuelle.

Alors, à quoi servent Dmitri Medvedev et ses philippiques sans suite ?

Première réponse : parler des problèmes sans songer à les régler est une longue tradition russe. Avant la tentative de réforme de Mikhaïl Gorbatchev en 1985, les dirigeants et la presse soviétiques se livraient volontiers à cet exercice. A les entendre, l’URSS faisait face à des problèmes gigantesques et seule l’invocation de la sagesse du Parti communiste pouvait permettre de les surmonter. En ce sens, le président Medvedev n’innove pas. Son article critique mis en ligne sur gazetta.ru s’intitule d’ailleurs : « En avant, la Russie ! »

Deuxième réponse : entre le chef du gouvernement et son président, il y a une division du travail. Le premier détermine et conduit la politique de la Russie ; le second reflète les interrogations, voire le mécontentement, de la population, et montre par ses remarques que le pouvoir n’est pas insensible aux frémissements de la société.

Autre hypothèse, Dmitri Medvedev cherche à assoir son autorité, à montrer qu’il n’est pas seulement un clone de Vladimir Poutine, qu’il pense par lui-même. Qu’à terme, peut-être, il pourrait être en mesure de rassembler des forces modernisatrices au sein de la société russe, afin d’affirmer des ambitions présidentielles au-delà du terme de son premier mandat (2012).

Pour y parvenir, il doit veiller à maintenir un équilibre délicat entre la fidélité à Poutine, qui est aujourd’hui son seul soutien, et l’autonomie par rapport à un mentor dont il semble ne pas partager toutes les vues. Montrer son originalité sans engager une épreuve de forces qu’il serait certain de perdre aujourd’hui. Pourra-t-il la gagner demain, et aura-t-il même la volonté de l’engager ? C’est l’énigme Medvedev.