L’affaire des écoutes par l’Agence américaine de sécurité nationale (NSA) est un scandale à tiroirs. La raison tient d’abord au fait que les révélations sont distillées au compte-gouttes, ce qui contribue à relancer périodiquement l’indignation des victimes. On comprend que l’exploitation des données par les medias qui ont à leur disposition les documents sortis par le « lanceur d’alerte » Edward Snwoden, exige du temps. Tout ne peut pas être dévoilé d’un seul coup. Mais on soupçonne aussi qu’une politique de communication n’est pas étrangère à cette divulgation échelonnée.
Quoi qu’il en soit, il ne faut pas que la forme masque le fond. Or sur le fond lui-même, le scandale a trois dimensions. Il y a d’abord l’espionnage « entre amis ». Les Européens protestent auprès des Américains des mauvaises manières qui leur seraient faites. Que les services des Etats-Unis écoutent et surveillent les Etats non-démocratiques est compréhensible. C’est même leur devoir. Mais qu’ils s’intéressent aussi à leurs alliés parait insupportable à ces derniers. Pour leur défense, les Américains affirment que ces alliés agissent de même à leur encontre, que ce soit pour obtenir des informations politiques ou des connaissances économiques et techniques.
Les services de divers pays coopèrent même pour des objectifs communs, par exemple la lutte contre le terrorisme. Depuis les attentats de New York et Washington du 11 septembre 2001 et le Patriot Act qui a suivi, l’antiterrorisme est le prétexte mis en avant par tous les services de renseignement du monde entier pour justifier des pratiques douteuses.
Le problème, c’est que le terrorisme n’est souvent qu’un prétexte. Barack Obama a en quelque sorte vendu la mèche en déclarant : « Les écoutes sont principalement destinées à lutter contre le terrorisme ». Tout est dans l’adverbe « principalement ». Qu’en est-il en effet du reste ? On touche là au deuxième aspect du scandale. Quand depuis le toit de l’ambassade américaine à Berlin la NSA intercepte les communications d’Angela Merkel – et de 35 autres dirigeants du monde –, la démarche a rien à voir avec l’antiterrorisme. Il s’agit d’un acte de méfiance inadmissible entre responsables politiques d’une même alliance. Les confuses explications officielles américaines témoignent d’un grand embarras. La surveillance du téléphone portable d’Angela Merkel aurait commencé dès 2002 alors qu’elle n’était que présidente du principal parti d’opposition de l’époque. Elle aurait cessé à l’été 2012 quand Barack Obama l’aurait appris. Mais selon une autre ligne de défense américaine, le président n’aurait pas été au courant de l’initiative de la NSA.
Les relations entre l’Allemagne et les Etats-Unis risquent d’en être profondément troublées. Mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. La véritable menace se trouve dans la capacité des services américains de surveiller, contrôler et intercepter toutes les communications de tout le monde. Et dans l’utilisation de cette possibilité. L’espionnage entre Etats a toujours existé ; la surveillance des citoyens a toujours été pratiquée, avec plus ou moins d’intensité selon les régimes. On croyait avoir atteint le sommet avec les régimes totalitaires du monde communiste. Toutefois, les nouvelles techniques ont ouvert de nouvelles voies de communication et de nouvelles possibilités de contrôle. Comme l’a dit encore Barack Obama, il est très difficile de résister quand on a la capacité de faire quelque chose. On imagine la satisfaction des spécialistes de la NSA qui repoussent sans cesse les limites de leur pouvoir.
Des limites à cette surveillance globale sans frein ne peuvent être posées que par le politique. Officiellement au moins, la loi américaine protège les citoyens américains. Mais la capacité d’écoute étant mondialisée, le contrôle ne peut être qu’international. Le voudrait-elle que l’Europe seule serait impuissante à endiguer un mouvement d’autant plus dangereux que les sociétés américaines qui dominent les nouveaux modes de communication coopèrent avec les services de leur pays et sont contraintes de le faire.
Le secret de la correspondance est une des libertés fondamentales qui doivent être respectées dans les régimes démocratiques. Il est donc temps de le protéger par des accords internationaux, au premier chef entre les Américains et les Européens. Les premiers sont en position de force mais les seconds disposent de moyens de pression. La suspension de la négociation sur une zone de libre-échange transatlantique en est un. Encore faut-il ne pas décider d’emblée qu’on ne l’utilisera pas.