Les non-spécialistes trouveront dans ce livre des études propres à nourrir une réflexion générale et des analyses qui, pour avoir été écrites voilà quelques années, n’en éclairent pas moins l’actualité. Prenons par exemple le chapitre intitulé « Bouddha masqué, femme voilée ». Pierre Centlivres trace un parallèle entre la destruction des grands bouddhas de Bamiyan par les talibans et le sort réservé aux femmes afghanes sous leur férule : « Femmes et bouddhas, écrit-il, on a affaire apparemment à deux modes opposés d’apparence : celui du corps de chair et de sang, interdit au regard, et celui d’une pure enveloppe cachant une absence de corps, sujet de méditation ». Le plus petit des deux bouddhas représentait, selon une tradition populaire, une femme. C’est la raison pour laquelle il aurait été détruit en premier par les talibans, « un trou béant de roquette marque son bas-ventre », remarque un voyageur. « Il est tentant de voir dans l’anéantissement des Bouddhas une métaphore de l’exclusion des femmes du domaine public et du sort pitoyable qui leur était fait sous le régime des talibans », poursuit Pierre Centlivres.
Toutefois l’auteur souligne l’ambivalence de la burqa, qu’une voyageuse écossaise avait revêtue dans les années 1930 pour observer sans gêne les hommes du bazar de Peshawar. La burqa est « une brimade, le signe même de la sujétion féminine certes, mais c’est aussi une cachette depuis laquelle on peut projeter un regard impitoyable sur le monde, écrit l’anthropologue suisse, un asile où l’on peut jouir de l’audace impunie de voir sans être vue ». « Une planque unisexe pour de douteux desseins », ajoute-t-il. Il n’en reste pas moins qu’en enlevant leur burqa, « les femmes d’Afghanistan revendiquent le droit d’être vues », et pas seulement de voir.