Afghanistan : le dilemme allemand

Le débat allemand sur l’Afghanistan n’a jamais été aussi vif qu’en cette période de campagne électorale qui commence (les élections générales en Allemagne auront lieu en septembre).

On ne peut pas arrêter une discussion publique. Les sondages indiquent que l’opposition contre l’engagement militaire de la Bundeswehr en Afghanistan augmente. Le pourcentage des sondés qui se sont exprimés pour un retrait « le plus rapidement possible » a brutalement augmenté pour atteindre désormais 69%. La demande d’un retrait est majoritaire dans tous les camps politiques. Il est intéressant de noter que le consentement à la mission de la Bundeswehr en Afghanistan le plus important se trouve dans le camp des Verts (43%). Selon le même sondage, 58% estiment que le mot « guerre » est approprié.

Or le mot « guerre » est tabou en Allemagne. « Arrêtez cette discussion », dit le ministre de la défense, Franz-Josef Jung. « C’est ce que veulent les talibans, parler de guerre. Car ça leur permet de se considérer comme des combattants ayant le droit de nous tuer. Mais ils ne sont que des criminels, des terroristes, et ce n’est pas une guerre. » Quelle différence par rapport au constat fier des Américains : « Nous sommes une nation en guerre » ! L’engagement de la Bundeswehr en Afghanistan, c’est quoi ? En mission sous commandement de l’Otan (FISA), dirigé par le général américain Stanley McChrystal, qui se considère sans aucun doute comme étant en guerre, les soldats allemands risquent (et perdent) officiellement leurs vies dans une opération de "stabilisation".

Si le ministère de la défense refuse d’utiliser le terme de guerre, ce n’est pas seulement pour éviter des débats politiques difficiles. C’est aussi pour ne pas remettre en cause la couverture des familles des soldats par les assurances-vie. Celles-ci doivent des paiements aux familles des soldats tombés, mais seulement quand ils meurent en se défendant (risque de guerre passif). Elles excluent tout paiement en cas de mort dans une action de guerre active, la différence entre les deux catégories de risques n’étant pas définie clairement. Tout constat officiel que les soldats allemands se trouvent participant dans une guerre aurait pour conséquence que les assurances ne payent plus – et que la Bundeswehr devrait payer. D’autre part, une déclaration de guerre est un acte très formel, lourd de conséquences juridiques et politiques qui seraient justifiés en cas de guerre de défense du territoire, mais certainement pas pour une mission internationale, même si cette mission mène aux combats. Le gouvernement n’est donc pas autorisé à parler de guerre quand une telle guerre n’est pas formellement déclarée. Et puis, le mot « guerre », ça rappelle toujours 1939-1945. 

Finalement, ce dilemme « sémantique » des Allemands met en avant peut-être un défi intellectuel et politique que tous les pays européens ou occidentaux seront menés à affronter. A quoi vont servir, finalement, nos forces armées, en l’absence d’une grande menace pour la survie de nos nations ? Avec quels moyens, militaires ou autres, pouvons–nous, les Occidentaux, intervenir utilement dans d’autres parties du monde pour soutenir des pouvoirs locaux légitimes à bâtir des systèmes de gouvernement à la fois efficaces, respectant les traditions régionales et respectables pour nous sur fond de nos valeurs démocratiques propres ? C’est le rôle du militaire dans la défense de nos intérêts qui et en jeu. Est-ce que, à chaque fois qu’on les envoit en mission, c’est la guerre ? Et si ce n’est pas la guerre, qu’est-ce que c’est ? Et comment est-ce qu’il faut raisonner pour obtenir le soutien des citoyens, des électeurs, des contribuables ? Un regard sur l’Allemagne aujourd’hui est plein de renseignement à ce sujet.