Aghanistan : fin des illusions allemandes

Le bombardement du vendredi 4 septembre en Afghanistan, réalisé par deux avions de combat américains F-15 sur ordre du colonel allemand Klein, raid qui a tué 69 talibans et une trentaine de personnes „civiles“, n’a pas seulement détruit des vies humaines. En Allemagne, il a détruit, d’un seul coup, plusieurs illusions : l’illusion que la Bundeswehr n’est pas en guerre, mais dans une „mission de stabilisation et de reconstruction“ ; l’illusion que la Bundeswehr, dans son secteur de responsabilité dans le nord du pays, applique la bonne stratégie avec un profil moins martial que les armées américaines et britanniques, lui permettant d’être mieux accueillie dans la population locale ; l’illusion des responsables politiques à Berlin de pouvoir éviter toute discussion politique sur la mission de la Bundeswehr en Afghanistan.

Dans la nuit du 4 au 5 septembre, deux F-15 américains ont causé des „dommages collatéraux“ importants en attaquant des talibans qui avaient volé deux camions citernes qui auraient pu être utilisés pour une terrible attaque suicide sur le camp allemand à Kunduz ou sur un autre site dans la région. Ils ont agi sur ordre d’un colonel allemand dans le secteur „nord“ sous responsabilité allemande, où on était fier de ne pas recourir, comme dans le sud ou à l’est, à des attaques aériennes, qui ont toujours causé trop de dégâts parmi la population qu’on était venu protéger et aider. Les soldats de la Bundeswehr, c’est du moins le message que les autorités allemandes ont toujours voulu faire passer, sont là pour protéger les organisations internationales qui aident à la reconstruction du pays. Et ils sont là pour protéger les autorités afghanes des menaces des insurgés talibans jusqu’à ce que les forces de l’ordre afghanes soient en mesure d’en prendre la charge elles-mêmes, en vertu de la mission officielle de la Force Internationale d’Assistance à la Sécurité (FIAS). D’où le mythe d’une Bundeswehr qui ne serait pas en guerre mais en „mission de stabilisation et de reconstruction“.

Et voici qu’un colonel allemand a donné l’ordre de bombarder des insurgés ! Ce qui, dans d’autres pays, aurait été considéré comme un acte de guerre, aussi déplorable qu’il soit, a été une surprise brutale pour un monde politique allemand qui se préoccupe actuellement surtout de lui-même (les élections générales ont lieu à la fin du mois). Même si, formellement, la Bundeswehr n’est pas en guerre, les soldats allemands se trouvent et se sentent en guerre. Aux responsables politiques maintenant de trouver des formules qui respectent le droit constitutionnel et l’état réel des choses. 

Le colonel Klein et ses soldats ont été, depuis leur arrivée il y a plusieurs mois, la cible d’attaques talibanes de plus en plus fréquentes. A tel point que le ministère de la défense allemand a changé les règles d’engagement pour que les soldats allemands puissent enfin combattre activement ceux qui les attaquent. Cela leur était interdit auparavant. En même temps, le nouveau commandant-en-chef de la FIAS, le général américain Stanley McChrystal, a imposé un changement de stratégie dans l’usage des forces aériennes. En fait, il a abandonné la pratique traditionnelle des Américains et des Britanniques qui faisaient venir souvent et rapidement des avions de combat pour bombarder des sites soupconnés d’être dangereux. Et c’est le moment que choisit un colonel allemand pour donner l’ordre de bombarder !

Il y a bientôt huit ans, jour pour jour, que les Américains ont commencé leur action militaire pour chasser les terroristes d’Al Qaida de leur refuge dans l’Afghanistan des talibans, avec le soutien unanime de la communauté internationale, sur la base d’une autorisation du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Et avec la „solidarité inconditionnelle“ de l’Allemagne „rouge/verte“, dirigée par Gerhard Schröder et Joschka Fischer. Huit ans plus tard, les Américains et leurs alliés, y compris les Allemands, sont toujours là. Les talibans sont en train de reprendre le dessus.

Avec 4.100 soldats, l’Allemagne forme le troisième contingent en nombre de la FIAS dirigée par l’Otan. Mais le ministre allemand de la défense Franz Josef Jung, qui ne parle toujours pas de guerre, ne réussit plus à éviter de parler de l’Afghanistan en public, sans trouver les mots justes. La chancelière Angela Merkel, dans une déclaration au Bundestag, a finalement trouvé les paroles appropriées ; sans elle, la catastrophe dans la communication aurait continué.

Avec les rapports sur le truquage massif des élections présidentielles du 20 août, que les observateurs de l’UE ont fait connaître, le débat en Allemagne sur l’Afghanistan est grand ouvert. Le ministre des affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, qui est l’adversaire d’Angela Merkel aux élections, vient rapidement de présenter un plan en dix points pour préparer le retrait allemand d’Afghanistan. En décembre, le nouveau Bundestag sera appelé à renouveler le mandat de la Bundeswehr, dont la mission risque d’être augmentée avant d’être réduite. Le débat risque d’être beaucoup plus complexe qu’initialement prévu.