Le Traité de Lisbonne, a dit la Cour Constitutionnelle allemande à Karlsruhe à l’unanimité, est conforme à la Constitution allemande. Et pourtant, la ratification de ce traité par l’Allemagne n’est toujours pas achevée. Car la Cour ne permet le dépôt de l’acte de ratification seulement après l’adoption d’une loi complémentaire à la loi de ratification fixant « l’élargissement et le renforcement des droits du Bundestag et du Bundesrat en matière d´Union européenne ». En l’état actuel des choses, les juges de Karlsruhe estiment que le processus de ratification allemand n’est pas conforme à la constitution.
Les responsables des groupes parlementaires CDU/CSU et SPD ont déclaré vouloir faire voter les modifications exigées avant les élections du 27 septembre. Il est prévu que le Bundestag se réunisse en session extraordinaire le 26 août pour un débat et vote en première lecture. Les votes en deuxième et troisième lecture auraient lieu le 8 septembre. Le Bundesrat voterait le 18 septembre. C’est seulement après que le Président Fédéral est autorisé à signer l’acte de ratification.
La Cour avait à se prononcer sur plusieurs recours dont le plus important concerne le souci que le Traité de Lisbonne vide la République Fédérale d’Allemagne, son parlement, sa Constitution et finalement la Cour elle-même de substance, et ceci principalement par deux sortes de dispositions : par les dispositions établissant des procédés « simplifiés » permettant de changer le texte du traité sans ratification par les parlements nationaux ; et par les dispositions établissant des compétences de l’UE dans le domaine de la coopération de justice et de police.
Union contractuelle d´Etats souverains
Les juges définissent l’Union Européenne comme étant une « union contractuelle d’Etats souverains » qui dispose toujours et par principe de compétences déléguées, limitées à des fins spécifiques, définies par le(s) traité(s). Le Traité de Lisbonne n’y change rien. C’est pour cela qu’il est conforme à la Constitution. Ce principe des compétences spécifiques ne donne pas à l’Union le droit de s’octroyer des compétences supplémentaires sans autorisation des Etats membres souverains qui doivent rester les « maîtres du traité ».
Dans ce cadre de raisonnement, les dispositions du Traité de Lisbonne, qui permettent au Conseil européen de changer le mode de fonctionnement du Conseil (passer du vote à l’unanimité au vote majoritaire dans certains cas) sans déclencher de modification formelle du Traité, exigent des représentants de l’Allemagne qu’ils cherchent l’autorisation préalable par le parlement sous forme d’une loi avant de pouvoir consentir à une telle décision.
Autrement dit, la loi de ratification du Traité de Lisbonne à elle seule ne suffit plus pour autoriser les représentants allemands au Conseil à décider des changements de procédés de décisions ou d’attributions de tâches de l’Union (comme permis par le Traité de Lisbonne) sans y être explicitement autorisés par un vote du Bundestag ou du Bundesrat. Cette « responsabilité pour l’intégration » du pouvoir législatif peut maintenant faire l´objet d´un recours devant la Cour Constitutionnelle.
Identité constitutionnelle
La Cour a également statué sur les éléments de « l’identité constitutionnelle » de la République Fédérale d’Allemagne qui ne peuvent pas faire l´objet de discussions. Ces éléments sont les suivants : la citoyenneté ; le monopole d’exercice de puissance civile et militaire ; le contrôle des recettes, y compris des crédits bancaires, et des dépenses budgétaires ; ainsi que tous les pouvoirs touchant la mise en oeuvre des droits fondamentaux, comme les questions relatives au droit pénal, les questions culturelles et de langue, le domaine des familles et de l’éducation, l’organisation de la liberté de la presse, de penser et de rassemblement des personnes, ou bien la politique par rapport à la liberté d’expression de la foi religieuse ou autre. Ce sont là, disent les juges, les éléments clé de la vie démocratique et de « l’identité constitutionnelle » de l’Allemagne qui ne peuvent pas être abandonnés au profit de compétences de l’UE.
C’est dans ce contexte aussi que la Cour confirme sa position selon laquelle c’est elle qui est la seule institution autorisée à veiller à ce que l’identité constitutionnelle ne soit pas atteinte par des actes juridiques de l’UE. En ce sens, elle réclame aussi le droit d’interpréter la législation communautaire. Ceci peut causer des conflits avec la Cour de Justice de l’UE à Luxembourg.
En ce qui concerne la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD), finalement, la Cour a confirmé ses positions. Le droit du Bundestag de décider de l’envoi des troupes allemandes dans le cdre de missions militaires mandatées par l’ONU ou d’autres organisations internationales n’est en rien concerné par le Traité de Lisbonne. En même temps, les juges constatent que cela n’empêche pas que l’intégration militaire dans un cadre européen soit poursuivie et renforcée.
Ainsi, la Constitution n’interdit pas une intégration des forces armées européennes par des états-majors communs, par des dispositifs militaires communs ou par une coordination et coopération dans le domaine des acquisitions d’armement. C’est uniquement la décision concernant une mission concrète qui dépend de « l’accord constitutif » du Bundestag. La Constitution, dit la Cour, ne fait pas de la Bundeswehr un instrument du pouvoir exécutif, mais l’intègre, comme armée parlementaire, dans l’ordre constitutionnel démocratique. Sans accord du Parlement, toute décision d’envoyer la Bundeswehr en mission est anti-constitutionnelle par principe. Cette règle ne peut pas être modifiée.
Enjeux politico-militaires
La PESD n’est pas soumise au droit européen supra-national ; aucun Etat membre n’a d’obligation légale d’envoyer en mission ses forces armées ; la décision reste du domaine national. Si jamais l’UE voulait modifier le Traité de l’Union afin de permettre une prise de décision dans ce domaine par vote majoritaire, l’Allemagne serait empêchée de par sa constitution de participer à une telle décision, dit la Cour. L’UE ne dispose pas et ne disposera pas des forces armées des Etats membres.
La Cour Constitutionnelle de Karlsruhe a présenté une interprétation de l’Union Européenne (sur son caractère et ses limites juridiques) complète et obligatoire pour tout pouvoir politique en Allemagne. Cette interprétation aura sans doute un impact politique direct et important au-delà de l’Allemagne. A l’intérieur de l’Allemagne, cette décision renforce considérablement le pouvoir du parlement (en particulier le Bundestag). On peut se demander pourquoi ce parlement n’a pas déjà assumé ce rôle depuis longtemps. Pourquoi faut-il au Bundestag un arrêt de la Cour Constitutionnelle pour qu’il assume un rôle politique qui est le sien ? La participation des parlements nationaux dans les prises de décision de l’UE est bien plus développée dans d’autres Etats membres.
Il est important maintenant que la modification de la loi soit achevée avant les élections du 27 septembre. Le principe de la « discontinuité » en droit constitutionnel allemand veut que tout acte législatif qui n’est pas formellement achevé avant la fin de la législature, devient caduc. La majorité actuelle (et future, quelle qu’elle soit) a tout intérêt à ce que la ratification du Traité de Lisbonne par l’Allemagne soit achevée avant que le peuple irlandais se prononce à nouveau début octobre.