Allemagne/Grèce : Helmut Kohl n’aurait pas agi autrement

Angela Merkel a résisté jusqu’au bout avant d’accepter finalement, lors du Conseil européen du 25 mars, que les Européens viennent en aide à la Grèce. Elle a posé comme condition l’intervention conjointe du Fonds monétaire international. Cette attitude de la chancelière, largement dictée par des considérations de politique intérieure, a suscité des doutes sur la pérennité de l’engagement européen de Berlin. Directeur du CAP (Centrum für angewandte Politikforschung) à Munich et spécialiste de la politique communautaire, Werner Wiedenfeld a estimé, dans un entretien au Spiegel.online, que « Kohl aurait agi exactement de la même façon » (traduction Boulevard extérieur).

Spiegel.online : Angela Merkel a obtenu que les pays de la zone euro aident la Grèce seulement en dernier recours. Avons-nous maintenant une « chancelière de fer » ?

W. Weidenfeld : L’image est fausse. Merkel a cherché une solution internationale pour stabiliser la Grèce. Cela n’a rien à voir avec une attitude national « de fer ».

Comment alors appelez-vous ça, quand Merkel dicte ses conditions aux partenaires européens ? Quand on la compare à la Dame de fer britannique – Margaret Thatcher —, et qu’on la surnomme « Madame Non » ?

Il s’agit d’une interprétation erronée. Malheureusement Merkel ne fait rien pour la démentir. Ses explications sont tout sauf optimales. Sa politique souffre de grandes faiblesses dans la communication. Même si ce n’est pas sa motivation première, elle peut gagner ainsi quelques voix en Allemagne mais son véritable rôle est européen.

L’opposition lui reproche de rompre avec la politique de ses prédécesseurs.

C’est un non-sens. Il y a toujours eu des marchandages. Ca a commencé avec Konrad Adenauer et De Gaulle. Quand les autres Européens n’ont pas voulu accepter leurs conceptions de la politique de sécurité, ils ont misé sur un traité franco-allemand. Et plus tard, quand Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing ont mis en œuvre le système monétaire européen, ils ne s’attendaient pas à être accueillis par les vivats des autres. Helmut Kohl a toujours convaincu son ami François Mitterrand de présenter les idées allemandes comme des initiatives françaises, parce que les chances de succès étaient meilleures ainsi.

Mais cette fois Merkel était isolée…

Et elle a convaincu les Français. C’est la routine européenne. Nous n’avons pas affaire à une césure historique en Europe.

Croyez-vous vraiment que tout cela soit en accord avec l’image que les Allemands ont construite au cours des soixante dernières années ?

Encore une fois, il ne s’agit pas d’une rupture avec les traditions de la politique européenne de l’Allemagne. Il s’agit de faire en sorte que le modèle grec ne soit pas imité par les autres. Et c’est pourquoi il faut exercer une forte pression sur ce pays. Si l’Irlande, l’Italie, l’Espagne ou le Portugal suivaient les Grecs, alors nous aurions vraiment un sérieux problème européen. C’est ce que Merkel veut empêcher.

Beaucoup, en Europe, voient les choses autrement. La vice-présidente de la Commission, Viviane Reding, a appelé Merkel à faire preuve de plus de solidarité financière avec la Grèce, en l’apostrophant ainsi : « Angela, un peu de courage ! ».

C’est là que vous voyez que Merkel n’explique pas bien son action. Si on la confond avec une sorte d’irritation nationale, c’est qu’il y a une erreur de communication. Le message central devrait être : nous assurons la stabilité de l’euro et nous construisons un cadre qui garantisse l’avenir de la Grèce. C’est ce que j’appelle la solidarité européenne.

Les petits Etats, en particulier, se sentaient mieux compris par Helmut Kohl que par Merkel. Est-ce aussi votre avis ?

C’est possible, mais après tout ce n’est qu’un sentiment qui ne correspond pas à la réalité. Merkel doit enfin faire quelque chose contre cette impression fausse. Car quel est son plus grand maître en matière de politique occidentale ? C’est Helmut Kohl ! Elle a appris à l’ombre de Kohl, et d’aucun autre. Aussi vous pouvez imaginer que Merkel se pose la question : qu’aurait fait Kohl dans cette situation ?

Et la réponse ?

Kohl aurait agi exactement de la même façon. Lui aussi aurait préparé un montage pour faire pression sur ses partenaires. Mais il n’y aurait pas eu ce déficit en explications qui caractérise le gouvernement Merkel dans tous les domaines. On improvise trop.

Et pendant ce temps à Athènes on brûle des drapeaux européens…

Ce n’est pas bon. Mais c’est aussi là qu’on reconnait le rôle essentiel que joue l’Europe. Certains brûlent des drapeaux européens tandis que d’autres savent pertinemment que seule la réussite de cette communauté européenne peut les sauver.