Allemagne/Turquie : un parallèle géopolitique

La chute du mur de Berlin il y a vingt ans a bouleversé l’équilibre géopolitique du monde. En Europe, deux Etats, l’Allemagne et la Turquie, qui apparaissaient pendant la guerre froide comme les principaux piliers de la défense occidentale, ont profité de l’effondrement du communisme pour affirmer leur autorité sur la scène internationale.

Face à la menace soviétique, l’un et l’autre avaient accepté, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, de se soumettre à l’hégémonie des Etats-Unis, dont ils se voulaient les fidèles alliés. La disparition de l’URSS leur a donné une plus grande marge de manœuvre vis-à-vis de Washington, tout en restant liés à la puissance américaine. Ils tentent de tirer parti de cette situation en jouant un rôle plus actif dans le monde. 

Sciences-Po accueillait, les 21 et 22 avril à Paris, deux colloques consacrés l’un à la diplomatie de l’Allemagne, l’autre à celle de la Turquie. Les discussions ont fait clairement apparaître le poids nouveau acquis par ces deux Etats, depuis la fin de la Guerre froide, dans la gestion des affaires internationales, au risque d’inquiéter quelquefois leurs partenaires européens. 

L’Allemagne réunifiée est devenue la première puissance d’Europe. L’élargissement de 2004 l’a placée au cœur de l’Union. A ce titre, elle revendique une responsabilité accrue, même si elle le sait pas encore très bien comment l’exercer. « L’Allemagne a gagné du poids en Europe et peut-être dans le monde, estime Wolfram Vogel, directeur de l’Institut franco-allemand de Paris, mais on a l’impression qu’elle cherche toujours son rôle, qu’elle n’a pas encore trouvé sa place ». Au moins a-t-elle su résister à la tentation de faire cavalier seul, comme le note Joachim Bertele, membre allemand du cabinet du premier ministre français François Fillon. Elle a réussi en particulier à dissiper la plupart des craintes qu’inspirait, à l’Est comme à l’Ouest, son nouveau statut.

Le testament d’Adenauer

A l’Est, la réconciliation avec la Pologne a contribué au nouvel équilibre européen avant de rendre possible l’élargissement de l’UE aux anciens pays communistes. Comme le rappelle l’ambassadeur de Pologne en France, Tomasz Orlowski, l’Allemagne a accompli le « testament d’Adenauer », qui appelait à une triple réconciliation : avec Israël, avec la France et avec la Pologne. Ainsi s’est reconstituée, selon M. Orlowski, une « Mitteleuropa », conçue non pas comme une annexion de l’Europe centrale par l’Allemagne, mais comme une coopération renforcée entre celle-ci et ses voisins.

A l’Ouest, l’Allemagne a su maintenir son double ancrage dans l’OTAN et dans l’Union européenne, assurant, selon M. Bertele, la « continuité » de sa diplomatie, en dépit de son pouvoir nouveau. Il se pourrait toutefois, pense-t-il, que les élections générales du 27 septembre soient l’occasion d’un débat plus large sur la future politique étrangère du pays.

Une Turquie plus autonome

L’une des questions en suspens est celle de l’adhésion de la Turquie à l’UE, qui divise la grande coalition. Comme l’Allemagne, la Turquie, longtemps confinée à son rôle d’ultime rempart de l’Occident contre l’URSS, est devenue un acteur majeur sur la scène mondiale. Selon Ilter Turan, professeur à l’Université Bilgi d’Istanbul, la disparition de la menace soviétique a laissé place à d’autres dangers, tels que le terrorisme ou la menace sur l’approvisionnement en énergie.

« La Turquie, note M. Turan, se trouve en première ligne, comme l’Allemagne l’a été au temps de la guerre froide ». Candidate à l’entrée dans l’UE, elle a établi de nouvelles relations avec ses voisins, en Asie centrale, dans le Caucase ou au Moyen-Orient, et multiplié les missions de bons offices dans son voisinage. Elle s’est également davantage ouverte, sur le plan économique, au marché mondialisé, investissant dans de nombreuses régions du monde, de l’Afrique à la Chine en passant par l’Amérique latine. Bref elle a acquis le rang d’une puissance régionale, dotée de capacités autonomes d’action. 

La Turquie ne s’est pas éloignée de l’Occident, mais elle n’hésite plus à faire entendre sa propre voix. Soli Ozel, également professeur à l’Université Bilgi, rappelle ainsi que le Parlement turc a refusé en 2003 le passage des troupes américaines vers l’Irak. Pour la Turquie, dit-il, la stabilité régionale est un impératif absolu. Elle s’y implique avec détermination en misant sur ses bonnes relations avec la plupart des acteurs, qu’il s’agisse d’Israël, de l’Iran, de la Russie, des Etats-Unis ou de l’Europe.