Drôle de campagne, comme on disait drôle de guerre. Elle a été menacée de langueur pendant des semaines avant que le débat ne s’anime dans la dernière ligne droite. Pas sur le fond de la politique qui pourrait être menée au cours des quatre prochaines années. La chancelière sortante Angela Merkel a soigneusement évité tous les sujets de controverse. C’est une photo qui a apporté un peu d’animation dans un affrontement feutré. Peer Steinbrück, le candidat social-démocrate à la chancellerie, a « répondu » à un questionnaire du journal de centre gauche Süddeutsche Zeitung. La règle du jeu était : pas de paroles mais des gestes. Interrogé sur ce que lui inspiraient les critiques dont il a fait l’objet et les surnoms dont il a été affublé, comme « Peerlusconi », ou « Peer le gaffeur », il a répliqué par un doigt d’honneur. La photo a fait la « une » du magazine du journal. Son conseiller en communication avait suggéré sa suppression. Le candidat ne l’a pas suivi et a autorisé la publication. Scandale ! Peer Steinbrück a-t-il fait un de ces faux-pas dont il est coutumier depuis qu’il s’est lancé dans la course à la chancellerie ? Un faux-pas qui pourrait lui coûter des voix chez les électeurs choqués par un geste vulgaire ? Ou a-t-il manifesté une nouvelle fois sa qualité de fonceur qui n’a pas peur de secouer le cocotier ?
La controverse intervient à un moment crucial pour le candidat et son parti. Très loin derrière la démocratie-chrétienne au début de l’été, le SPD a gagné des points dans les derniers jours. Angela Merkel est certes beaucoup plus populaire que son principal concurrent. Mais le chancelier n’est pas élu au suffrage universel. Sa désignation est le résultat du rapport de forces entre les groupes parlementaires au Bundestag. Les pronostics sont rendus encore plus difficiles par le système électoral allemand. La moitié des députés est élue au scrutin uninominal à un tour. L’autre moitié au scrutin proportionnel de liste. Chaque électeur dispose de deux voix. Avec la première, il vote pour un candidat dans une circonscription. Le candidat arrivé en tête est élu. Avec la deuxième voix, il vote pour un parti. Ce sont les deuxièmes voix qui déterminent la répartition des sièges entre les partis.
La démocratie chrétienne et son alliée bavaroise, l’Union chrétienne sociale (CSU), sont créditées d’environ 40% des suffrages dans les derniers sondages. Leur partenaire de la coalition sortante, le Parti libéral (FDP), flirte avec le seuil des 5% en-deçà duquel un parti n’est pas représenté au Bundestag. Même en admettant que FDP dépasse 5%, la coalition pourrait ne pas avoir la majorité absolue au Parlement.
Les sociaux-démocrates et les Verts qui ont unis leurs efforts le temps d’une campagne ne sont pas mieux lotis. Avec 25% pour le SPD et autour de 10% pour les Verts, ils ne peuvent pas espérer gouverner sans le soutien de Die Linke, le parti de la gauche radicale. Cette formation constituée par les anciens communistes d’Allemagne de l’Est et des déçus du SPD pourrait obtenir 8 à 10%. Mais les sociaux-démocrates ont exclu de l’associer à un gouvernement.
Deux hypothèses
Au vu des derniers sondages, deux hypothèses seulement paraissent réalistes : le renouvellement de la coalition dite « bourgeoise » entre les démocrates chrétiens et les libéraux ou une grande coalition entre la CDU-CSU et le SPD. Peer Steinbrück qui a été ministre des finances dans le premier gouvernement d’Angela Merkel (2005-2009) a exclu d’être à nouveau le petit partenaire d’une grande coalition. Pourrait-il s’imposer comme chancelier dans une version inversée de la grande coalition ? Les institutions allemandes ne l’interdisent pas mais la tradition veut que le poste de chancelier soit d’abord proposé, par le président de la République, au parti ayant obtenu le plus grand nombre de voix. Le SPD se sentira-t-il assez fort pour récuser Angela Merkel alors que la popularité de la chancelière sortante frise les 70% ? Le bras de fer pourrait durer des semaines avant qu’un gouvernement ne soit constitué.
Mis à part Die Linke, les quatre autres partis représentés au Bundestag – CDU-CSU, SPD, FDP, Verts – ont la capacité de s’allier les uns avec les autres. Angela Merkel privilégie la reconduction de la coalition avec les libéraux. Mais elle a déjà dirigé une grande coalition avec le SPD. En décidant la sortie du nucléaire d’ici 2020, elle a levé un obstacle à une coalition dite « noire-verte » avec le parti écologiste. Daniel Cohn-Bendit n’est pas seul chez les Verts à penser que, dans l’impossibilité d’une union de toute la gauche, une telle constellation serait le seul moyen de faire bouger l’Allemagne. Les libéraux ont exclu une autre coalition, dite « jamaïcaine », rouge, verte, jaune, comme le drapeau de la Jamaïque.
Un socle commun
Les divergences apparues pendant la campagne électorale ne paraissent pas insurmontables. Le salaire minimum ? La gauche et la droite y sont maintenant favorables, même si les modalités et le montant en sont différents d’une formation à l’autre. L’écologie ? Sauf les milieux industriels, tout le monde est pour. La rigueur budgétaire ? C’est un dogme que personne ne remet plus en question bien que le SPD et les Verts veulent réduire la dette en augmentant les impôts des plus riches. La Syrie ? La majorité des Allemands et l’ensemble des partis sont hostiles à une intervention occidentale dans le conflit. L’Europe ? Les Verts sont les seuls en pointe pour une Europe fédérale que les autres partis ont mis en sourdine. La gauche est peut-être plus attentive aux difficultés des Etats-membres de l’Europe du sud qu’Angela Merkel mais la chancelière a montré au cours des dernières années qu’elle savait se montrer pragmatique. Elle a su contourner discrètement les lignes rouges qu’elle avait elle-même tracées pour aider les partenaires déficitaires.
Forte de sa popularité Angela Merkel a pris soin de ne pas provoquer de polémiques électorales, d’éviter de soulever des sujets qui pouvaient diviser la grande masse centriste de l’électorat. Dans la presse, ses critiques l’accusent d’avoir endormi l’Allemagne et les Allemands, d’avoir profité des acquis des réformes lancées par Gerhard Schröder au début des années 2000 sans s’attaquer aux problèmes de la société allemande (recul démographique, paupérisation, restructuration des secteurs exportateurs, énergie, etc.) Dans son parti, Angela Merkel a neutralisé les femmes et les hommes qui avaient l’air de rivaux. Dans le pays, elle rassure par son calme et sa volonté d’apaisement. Une recette de longévité politique ?