Angela Merkel a choisi le Collège d’Europe, à Bruges, une institution qui forme un grand nombre de fonctionnaires européens, pour exposer, le 2 novembre, sa vision du fonctionnement de l’Union européenne. Une vision singulière qui confirme la distance prise par la chancelière allemande à l’égard du projet fédéral européen, à mesure que son pays affirme son autorité sur la scène internationale. Mme Merkel conteste en effet l’attitude des fédéralistes européens, qui défendent la méthode « communautaire » contre la méthode « intergouvernementale ».
La méthode communautaire, dans le langage bruxellois, est celle qui attache une grande importance à la supranationalité, incarnée aussi bien par la Commission que par le Parlement, et qui favorise, au Conseil, le vote à la majorité qualifiée. A l’inverse, la méthode intergouvernementale privilégie la négociation entre les Etats membres, admet que chacun d’eux conserve un droit de veto et réduit le rôle de la Commission et du Parlement.
Intégration et coopération
La méthode communautaire est un outil d’intégration, la méthode intergouvernementale un instrument de coopération. On comprend que la première soit choisie par les plus fervents des pro-européens, dans la lignée de Jean Monnet et des pères fondateurs, et la seconde par les Européens les plus tièdes, notamment en Grande-Bretagne. Le traité de Maastricht avait ajouté au pilier communautaire, portant sur l’économie, deux piliers intergouvernementaux, portant l’un sur la police et la justice, l’autre sur la politique étrangère. Le traité de Lisbonne a supprimé les piliers mais maintenu les différences entre les deux approches.
Que dit Mme Merkel ? Que ceux qui se réclament de la méthode communautaire ont tendance à minimiser le rôle du Conseil, qui réunit les représentants des Etats membres, et l’importance du principe de subsidiarité, qui incite à traiter une partie des questions au niveau local. « Les problèmes doivent être traités au niveau le plus proche du citoyen », affirme la chancelière. La méthode communautaire, rappelle-t-elle, ne s’applique qu’aux domaines qui sont de la compétence de l’Union parce que les Etats membres en ont décidé ainsi.
La coordination ou rien
Mme Merkel se réfère à une déclaration d’Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, selon laquelle « souvent le choix n’est pas entre la méthode communautaire et la méthode intergouvernementale mais entre une position européenne coordonnée et rien du tout ». Autrement dit, commente la chancelière, une position européenne coordonnée ne peut pas être atteinte par la seule application de la méthode communautaire ; en revanche, elle peut parfois être atteinte par l’application de la méthode intergouvernementale. « Ce qui compte, conclut-elle, c’est d’arriver à des positions communes sur les problèmes importants ».
Plutôt que de méthode communautaire (Gemeinschaftsmethode) ou de méthode intergouvernementale, Mme Merkel préfère parler de « méthode de l’Union » (Unionsmethode) ou « méthode unitaire », qu’elle définit par une formule : « une action coordonnée dans un esprit de solidarité ». Cet esprit, selon elle, doit associer tous les acteurs : les Etats membres, les parlementaires, la Commission. « Si tous les partenaires – les institutions de l’Union, les Etats membres et leurs Parlements – se complètent l’un l’autre en agissant d’une manière coordonnée dans leurs domaines de responsabilité, les immenses défis auxquels l’Europe fait face peuvent être affrontés avec succès », estime-t-elle.
L’exemple de l’énergie
La chancelière donne pour exemple de cette méthode « unitaire » la politique de l’énergie. Une politique qui, en vertu du traité de Lisbonne, associe les gouvernements nationaux et les institutions européennes. « Dans ce domaine, note-t-elle, à la fois la Commission et les Etats membres sont compétents ». L’Union fixe des objectifs, il appartient aux Etats de se donner les moyens de les atteindre. Mais ils doivent aussi, dit-elle, mieux coordonner leurs efforts afin de renforcer le marché intérieur.
« Voilà pourquoi il est si important, d’une part, qu’il y ait un engagement pour une coopération européenne et, de l’autre, que les Etats membres soient responsables de l’action pour tenir cet engagement », affirme Mme Merkel, qui définit la méthode « unitaire » comme une combinaison de la méthode communautaire et de l’action coordonnée des Etats membres.
En soulignant l’insuffisance de la méthode communautaire, la chancelière ne fait, après tout, que décrire le fonctionnement réel de l’Union européenne mais, au lieu d’en conclure que cette méthode devrait être généralisée, comme le réclament les fédéralistes, elle préfère insister, comme les partisans de la méthode intergouvernementale, sur le rôle décisif des Etats. L’Allemagne, par la voix de sa chancelière, montre ainsi, une fois de plus, qu’elle n’est plus, comme elle le fut jadis, la championne de l’intégration européenne.