Angela Merkel fait cavalier seul en Chine

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La chancelière allemande vient de passer deux jours en Chine à la tête d’une nombreuse délégation, ne comptant pas moins de neuf ministres, plus des secrétaires d’Etat, et une vingtaine d’hommes d’affaires. Les dirigeants chinois ont déroulé le tapis rouge pour leurs invités allemands. Le Premier ministre Wen Jiabao a accompagné Angela Merkel dans sa ville natale de Tianjin, un honneur rare, réservé aux amis. La chef du gouvernement de Berlin a aussi rencontré les futurs maitres du pays, le prochain président Xi Jinping et le prochain Premier ministre, Li Keqiang, qui devraient être désignés lors 18ème congrès du Parti communiste chinois, au mois d’octobre.

Angela Merkel se trouvait pour la deuxième fois en Chine cette année. Ce n’est pas par hasard. Ce pays est devenu un des principaux partenaires économiques de l’Allemagne en dehors de l’Union européenne. Le commerce entre les deux pays a été multiplié par quatre en dix ans. Les exportations chinoises en Allemagne ont augmenté de 23% en 2011 par rapport à l’année précédente. Elles représentent un tiers des échanges de la Chine avec l’Union européenne qui est le principal marché pour les entreprises chinoises.

Angela Merkel a certes signé un contrat pour la vente d’une trentaine d’Airbus, donnant ainsi une coloration européenne à son voyage. Mais son principal objectif était de consolider les liens entre son pays et l’empire du milieu sans trop se soucier des négociations entre Bruxelles et Pékin sur la « réciprocité » dans les échanges commerciaux et intellectuels. Le Premier ministre Wen Jiabao a aussi laissé entendre que la Chine pourrait utiliser ses énormes réserves monétaires (quelques 3200 milliards de dollars) pour aider l’Europe à sortir de la crise des dettes souveraines. Ce n’est pas la première fois que les dirigeants chinois font de telles déclarations. En réalité, ils se montrent beaucoup plus prudents. Ils n’ont aucune intention de risquer leur « trésor de guerre », amassé à la sueur des travailleurs chinois, pour venir à la rescousse d’Européens qui se sont montrés plus cigales que fourmis.

Ils ne rechignent pas pour autant à investir dans les bons du Trésor allemands, qu’ils jugent plus sûrs que les titres des pays en difficulté. Autrement dit, ils veulent bien aider les Allemands à aider leurs partenaires européens, sans prendre de risques inutiles.

La Chine traite les Etats membres de l’UE selon leurs mérites. Si Berlin est son principal partenaire, c’est parce que l’industrie allemande lui fournit les machines et les biens finis dont elle a besoin, non seulement pour satisfaire la demande en voitures de luxe par exemple, mais pour produire les biens qu’elle exportera ensuite… vers l’Allemagne et l’Europe. Comme d’autres pays développés, l’Allemagne se plaint des libertés que les Chinois prennent avec les règles d’une concurrence loyale. Toutefois Angela Merkel est convaincue qu’elle a plus de chances de résoudre le problème sur une base bilatérale qu’en attendant un éventuel accord entre Bruxelles et Pékin.

C’est un pari. Car l’industrie allemande devient ainsi de plus en plus dépendante du marché chinois qui commence à se contracter et elle soutient une économie qui sera demain une concurrente redoutable. Cette politique fait deux victimes : une éventuelle stratégie commune européenne et les droits de l’homme qu’Angela Merkel a décidé de traiter mezzo voce pour ne pas braquer ses amis chinois.