Après le 8 août 2008, un ’’nouvel ordre mondial’’ ?

L’enjeu des événements en Géorgie a très vite dépassé le Caucase. On est en présence d’un tournant des relations internationales au parfum de guerre froide, d’un point de bascule qui remet en cause les grands équilibres mondiaux et l’évolution pacifique des relations Est-Ouest. Un « nouvel ordre mondial » est-il en train de naître à l’occasion de ces événements ? Panorama des gagnants et des perdants de la crise. 

Poutine a gagné, la Géorgie et les Etats-Unis ont perdu. Les Etats-Unis n’ont pas pu faire grand’chose pour aider la Géorgie à résister à la Russie. Quant à Vladimir Poutine, « la guerre en Géorgie pourrait l’aider à rester au pouvoir pour quelques années encore », selon l’analyse de The Economist

La fin du "nouvel ordre européen"

Pour le philosophe américain Michael Walzer, « ce qui se passe en Géorgie est une défaite majeure pour l’Amérique et l’Union européenne. Les événements démontrent que ces deux grandes puissances, qui affirment vouloir faire avancer la démocratie en Europe, sont incapables de défendre l’intégrité territoriale ou la sécurité physique de la Géorgie démocratique » (source : article paru le 15 août dans la revue Dissent).

Selon l’historien britannique Paul Kennedy, auteur de Naissance et déclin des grandes puissances, « les actions militaires et la brutalité politique de la Russie laissent présager la fin du « nouvel ordre européen » post-1991, à la façon dont la crise de la Rhénanie en 1936 avait annoncé la fin de l’Europe du traité de Versailles ». (texte paru dans le Guardian, samedi 16 août 2008).

Toujours selon Paul Kennedy, « on mesure les limites du pouvoir américain dans un monde en rapide changement (…). Ce pouvoir n’a cessé de s’amoindrir au cours des huit dernières années à cause d’une diplomatie inconsidérée et parfois arrogante, mais aussi d’une obsession pour la « guerre contre le terrorisme » et de politiques budgétaires imprudentes. La décennie post-1991 est bien terminée. C’était l’époque où les Etats-Unis étaient la puissance dominante sans aucun concurrent (le « moment unipolaire », selon l’expression de Charles Krauthammer). Les futurs historiens seront étonnés par la rapidité de ce changement. Au début des années 1990, George Bush père, James Baker et autres vétérans de la politique étrangère américaine se demandaient encore comment faire pour empêcher une faillite de la Russie. Aujourd’hui, on se demande comment contenir un pouvoir russe excessif ».

Interrogé sur les conséquences de la guerre en Géorgie dans une interview au Guardian, samedi 16 août 2008, le président turc Abdullah Gül estime que le moment est venu de reconnaître l’émergence d’un « nouvel ordre mondial » : « le conflit en Géorgie montre que les Etats-Unis ne peuvent plus être les seuls à déterminer le cours global des choses, et devraient commencer à partager le pouvoir avec d’autres pays.

Une non-victoire pour la Russie

Cependant, à plus long terme, la Russie n’est pas forcément gagnante et risque de se trouver isolée. « La guerre va affaiblir encore plus la « fabrique morale » de la société russe, la rendant encore plus agressive et nationaliste. Le pays se dirige vers un Etat autoritaire, nationaliste, corporatiste depuis quelques années déjà. La guerre en Géorgie ne va faire que renforcer cette évolution », selon l’analyse de The Economist (édition du 16 août 2008).

Pour le philosophe américain Michael Walzer, « l’invasion de la Géorgie pourrait bien ne pas être une victoire pour la Russie. Le moment le plus fort de la semaine passée a été l’arrivée à Tbilissi, mardi 12 août, des présidents des pays baltes, d’Ukraine et de Pologne pour manifester leur solidarité avec Saakachvili et leur refus d’accepter le retour de la vieille « sphère d’influence » russe. Cette présence était plus importante que tout ce qui a pu être dit ailleurs aux Etats-Unis ou en Europe ».

Il est encore trop tôt pour dire si l’entrée de la Russie dans l’OCDE ou l’OMC, ou encore le nouvel accord de partenariat et de coopération UE/Russie, vont être remise en cause, mais d’ores et déjà le G7 se renforce de facto aux détriments du G8.

La réputation de la Russie « est en lambeaux » après l’envoi de ses forces en Géorgie et elle devra payer les conséquences de ses actions, a affirmé la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, dimanche 17 août. « Le monde entier voit la Russie sous un jour différent qu’il y a une semaine ou deux", a ajouté le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates. Les Russes "ne réalisent pas encore pleinement l’ampleur des conséquences", a-t-il ajouté.

Sur le sujet sensible de l’adhésion future de la Géorgie à l’OTAN, la crise se traduit par des discours de fermeté à l’égard des Russes. Alors que l’Allemagne s’opposait encore, au printemps dernier, à l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN, la chancelière Angela Merkel vient de changer d’avis en affirmant, dimanche 17 août à Tbilissi : « la Géorgie sera membre de l’Otan, si elle le veut, et c’est ce qu’elle veut ». Certes, la route est encore longue et rien n’est décidé. Mais la crise va peut-être faciliter la capacité des Occidentaux à mieux coordonner leur attitude à l’égard des pays limitrophes de la Russie, à commencer par l’Ukraine. 

La crise a déjà accéléré la mise en place en Pologne, déjà membre de l’Otan, d’un bouclier antimissiles américain en échange d’une aide substantielle à la modernisation de sa défense aérienne.

Fragile espoir

Pour Paul Kennedy, « le perdant de toute cette histoire, au final, sera probablement la Russie musclée de Poutine. Certes, il a l’air fort et confiant aujourd’hui, mais son jeu n’est pas forcément gagnant à long terme. Sa force réside sur deux piliers : les ressources énergétiques et le nationalisme russe. Les ressources en pétrole et en gaz pourraient s’évaporer plus vite qu’il ne le pense. Quant au nationalisme russe, il provoque peur, hostilité et résistance un peu partout. Tout autour des vastes frontières de la république russe, et parmi les 100 minorités ethniques qui se trouvent au sein de la république, personne n’aime les Russes. C’est un boulet géopolitique ».

Une lueur d’espoir cependant, selon Tomas Valasek, directeur d’études au Centre for European Reform de Londres : « la Russie n’est pas un « Etat-voyou » et veut être un membre fréquentable de la communauté internationale. Il veut être traité par l’UE et l’OTAN comme un partenaire privilégié. La Russie se soucie de ce que le monde pense d’elle. Déjà, certains commentateurs russes déplorent les dégâts que la guerre a causés en termes de « standing » international du pays. (…) C’est d’ailleurs sans doute la raison qui explique que les hostilités aient cessé au bout de cinq jours ».