Attention, danger !

Français et Allemands n’ont pas une vision commune de l’Europe. C’est plus vrai que jamais depuis le début de la crise économique, comme le montre une enquête du Pew Research Center auprès de quelque 1000 foyers en France et en Allemagne (ainsi qu’en Grande Bretagne, Italie, Espagne, Grèce, Pologne, et République tchèque).

Cinquante ans après le Traité de l’Elysée et la constitution du « couple franco-allemand », le fossé du Rhin se creuse. Il se creuse d’une manière inquiétante. Les vues des uns et des autres sur les défis européens divergent des plus en plus. Le dernier sondage du Pew Research Center, conduit dans huit pays d’Europe et publié le 14 mai, en fait preuve : la crise économique depuis 2008 tire les Européens dans des directions opposées. L’opinion publique en Allemagne concernant l’intégration européenne se distingue de celle de tous les autres ; et, pire encore, elle sépare nettement les Allemands des Français. Comme si Français et Allemands vivaient sur des continents différents.

Le résultat de l’enquête du Pew Research Center le plus inquiétant est que la divergence de vues entre Français et Allemands s’est aggravée énormément. En 2007 encore, Allemands et Français avaient des opinions favorables à l’Union Européenne : 68% des premiers et 62% des seconds soutenaient les institutions de Bruxelles. Six ans plus tard et après cinq ans de crise, toujours 60% des Allemands ont une opinion favorable de l’UE, alors que c’est encore le cas pour seulement 41% des Français. La différence est passée de 6 à 19 points !

Plus grave encore, les opinions concernant l’impact de l’intégration économique européenne sur les économies nationales : en 2009, 50% des Allemands et 43% des Français pensaient que l’intégration européenne était profitable à leurs économies nationales respectives – une différence de 7 points. En 2013, le chiffre pour les Allemands est lonté à 54%, alors que chez les Français, il a baissé de manière dramatique (22% seulement) – un qui passe de 7 à 32 points ! En 4 ans !

Pire encore : les opinions sur les situations économiques en général dans chacun des pays témoignent de l’existence de deux mondes : en 2007, 63% des Allemands, mais 30% seulement des Français trouvaient que leur pays était dans une bonne situation économique. Cette différence de 33 points s’est aggravée en 2013. Alors que le nombre de satisfaits en Allemagne est passé à 75%, celui des satisfaits en France a encore chuté à 9% ! Les opinions publiques en France et en Allemagne concernant leurs situations économiques et les avantages de l’intégration européenne se développent dans des directions opposées. Ceci emmène les chercheurs à la conclusion que l’attitude en France ressemble désormais à celle des Italiens, des Espagnols et des Grecs, plutôt qu’à celle des Allemands. 

Ces résultats ont une signification politique importante. Le « couple franco-allemand », moteur indispensable de l’intégration européenne qui a toujours fonctionné sur la base d’une égalité fraternelle d’esprit et de faits entre les deux riverains du Rhin, risque de disparaître. Le déséquilibre économique grandissant qui a déjà laissé des traces dans beaucoup de discours, des deux côtés du Rhin, risque de peser davantage sur les responsables politiques qui sont, soit —à Paris— en difficultés politiques un an après leur victoire électorale, soit —à Berlin— en campagne pour se faire réélire – deux situations politiques, en tout cas, qui ne conduisent pas à faire preuve de sang-froid et incitent moins aux analyses réfléchies sur des situations complexes qu’à l’activisme politicien et aux slogans simplificateurs.

Une lueur d’espoir quand même : une grande majorité dans les deux pays ne veut pas abandonner l’euro : En 2013, 66% des Allemands (66% en 2012) et 63% des Français (69% en 2012) tiennent toujours à une monnaie commune forte. A peu près la moitié (51% des Allemands et 47% des Français) est prête à renforcer les compétences de « Bruxelles », sans que les chercheurs aient défini ce que signifie pour eux « Bruxelles » (la Commission et le Parlement européen ou ;a coopération intergouvernementale sous l’auspice du Conseil Européen ?)

Aussi, parmi les chefs d’Etat ou de gouvernement, Angela Merkel est, pour les Français, celle qui obtient la meilleure note : 73% trouvent qu’elle gère bien la crise économique de l’UE (Cameron : 50%, Hollande : 33%) ; et François Hollande est pour les Allemands celui qui obtient la meilleure note parmi les dirigeants étrangers : 53% (Cameron : 25%, mais loin derrière Merkel : 74%). Les positions de la France et de l’Allemagne concernant une aide financière à des pays de l’UE en difficulté ont, en revanche changé. Alors qu’en 2010, 53% des Français, mais seulement 42% des Allemands étaient en faveur d’un « bail out », en 2013, cette situation s’est renversée : sont pour maintenant 52% des Allemands et 40% des Français.

Selon ce sondage, la crise, depuis 2008, commence donc à nuire à l’intégration européenne. Il constate un grand fossé grandissant entre les attitudes des Allemands et celles des autres Européens. Mais avant tout, la divergence de vue énorme et croissante entre la France et l’Allemagne est un signal d’alarme. Il n’y a pas de temps à perdre.