La vague populiste qui balaye de nombreux pays dans le monde vient d’atteindre les rives du Brésil où le candidat de l’extrême-droite, l’ancien capitaine d’infanterie Jair Bolsonaro, est arrivé largement en tête, dimanche 7 octobre, au premier tour de l’élection présidentielle et paraît bien placé pour l’emporter au second. Avec 46% des voix, il devance en effet largement son principal concurrent, Fernando Haddad, représentant du Parti des travailleurs, qui recueille 29% des suffrages. Il faudrait un extraordinaire sursaut des électeurs anti-Bolsonaro pour que le rapport de forces s’inverse et que ceux qui ont voté au premier tour pour un autre candidat que celui de l’extrême-droite se rassemblent tous le 28 octobre derrière Fernando Haddad au nom de la défense de la démocratie.
Car la démocratie brésilienne est bel et bien en danger si Jair Bolsonaro est élu au poste qu’a occupé pendant huit ans, de 2003 à 2010, Luiz Inacio Lula da Silva, plus connu sous le nom de Lula. Jair Bolsonaro n’est pas seulement le spécialiste des petites phrases racistes, homophobes, misogynes qui font craindre le pire s’il parvient au pouvoir, il est aussi et surtout le défenseur de la sinistre dictature qui a gouverné le Brésil de 1964 à 1985. Il est l’homme qui a osé dédier son vote sur la destitution de Dilma Rousseff, en 2016, à la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, qui fut l’un des tortionnaires du régime militaire. Son colistier, le général Hamilton Mourao, candidat à la vice-présidence, n’a pas craint de justifier par avance un éventuel coup d’Etat si la situation l’exigeait.
Au-delà de ses idées réactionnaires et de ses provocations verbales, Jair Bolsonaro inquiète surtout par la menace qu’il fait peser d’un retour en arrière vers une époque où les libertés étaient bafouées et l’ordre constitutionnel foulé aux pieds. « Une plate-forme conservatrice sur la politique, l’économie et les questions de mœurs est légitime et parfaitement compatible avec la démocratie, notait à juste titre il y a quelques semaines le quotidien Folha de Sao Paulo. L’intolérance idéologique et la remise en cause des institutions, elles, ne le sont pas ».
Beaucoup de ceux qui le soutiennent affirment certes que ses déclarations ne sont que des rodomontades destinées à frapper l’opinion et à le distinguer des candidats du « système », selon une méthode habituelle à l’extrême-droite. Ils assurent aussi qu’en cas de victoire ses conseillers modéreront son ardeur tandis que le Parlement l’empêchera de sortir de la légalité. Peut-être. Mais la menace n’en existe pas moins d’une dérive anti-démocratique qui redonnerait vie, sous une forme ou sous une autre, aux fantômes du passé.
Ceux qui voteront au second tour pour Fernando Haddad, le candidat de substitution du Parti des travailleurs après l’invalidation de Lula, le feront sans doute majoritairement pour écarter du pouvoir un nostalgique de la dictature militaire et pour éviter que celle-ci ne renaisse de ses cendres. Ceux qui apporteront leur soutien à Jair Bolsonaro le feront surtout pour dire non aux années Lula, non à la corruption, à la violence, à l’insécurité, non à la récession qui a fait monter le chômage et baisser le pouvoir d’achat, non à une gauche qui, après avoir séduit, a beaucoup déçu. Le rejet du Parti des travailleurs, devenu l’incarnation du mal, risque de l’emporter sur celui d’une extrême-droite à laquelle Jair Bolsonaro a su donner un éclat singulier.