Après le Mexique en 2018, l’Argentine en 2019, le Pérou en 2021, le Honduras, le Chili et la Colombie en 2022, le Brésil vient de se donner à son tour un président de gauche en élisant, de justesse, Luiz Inacio Lula da Silva, dit « Lula », à la fonction suprême. Ce n’est pas vraiment une surprise puisque les sondages, même s’ils ont sous-estimé avant le premier tour le score de Jair Bolsonaro, laissaient prévoir depuis plusieurs mois une telle issue. Cependant, après la parenthèse catastrophique du mandat du président sortant, le retour de la gauche est un événement majeur à la fois pour ce pays de 215 millions d’habitants, dont le poids économique, politique, diplomatique est important sur la scène mondiale, et pour l’ensemble du continent latino-américain, dont il est l’un des principaux chefs de file.
Même s’il appartient à une autre génération que les nouveaux dirigeants latino-américains (il vient de fêter ses 77 ans), Lula incarne, avec Andres Manuel Lopez Obrador à Mexico, Alberto Fernandez à Buenos-Aires, Pedro Castillo à Lima, Xiomara Castro à Tegucigalpa, Gabriel Boric à Santiago, Gustavo Petro à Bogota, un renouveau bienvenu. Une nouvelle « vague rose » reprend les commandes en Amérique latine, vingt ans après la première vague qui avait notamment porté Lula au pouvoir en 2003 avant qu’une droite dure, incarnée au Brésil par Jair Bolsonaro, n’impose sa loi dans de nombreux pays du continent américain. Même si Lula l’emporte de peu en 2022, avec deux millions de voix d’avance sur 156 millions d’électeurs, sa victoire confirme le basculement politique de la région au bénéfice de la gauche. Sans oublier la défaite de Donald Trump aux Etats-Unis en 2020.
La main tendue de Lula
Que fera-t-il de cette victoire ? Instruit par l’expérience, transformé par son premier passage à la tête de l’Etat autant que par les avanies qu’il a subies depuis son départ du pouvoir, Lula a changé en vingt ans. Le Lula qui s’apprête à retrouver le palais présidentiel de Brasilia n’est plus le porte-drapeau triomphant de la gauche radicale que ses ennemis continuent de voir en lui avec beaucoup de mauvaise foi, il se présente désormais comme le partisan d’un réformisme modéré, proche de la social-démocratie, et comme un homme ouvert au dialogue avec la droite. N’a-t-il pas pris pour candidat à la vice-présidence une personnalité libérale proche des milieux financiers, l’ancien gouverneur de Sao Paulo Geraldo Alckmin ? N’appelle-t-il pas à l’apaisement des passions et à la réconciliation des Brésiliens après les rudes affrontements qui les ont profondément déchirés pendant le mandat de Jair Bolsonaro ?
Reste à savoir si les « bolsonaristes », au lendemain d’une défaite de leur champion concédée par un score aussi serré, sont prêts à accepter la main tendue par celui que beaucoup d’entre eux considèrent encore comme un dangereux révolutionnaire, voire comme un diabolique suppôt de Satan. Le risque est que Jair Bolsonaro, comme Donald Trump aux Etats-Unis, continue d’entretenir les haines violentes et les passions mauvaises dont il a fait son ordinaire pendant quatre ans, exacerbant les divisions du pays et mettant la démocratie en péril. Assurément le « bolsonarisme » n’est pas mort. Il est la figure de l’extrême-droite brésilienne, une extrême-droite dont on voit partout dans le monde l’inquiétante progression. Les amis de Jair Bolsonaro, s’ils ont perdu la présidence, sont majoritaires au Congrès. Ils ont conquis plusieurs postes importants de gouverneurs, dont celui du puissant Etat de Sao Paolo. Ils conservent donc de solides positions de force.
La tâche sera rude pour Lula face à des adversaires déterminés. Une fois passée l’ivresse de la victoire, il lui faudra d’abord obtenir des « bolsonaristes », et de Jair Bolsonaro lui-même, qu’ils acceptent, à la différence de Donald Trump aux Etats-Unis, de reconnaître leur défaite, aussi étroite soit la marge qui sépare in fine les deux concurrents du second tour. Il lui faudra ensuite gagner la confiance d’une population dont un peu plus de la moitié a refusé d’accorder un second mandat au président sortant en raison de sa calamiteuse gestion de la pandémie mais aussi de l’accroissement des inégalités et de la montée de la pauvreté. Il lui faudra surtout tenir son engagement de rétablir la paix et l’unité du pays, en luttant contre la corruption et en rompant avec le sectarisme dont son parti, le Parti des travailleurs, a trop souvent fait preuve dans le passé.